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EUTM Somalia démarre (6). Entretien avec le général Wamala (UPDF)

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(crédit photo : Conseil de l'Union européenne)

(BRUXELLES2) Le lieutenant général Katumba Wamala - que j'ai pu rencontrer à Kampala - commande les forces terrestres ougandaises (de l'UPDF). Et sa conviction dans l'intérêt d'une mission de formation des soldats somaliens est inébranlable.

• L'armée ougandaise a déjà dans la passé formé des soldats somaliens. Vous commencez une nouvelle session, cette fois avec les Européens. Pourquoi avoir utilisé cette formule de « joint training » ?

L'idée est bienvenue. Et cela peut donner un meilleur résultat, de plusieurs façons. Tout d’abord, nous bénéficions des connaissances des équipes de formation européens, qui ont vraiment une vraie expertise dans certains domaines. C’est important. Dans le passé, nous avons déjà entraîné des recrues pour en faire des soldats. Mais, sur le terrain à Mogadiscio, nous avons réalisé que l’armée somalienne souffrait de sérieux manques dans plusieurs secteurs : au niveau médical, des communications, de la contre-IED (engins explosifs improvisés), etc. Ce que l’équipe européenne nous apporte sur la table, c'est toute cette expertise. Nous allons ainsi pouvoir faire l’entraînement d’une unité complète : une unité avec soutien médical, avec des bons communicateurs, qui puissent lutter contre les IED, etc. Et pour l’UPDF, nous en aurons aussi des bénéfices, car en développant des formations en commun, nous partageons nos compétences.

Mais il y a un plus : cette formation mixte a une signification plus politique. Le message est clair: le problème somalien est un problème qui concerne chacun d’entre nous et doit être résolu par tous. Ce n’est pas seulement à l’Ouganda, au Burundi de le résoudre, ou à l’Union africaine seule, c’est plus large. On le dit : chacun peut et doit contribuer à la stabilité de la Somalie. Car la stabilité de la Somalie est une part de la stabilité de nous tous.

• N'est-ce pas dangereux pour l’Ouganda de s’engager dans cette mission ?

Tout le monde sait que la Somalie est dangereuse. Et il faudrait être aveugle pour ne pas voir que c'est une partie du monde la plus dangereuse. Mais qu’est-ce que nous pouvons faire ? Fermer les yeux. Si nous faisons cela, notre comportement est incompréhensible. C’est comme quand vous vous êtes au soleil. Ce n’est pas en fermant les yeux que vous n’êtes pas exposés. La solution est là : plus nous aidons la Somalie, moins nous aurons à souffrir de l’instabilité. Avoir une Somalie en meilleure santé, c’est notre intérêt.

Regardez l’Ouganda, nous sommes un pays enclavé. Nous dépendons de la mer pour nos importations, nos exportations. Si la piraterie continue, la situation va devenir intenable pour le commerce, les assurances vont augmenter, les produits. Croire que le problème de la Somalie va se résoudre tout seul, car c’est trop dangereux, est tout simplement irréaliste. Nous devons prendre le taureau par les cornes ; et dire oui : nous avons besoin d’une Somalie positive et voir ensemble ce que nous pouvons faire pour remplacer les institutions.

• Comment voyez-vous le futur de la Somalie ?

Il n’y a aucun système qui fonctionne en Somalie. C’est typiquement un État failli. Mais la population somalienne est vraiment exténuée. Les hommes et des femmes de la rue, j’ai pu le lire sur leur visage, sont fatigués de la guerre, vraiment fatigués. Je pense que la dynamique sur le terrain montre qu’il y a un espoir, qu’il y a une bonne volonté de la
population qui réagit positivement. Car la prolifération des armes légères n’existe pas. Il y a juste quelques personnes qui détiennent des armes, commandent des gangs et veulent préserver leur pouvoir par les armes.

Si vous me demandez s’il y a une chance pour Somalie d’aller mieux, oui je crois que c’est possible. Il y a le temps pour chaque chose. Mais je crois que c’est le moment maintenant. Les gens sont prêts. Et c’est exactement le défi que le gouvernement a aujourd'hui. Les gens veulent que le gouvernement fournisse de l’eau, de l’alimentation. Mais le gouvernement ne le peut pas car tout simplement il n'en a pas les moyens et n'arrive pas à installer les institutions nécessaires. Cependant, je suis vraiment optimiste sur les capacités de Somalie d’aller mieux que dans les années 1980.

• C’est une première étape aujourd'hui, cette formation avec les Européens, comment voyez-vous les autres étapes ? les autres collaborations ?

Nous avons déjà un partenariat avec les Etats-Unis depuis longtemps sur le sujet. Une autre commence avec l’Union européenne maintenant. Et l’Ouganda est, avec le Burundi, engagé dans la mission de paix de l’Union africaine. Mais la sécurité, c’est juste une partie du problème. Nous devons avoir une approche holistique concernant la sécurité : il y a nécessité d’une approche politique, pour construire les institutions fédérales.

Si vous me dites, la sécurité est-elle suffisante ? Je vous dirai non. Elle est juste un signal du rôle que nous entendons jouer et de l’approche globale que nous entendons avoir. La solution n’est pas, en effet, seulement dans les mains des militaires. D’autres acteurs doivent venir : les politiques doivent venir, les économistes doivent venir, les acteurs humanitaires doivent venir aussi, car il y a de gros besoins humanitaires sur le terrain. Nous avons besoin de mettre en synergie tous nos efforts.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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