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Balkans Arms Airline. Un trafic bien organisé entre Balkans et Moyen-Orient

ArmsAirlift@Birn1607

(B2) De Belgrade ou Nis, de Bratislava ou d'Ostrava, de Sofia ou de Bourgas ... ce sont pas moins de 68 vols cargos chargés d'armes qui sont venus ces derniers 13 mois approvisionner les conflits en Syrie et dans le Golfe révèle une enquête menée par plusieurs journalistes des Balkans. 50 de ces vols sont confirmés comme transportant des armes, 18 de ces vols le sont « probablement ». Et ces charters d'un nouveau genre ne semblent pas nouveaux. Depuis 2012, nos confrères des Balkans estiment que ce trafic, très organisé, atteint une valeur d'au moins 1,2 milliard d'euros.

Un trafic très organisé

En examinant plus attentivement les données d'exportation d'armes, les rapports de l'ONU, les dossiers de vol, et les contrats d'armes sur un an, ce sont ainsi des milliers de fusils d'assaut, des obus de mortier, des lance-roquettes, des armes anti-chars et de mitrailleuses lourdes qui sont partis des stocks et des usines de Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, République tchèque, Monténégro, Roumanie, Serbie et Slovaquie. Destination : la Syrie via la Jordanie, l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis. Le Yémen et la Libye seraient également des destinations finales des armes, bien que dans une moindre mesure. Pour les transporter, l'avion le plus couramment utilisé est l'Ilyushin II-76. L'avantage : il transporte dans ses flancs jusqu'à 50 tonnes de fret, soit environ 16 000 fusils AK-47 Kalachnikov.

Des achats bien organisés... via la CIA

Ces armes, achetées par les Saoudiens, les Turcs, les Jordaniens et les Emirats Arabes unis sont ensuite acheminés à travers deux installations secrètes de commande - appelée opération militaire Centres (MOC ) - en Jordanie et en Turquie. Ces unités coordonnent la distribution d'armes à des groupes d'opposition syriens sélectionnés par les Américains selon le think-tank d'Atlanta, le Centre Carter.  Selon Robert Stephen Ford, ambassadeur américain en Syrie entre 2011 et 2014,  la CIA a probablement joué un rôle d'intermédiaire entre les pays des Balkans (notamment Serbie, Bulgarie et Roumanie) et du Moyen-Orient pour la vente des armes.

Les Américains en première ligne

Les journalistes ne manquent pas de souligner que le Département de commandement des opérations spéciales de la Défense (SOCOM) des Etats-Unis a également acheté et livré de grandes quantités de matériel militaire en provenance d'Europe de l'Est pour l'opposition syrienne dans le cadre d'un programme de "train and equip", pour une valeur de 500 millions $. Ainsi, depuis décembre 2015, trois navires cargos ont transporté 4.700 tonnes d'armes et de munitions en provenance des ports de Constanza (en Roumanie) et Burgas (en Bulgarie) vers le Moyen-Orient. Probablement dans le cadre « d'une livraison clandestine d'armes en Syrie ». Les envois inclurait des mitrailleuses lourdes, des lance-roquettes et des armes anti-chars - ainsi que des munitions, des mortiers, des grenades, des roquettes et des explosifs. L'origine des armes livrées est, elle, inconnue. Les documents que les journalistes ont pu consulter ne donnant les informations qu'à partir de stocks localisés en Europe centrale et orientale.

NB : C'est principalement à travers les réseaux sociaux, notamment twitter et Facebook, que ces armes sont ensuite localisées à leur destination finale. Un groupe de soldats kurdes, soutenus par le SOCOM, ont ainsi publié de nombreuses photos montrant un entrepôt où s'empilent des boîtes de munitions, avec l'estampille made US.

Un boom des ventes depuis 2012

C'est le conflit en Syrie qui est le principal facteur de cette augmentation selon les auteurs de l'enquête. Avant le printemps arabe en 2011 , le commerce des armes entre l'Europe de l'Est et l'Arabie Saoudite, la Jordanie, les Emirats Arabes Unis, Émirats Arabes Unis , et la Turquie - quatre principaux partisans de l'opposition syrienne - était négligeable, voire inexistant, selon l'analyse faite par les journalistes. Cela change en 2012. 

Les usines des Balkans tournent à plein tube

Et le rythme des transferts ne ralentit pas, avec quelques-unes des plus grandes transactions approuvées en 2015. Les usines de fabrication d'armes de Bosnie-Herzégovine et de Serbie tournent à « pleine capacité », avec des équipements supplémentaires et d'autres « ne prennent plus de nouvelles commandes ».

Plus d'1,2 milliard de commandes

Depuis 2012, huit pays d'Europe orientale auraient ainsi exporté plus de 829 millions d'euros d'armes et munitions vers l'Arabie saoudite, 155 millions vers la Jordanie, 135 millions vers les Emirats arabes unis et 87 vers la Turquie. Seul le Qatar, pourtant fournisseur clé d'équipement militaire à l'opposition syrienne, n'est pas dans les licences d'exportations en provenance d'Europe centrale et orientale.

Le chiffre est probablement beaucoup plus élevé estiment les auteurs de l'enquête. « Les données sur les licences d'exportation d'armes pour quatre pays sur huit ne sont pas disponibles pour 2015 et sept des huit pays pour 2016. » 

(transcrit par Nicolas Gros-Verheyde & Leonor Hubaut)

(1) Enquête réalisée par le Balkan Investigative Reporting Network - BIRN Kosovo et BIRN HUB - une équipe de journalistes de toute l'Europe centrale et orientale qui a pour ambition de « promouvoir la primauté du droit, la responsabilité et la transparence dans les Balkans et la Moldavie ». Un projet soutenu par l'Agence autrichienne de développement (ADA).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

3 réflexions sur “Balkans Arms Airline. Un trafic bien organisé entre Balkans et Moyen-Orient

  • 1,2 milliard de transferts d’armes et de munitions de l’Europe orientale vers le Moyen-Orient, évidemment ce n’est pas négligeable.
    Mais à titre de comparaison…:
    Sur la même période (2012-2015), la Région wallonne, à elle seule, a exporté vers l’Arabie saoudite pour 1,338 milliards d’euros d’armement (essentiellement des armes légères), et ça sans compter le giga-contrat de blindés CMI/General Dynamics via le Canada.
    À cela s’ajoutent (sur la même période) 178 millions vers les EAU, 34 millions vers la Turquie, etc.
    Certes il y a une différence: alors que les AK47 et autres camelotes en provenance d’Europe orientale finissent entre les mains des divers groupes armés, les armes belges hi-tech restent plutôt dans les arsenaux “légaux” des acheteurs.
    Mais les unes comme les autres contribuent à un surarmement irresponsable de la région.

  • jean - Guy GIRAUD

    Cette info est extrêmement intéressante. Il resterait à déterminer clairement s’il s’agit d’un “trafic” illégal au regard du droit international ou européen (5 États membres de l’UE semblent impliqués) – ou d’exportations conformes aux normes légales mais apparemment dissimulées pour raisons politiques. JGG

  • Pour répondre à JGG, à propos des pays membres de l’UE concernés : il s’agit bien d’exportations considérées comme “légales”, puisqu’elles sont apparemment dûment rapportées dans les rapports COARM successifs de l’UE (voir : http://www.grip.org/fr/node/542#coarm).
    Cela pose bien le problème de l’interprétation à géométrie très variable de la position commune de l’UE en matière de commerce des armes, et en particulier du contrôle de la destination finale.

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