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Embargo sur les armes pour la Libye : quid et comment le faire respecter ? (maj)

(ANALYSE) L'embargo sur les armes vers la Libye, proclamé par les Nations-Unies et rendu applicable dans les 27 pays de l'Union européenne par la décision prise lundi (dès qu'elle sera formalisée - traduite dans les 27 langues et publiée au journal officiel) est une première étape mais il n'est pas suffisant et recèle quelques failles.

Cet embargo est défini comme par deux critères :

- le champ matériel (ce qui est interdit) : est interdit la vente à la Libye de toutes armes, y compris les munitions, les équipements militaires et paramilitaires et (ce qu'a rajouté l'UE), les "équipements qui peuvent être utilisés pour la répression interne"; mais aussi l'assistance technique, financière, logistique (la formation...). La fourniture de mercenaires est expressément prohibée ; ce qui signifie que les sociétés britanniques (spécialistes du mercenaire de tout acabit) ne peuvent plus travailler avec la Libye. Seule exception : l'envoi d'équipements pour un "usage humanitaire ou de protection" ainsi que pour le personnel des Nations-Unies, de l'UE ou des Etats membres, les médias et des les travailleurs humanitaire et développement, pour leur "usage personnel uniquement".

- le champ personnel (à qui c'est interdit) : il comprend trois niveaux. L'embargo est interdit aux nationaux des Etats membres (personnes physiques ou morales), sous entendu quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Il est interdit à travers le territoire des Etats membres (ce qui permet de bloquer le transit de sociétés étrangères) ; par territoire on entend également les eaux territoriales. Il est enfin interdit à bord des avions ou bateaux portant le pavillon d'un Etat membre (quel que soit l'endroit où il se trouve, par ex. dans les eaux internationales pour les navires).

Les failles de ce dispositif

Le contrôle doit être effectif

Il faut que ce dispositif soit appliqué strictement. Or on sait que certaines frontières européennes soient poreuses.

La rébellion également visée

Ce dispositif vise un territoire - la Libye - et non un gouvernement - celui de Tripoli. Ce qui signifie que les insurgés ne pourront bénéficier (normalement) d'une assistance militaire. Or si Tripoli dispose encore d'armements en nombre, les insurgés risquent d'en manquer. On réitère là le problème à laquelle était confronté le gouvernement croate puis bosniaque durant les guerres de Yougoslavie face aux Serbes surarmés.

Pas de de dispositif de contrainte au large

Enfin, il est inapplicable dans les eaux internationales où les navires disposent d'un droit de libre navigation. Le principe est en effet qu'un navire ne peut être contrôlé que par l'Etat de son pavillon (ou d'un autre si le premier lui a expressément demandé, en cas de coopération). Concrètement cela signifie que les bateaux de l'UE peuvent être contrôlés, pas les autres. Un spécialiste européen de la question me l'a confirmé, hier, pour permettre un contrôle et un arraisonnement des navires qui ne portent pas le pavillon d'un des pays de l'UE au large de la Libye, il faudra une nouvelle résolution des Nations-Unies. La résolution du 26 février n'autorise pas cette disposition. Mais les forces internationales ne restent pas tout à fait désarmées juridiquement. Il est toujours possible d'utiliser l'article 110 de la convention de Montego Bay qui octroie un droit de visite à tout navire de guerre ou (et à eux seuls) de procéder à l'inspection d'un navire qu'il soupçonne de piraterie, de traite d'êtres humains, ou d'émissions polluantes non autorisées ou n'arbore aucun pavillon... Mais cela ne permet pas normalement un droit de contrainte. Pour faire respecter l'embargo sur le contrôle des armes au large des côtes libyennes, une nouvelle résolution des Nations-Unies paraît inéluctable.

(Maj) Télécharger le texte publié au JO du 3 mars

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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