Carnet de route Ukraine 2. À Kiev, la vie reprend doucement
(B2) La capitale ukrainienne encerclée il y a quelques mois par l'armée russe retrouve sa vie d'antan. Tout doucement. Durant les quelques jours que j'ai passé ici, entre le lundi et le jeudi, j'ai ressenti l'appétit d'un retour à la normale. Sans pour autant oublier...

Des magasins d'alimentation alimentés
Les grands centres commerciaux, type les Domus ou Komod, restent encore quasi-déserts, peu de boutiques ont rouvert. En partie par manque de personnel — nombre d'adultes sont partis au front — ou de clients. Mais les magasins d'alimentation sont alimentés quasi-normalement, les petites supérettes tenues souvent par des babas (grand-mères) fonctionnent normalement.
Circulation timide
Quelques gros SUV rutilants sont le signe d'une richesse extérieure. Car les voitures restent en général encore plutôt rares. La circulation reprend très timidement. Pour cause : l'essence est très chère, « trop chère ». Le quidam regarde à deux fois avant de mettre quelques litres dans son véhicule. On se déplace donc à pied ou en transport en commun.

Les grands réseaux fonctionnent
Tous les réseaux fonctionnent. La ville est approvisionnée en eau, électricité. Sans coupure apparemment. Les réseaux télécoms tournent parfaitement. Le Wifi est quasi disponible partout. Assurément Kiev est une ville connectée. Davantage que Bruxelles ou Paris. L'habitude s'est prise de payer avec son smartphone.

Transport en commun
Les transports en commun assurent leur service quasi-normalement. La fréquence est sans doute un peu plus basse que d'habitude. La gratuité, qui était de mise il y a encore une semaine, est terminée. Les contrôleurs ont repris du service et veillent dans le métro comme dans le bus à ce que chacun acquitte son dû. Les trains circulent à peu près normalement, également, même si les cadences sont là aussi plus limitées.
Le métro fierté de Kiev
Dans ce métro rendu célèbre pour sa profondeur, son escalier roulant s'enfonce sous terre, vertigineux (à l'image de ceux de Budapest ou Moscou). Mais certaines stations restent cependant fermées, pour raison de sécurité ou autres, telles Kreshatyk qui dessert Maidan, la place de l'indépendance, ou Hydropark, sur l'île de Venetsiïskyï.

L'Hydroparc désert
Cet énorme parc de divertissement en plein Dniepr reste totalement désert. Personne sur les plages. Encore moins dans les hôtels ou campings. Étonnant en cette saison de printemps quasi-été où la température dépasse les 20°. Mais toutes les installations de loisirs restent désespérément fermées pour l'instant. L'île reste d'ailleurs bloquée à toute circulation de véhicules. De gros barrages faits de terres et blocs de béton sont toujours en place. Seule façon d'y accéder : à pied ou à vélo. Les visiteurs y sont rares.

Le plaisir d'un verre en terrasse
Mais la ville se remplit de ses habitants. Nombre de bars et restaurants ont rouvert, ou sont en passent de l'être. À une seule exception, les fast-foods McDonald, toujours fermés. Les Ukrainiens de la ville ont goût à sortir, les jeunes surtout, à rire, à se promener main dans la main, à trainailler dans les rues, à prendre un verre aux terrasses ensoleillées. De plus en plus, chaque jour. Du moins jusqu'avant le couvre-feu qui reste en vigueur. Alors, à Kiev, à 22 heures les rues se vident.

Opéra et cinémas rouverts
L'Opéra de Kiev a repris ses représentations le 21 mai par un Barbier de Séville rutilant. Les cinémas de la capitale, arts et essais comme complexes, reprennent également leurs séances, au moins les week-ends. Les bars et restaurants sont rouverts. Dans un coin parfois trainent encore quelques sacs de sable. Sait-on jamais... Mais ils sont entassés dans des coins de rues, ou dans les arrières des restaurants. Discrètement, le soir, on vient les vider, comme un signe que ce temps-là est oublié.

Peu de touristes
Certes il n'y a pas beaucoup de touristes, même dans les principaux lieux touristiques autour de la fameuse Zoloti Varota (porte dorée), lieu central, reconstruite sur les anciens remparts, qui marquait la séparation entre la ville et ses faubourgs, et inaugurée en 1982, du temps de Brejnev. J'en ai croisé quelques uns, polonais apparemment.

Militaires en ville
Les militaires sont nombreux en revanche pour garder les ambassades, les ministères, les lieux publics. Kalachnikov en bandoulière. Pour la plupart, ils sont de la défense territoriale. On les reconnait au brassard jaune de tissu, parfois bricolé avec un simple bout de scotch. Les endroits plus sérieux sont gardés par un check point avec le renfort de policiers, armés de fusils semi-automatiques. On croise aussi de nombreux militaires en ville de la garde territoriale, femmes et hommes, dans ces tenues kakies claires. Voire, quelques étrangers, tels ce Tchèque et cet Américain, croisés au hasard en uniforme dans un café.
Les zestes de la guerre
Bien entendu, dans tous les points stratégiques, près du Dniepr, aux entrées de la ville, les barrages faits de sacs de sables, de blocs de bétons, et autres checks points demeurent. Et ultime rappel à la réalité de la guerre pas si lointaine, les alertes aériennes. La sirène vrombit de temps à autre. Au moins une à deux fois par jour. Tellement loin, tellement anodine, que personne n'y prête guère plus attention. La première alerte est arrivée aussitôt le pied posé à Kiev. Le chauffeur de taxi sans sourciller m'explique : "Poutin alert".

Un musée en plein air des prises de guerre
Quant aux dépouilles des engins russes pris sur le champ de bataille, quelques unes d'entre elles traversent Kiev, destinées à être exposées sur la place Mykhailivska. Pour en faire un grand musée à ciel ouvert de la bataille qui se déroule encore, à l'Est.

(Nicolas Gros-Verheyde, à Kiev)