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La guerre russe en Ukraine. Six mois après

(B2) Six mois après le début de la nouvelle intervention militaire russe le 24 février en Ukraine, cinq points méritent d'être précisés.

Une guerre de huit ans

Aux adeptes du "cette guerre va durer", il faut rappeler que la guerre n'a pas commencé le 24 février 2022. Mais le 28 février 2014 avec l'annexion éclair de la Crimée, et surtout à partir du printemps 2014, avec les premières manifestations armées des séparatistes du Donbass début avril, dans les régions de Donetsk et Louhansk, largement soutenues par l'appareil militaire russe, et la réaction du pouvoir ukrainien en mai 2014. Cette guerre dure en fait depuis presque huit ans. De façon intense dans les premiers mois, avant de voir le front se figer. Au total, on dénombre alors plus de 14.000 morts, dont trois-quarts sont des combattants, et environ 1,5 million de déplacés.

Un conflit majeur sans issue claire

Aucune issue ni pacifique ni militaire n'était alors vraiment esquissable. Les accords de Minsk conclus au lendemain de la première intervention (de 2014) n'ont pas réussi à aller au-delà d'un accord d'apaisement de la tension pour tendre une résolution du conflit. L'absence de volonté de Kiev comme de Moscou en est la cause. Le premier n'ayant pas perdu espoir de récupérer les territoires perdus (occupés), le second considérant qu'entretenir un conflit de basse intensité contre son voisin n'est pas négatif.

Une volonté d'asservissement

L'offensive de février 2022 peut paraitre donc comme un épisode de plus dans cette guerre de 2014. Mais il y a deux différences fondamentales. Cette fois la Russie agit, avec des moyens puissants au niveau militaire, à visage découvert (1). Moscou ne s'abrite plus ainsi derrière des bonshommes verts sans écusson comme en Crimée ou des mouvements séparatistes pseudo-indépendants du Donbass (les républiques populaires de Donetsk et Louhansk). Sa volonté est aussi ouvertement affirmée : aboutir à un changement de régime à Kiev et asservir l'Ukraine ou du moins une bonne partie de son territoire, selon ses intérêts économiques et politiques.

Une guerre économique

Cette guerre de 2022 est aussi une guerre économique. Il ne faut pas se leurrer. En prenant pied sur une bonne partie du pourtour de la Mer noire, la Russie non seulement bloque une partie du développement ukrainien. Mais elle s'approprie une série de ressources qui permettent de soutenir son développement. En particulier des ressources minières (acier, charbon, etc.) et nombre de matières critiques dont l'Union européenne a besoin pour sa transformation verte (la Green Economy). Sans compter de possibles poches de gaz ou pétrole en mer Morte. On est dans une pure logique prédatrice, digne des empires du XIIIe ou XIXe siècle.

L'espoir de paix inexistant

Aujourd'hui, la Russie n'a aucune intention de se retirer, même si elle a subi de nombreuses pertes (2). Les Européens comme la communauté internationale ont renoncé à servir de médiateurs et, même, à envoyer une équipe de négociateurs. Seule la Turquie s'y risque encore. Avec une marge limitée d'action et de persuasion.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Dans le plus pur style des interventions soviétiques dans les pays frères (Prague 1968, Budapest 1956). Elle se distingue ainsi des offensives russes qui n'ont pas en fait vraiment cessé dans son voisinage depuis la scission de l'URSS : en 1991-1992, en particulier (Transnistrie moldave, Abkhazie géorgienne), en 2008 (Géorgie). Mais jusqu'à présent la Russie se contentait de placer quelques "marqueurs" visant à compliquer la vie des pays de la bordure, les obliger à respecter le rôle de la Russie.
  2. Entre « 70.000 ou 80.000 soldats [russes] tués ou blessés en moins de six mois », déclarait Colin Kahl, numéro 2 de la défense US à la presse le 8 août dernier. Et « 3000 à 4000 véhicules blindés [véhicules et chars] perdus » (NB : détruits, en panne ou capturés).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).