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Union européenne de défense : ce qui avance, ce qui bloque

(B2) La réunion conjointe des ministres des affaires étrangères et de la défense de l'UE (lundi après midi) devrait être une réunion importante, marquée par plusieurs avancées vers ce qu'on pourrait dénommer l'Union européenne de défense.

(crédit : EUTM Mali)

Ce n'est pas le grand soir annoncé par certains (1). Mais c'est une étape intéressante permettant à différents projets mis sur la table depuis un ou deux ans de progresser. Dans un domaine aussi sensible que la défense, où le poids de l'histoire, des intérêts nationaux et l'instinct de souveraineté, sont patents, on peut dire que ces progrès sont notables.

Parlera-t-on de l'armée européenne ?

Le mot sera sur toutes les lèvres, à la cafétéria certainement, histoire de se distraire, ou dans les commentaires à la presse. Mais autour de la table, le sujet ne figure pas à l'agenda. Tout simplement car si cette terminologie a été utilisée tour à tour par le président français Emmanuel Macron et la Chancelière allemande Angela Merkel, dans ces derniers jours (1), on en est resté pour l'instant au bon mot, sans aucun détail, ni feuille de route et encore moins plan d'action. Mieux, côté français, on rétropédale ; les diplomates français s'évertuent à préciser que leur président n'a pas vraiment voulu dire une armée européenne, il pensait plutôt à l'initiative européenne d'intervention, et au fonds de défense, aux projets en cours de défense etc. On fait appel à la manne du discours de Sorbonne pour expliquer que le président est toujours dans la même veine. Bref, on n'assume pas.

Quelles sont les avancées précises ?

Première avancée, le mini-QG militaire, dénommé en termes techniques la MPCC ou capacité de planification et de conduite militaire (l'équivalent européen du CPCO français) va être renforcé d'ici 2020 à la fois en personnel et dans ses fonctions. Concrètement il pourra désormais conduire une opération militaire de l'Union européenne (sous mandat ONU ou mandat UE) d'une taille modeste (2500 hommes).

Deuxième avancée, les missions de la PDSC civile. Les '28' conviennent qu'il faut les renforcer. Ces missions (police, justice, douanes, Etat de droit) qui mettent beaucoup de temps à se déployer, souffrent d'un déficit de personnel lacunaire, et souvent peinent à être efficaces. Les '28' se sont ainsi engagés à pouvoir déployer une mission de 200 personnes maximum en 30 jours maximum... « à compter de la décision » de la politique de lancement. Espérons que cet engagement (qui n'est pas le premier du genre) ne finira pas dans un beau tiroir.

Troisième avancée (et non des moindres), le Fonds européen de défense proposé par la Commission européenne en juin dernier progresse à bonne vitesse. Les ministres adoptent leur 'approche générale', ce qu'on pourrait considérer comme une 'première lecture provisoire'. Aux parlementaires européens désormais de fixer leur position. Ce qui sera fait dans les jours prochains. L'objectif d'arriver à un accord avant le printemps et les élections européennes est désormais possible.

Quatrième avancée, la coopération structurée permanente en matière de défense (PESCO) n'a pas encore montré ses premiers résultats. Mais elle se renforce et complète petit à petit. Après avoir lancé une première vague de projets (en mars), adopté des règles sur la manière de vérifier les engagements de chacun (en juin), les ministres de la Défense adoptent une seconde vague de projets, qui comprend notamment le drone européen MALE (moyenne altitude, longue endurance), projet mené par le quatuor de la PESCO (France, Allemagne, Espagne, Italie).

Voici une première représentation, en carte du nombre de projets, pays par pays (le chiffre entre parenthèses indique le nombre de pays coordonnés par le pays). La France est, avec l'Italie, le pays qui participe au plus de projets. Elle est en troisième position, derrière l'Allemagne et l'Italie pour le nombre de projets coordonnés.

Cinquième avancée, qui est plus ténue, sur la mobilité militaire. Sur cette question facile en apparence — comment faciliter les mouvements de troupes et moyens en Europe — complexe dans les faits — car elle touche à des infrastructures lourdes... et à la souveraineté profonde des Etats, on a commencé à avancer. Une première liste (complète - 128 pages) de préconisations et recommandations a été faite. Elle servira de base à identifier des projets qui pourront être financés sur le budget européen

Sur quoi est-ce plus difficile ?

L'opération Sophia, cela bloque. On est dans un jeu de poker menteur, où chacun tient la barbichette de l'autre, en espérant que l'autre va céder. L'Italie ne veut pas accueillir tous les migrants de manière automatique et souhaite une solution spécifique pour faciliter une rotation entre les ports de débarquement, les autres pays ne veulent pas de cette solution. Et chacun attend. En attendant le compteur tourne, les bateaux engagés sur l'opération se font plus rares. Et la date fatidique du 31 décembre se rapproche.

La facilité européenne de paix, un instrument financier pour les opérations, ne suscite pas encore un plein consensus. Les difficultés sont multiples. Et de nombreux points restent à discuter pour aboutir un compromis. « Il faudra un peu de temps » concède un diplomate à B2.

La coopération OTAN-UE. L'ambiance est meilleure entre les deux organisations. C'est sûr. Mais, malgré une auto-célébration réciproque, quand on regarde dans les détails, l'ambiance paraît moins ludique. Par exemple, pour la mobilité militaire, les priorités des uns (OTAN) ne coïncident pas avec les priorités des autres (Union européenne).

Les dépenses de défense. Malgré une certaine remontée, les budgets de défense des pays européens restaient, en 2017, au niveau de 2005. Les dépenses de recherche et technologie ont atteint un plafond bas.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Sur la radio Europe1 pour le premier le 9 novembre, au Parlement européen pour la seconde le 15 novembre. Lire : Et si l’armée européenne était un projet d’avenir ?

Lire aussi :

Mis à jour le 20.11 avec la carte des projets Pesco et une mention des projets défense, la mention de la mobilité militaire (dans les '+') et des budgets de défense (dans les '-')

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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