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(Dossier EATC) Aux commandes d’EATC, Jochen Both

Jochen Both dans son bureau © NGV / Bruxelles2

(BRUXELLES2à Eindhoven) C’est un général allemand qui est le patron d’EATC nommé pour deux ans. Tâche intéressante car il s’agit de passer du concept théorique à la pratique. Ces premiers mois seront cruciaux car ils définiront sans doute la marche à suivre pour l’avenir, notamment le degré d’intégration des processus comme les règles des adhésions futures. Selon la règle en vigueur de l’alternance, il sera remplacé ensuite par un officier français.

Comment vous définissez l’objectif d’EATC ?

Comme les 4 pays fondateurs l’ont défini dans le concept : « Transférer graduellement et intégrer dans un seul commandement national le personnel et les responsabilités nationales compétentes qui, ensemble, permettent l’exécution de missions de transport aérien, augmentent l’efficacité et l’efficience des efforts États participants en matière de transport militaire »

Les États abandonnent leur rôle ?

Non. Les objectifs de chaque pays continuent de jouer un rôle. Vous pouvez regarder : il n’y a pas de drapeau EATC sur les avions. Ceux-ci restent sous l’autorité nationale. Ce n’est pas l’EATC qui est maître des ordres de route ou de vol. Elle ne produit pas elle-même sa propre demande. Nous sommes là pour optimiser l'utilisation des ressources existantes, augmenter l'interopérabilité, réduire la logistique en cas de déploiement, réduire les dépenses globales, ....

Votre principal défi ?

Le contrôle opérationnel des avions n’est pas un défi en soi. On le fait d’autant plus facilement, qu’au niveau aérien, nous le pratiquons tous les jours déjà dans les opérations de coalition. Mais nous n’avons pas qu’un objectif opérationnel. Toute une partie de notre partie concerne ce qu’on appelle des tâches fonctionnelles. On doit définir la réglementation, les normes de fret, la formation, traduire toute la documentation. Le défi c’est de montrer que cela fonctionne. Le tout, dans un contexte difficile, où trois de nos quatre pays participants ont engagé un processus de restructuration interne important.

Peut-on chiffrer l’économie que génère EATC ?

L’utilisation en commun permet certainement de diminuer certains vols. Combien de vols exactement pourrons-nous économiser, c’est encore un peu tôt pour le dire. Nous avons une trentaine d’indicateurs d’économie. A la fin, nous devrions économiser environ 20% de budget, pour un résultat équivalent. Cet objectif me paraît atteignable. La Luftwaffe avait, à elle seule, le même effectif que nous avons ici pour quatre pays. On a déjà économisé cela. Mais le résultat n’est pas seulement un simple chiffre d’économies. Il est ailleurs. Nous allons permettre d’avoir plus d’efficacité, en standardisant nos procédures, avec des autorisations communes de vol. Un avion « EATC » pourra voler en France comme en Allemagne sans nécessiter d’autorisation. Tout cela, c’est assez difficile de le mesurer.

D'autres pays peuvent-ils rejoindre EATC ?

Deux pays sont déjà dans les starting blocks. Le Luxembourg, par exemple, ce qui ne pose pas de réelle difficulté (NDLR: le Luxembourg a une aviation limitée et déjà intégrée avec le partenaire belge notamment, l’A400M, par exemple, est acheté en commun. Et au niveau linguistique les langues parlées sont déjà celles des pays participants). L’Espagne est très intéressée. Un officier de liaison espagnol arrive et on va l’intégrer dans nos équipes de l’EATC. Le Royaume-Uni a une approche très pragmatique, il faut voir. Nous désirons que d’autres nations se joignent à nous. C’est clair. Mais clairement, également, nous devons d’abord avoir un Traité, un fonctionnement bien établi entre les 4 nations fondatrices, avant que d’autres nous rejoignent.

Jochen Both dans son bureau © NGV / Bruxelles2

Quelles sont les conditions pour adhérer à EATC ?

Il faut définir une politique claire d’adhésion. Ce n’est pas seulement la question de la langue (toute la documentation doit être traduite). Il faut aussi utiliser le même logiciel, le même système d’équilibre des dépenses (Antares+), Etc. Il faut être sûr que les avions apportés soient bien intégrés à la flotte. Il faut calculer combien de changements doit-on faire pour intégrer un nouveau pays. Avec deux ou trois pays, cela n’occasionne pas de grands changements. S’il y a plus de pays, il faut vraiment se poser la question de savoir où est le bon point d’équilibre. D’un autre côté, si on a davantage de moyens et de nouveaux lieux d’atterrissage, cela peut aussi être plus facile.

Dans tous les cas, la condition principale de la participation d’un nouvel État demeure le contrôle opérationnel commun. Par exemple, je n’ai pas besoin de l’autorisation de l’Allemagne pour engager un C160 allemand. Je peux le faire moi-même.

Justement vous avez reçu ce contrôle opérationnel. Est-ce valable pour tous les moyens aériens ?

Non. Il est parfois nécessaire pour certains pays de conserver des structures propres. En France et en Allemagne particulièrement. La France a gardé certaines capacités pour les départements d’outre-mer, le soutien à certaines missions spéciales (missions nucléaires…). L’Allemagne a conservé le commandement et le contrôle des hélicoptères, tout comme le transport de VIP ou de missions parlementaires, pour des raisons de secret notamment. Mais il y a un partage des capacités. Ainsi l’A340 allemand qui est utilisé pour les visites du gouvernement et des missions parlementaires reste sous contrôle national. Mais nous pouvons également l’employer pour des évacuations médicales.

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Le général en quelques mots.

  • Né en 1954 à Brunsbüttelkoog (ville portuaire du nord-ouest de l’Allemagne, dans le Schleswig-Holstein,près du Danemark), Jochen Both a commencé sa carrière d’officier en 1972, comme pilote de chasse. Au niveau supérieur, il a alterné des commandements opérationnels et au sein d’Etat-Major.
  • Il a notamment assuré le commandement du Groupe de vol (de 1992 à 1994) et de l’escadron de reconnaissance « Immelmann » (1997-2011), avant d’être chef-adjoint « Air » de l’État major conjoint à Kaboul au sein de l’ISAF (2009-2010). Il a également été le porte-parole du ministre de la Défense (1994-1996) auprès de Volker Rühe (CDU), sous le gouvernement Kohl, au moment où la Bundeswehr intèrgre nombre d’opérations extérieures (de l’ONU) et que se crée l’Eurocorps.
  • Diplômé du collège européen de défense de l’OTAN à Rome (en 2001), Jochen Both est ensuite directeur de l’académie de la Luftwaffe (2003) puis responsable « concepts et opérations » à l’État-Major de la force aérienne (2005-2009). Il a pris son poste à l’EATC, le 1er septembre 2010.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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