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Face à Wagner en Centrafrique, l’Europe se retire. Russie : 1 point

(B2) La situation en Centrafrique est tendue. Et les deux missions que l'Union européenne a dans le pays ont réduit la voilure. La mission de formation EUTM RCA est quasiment à l'arrêt. Et celle chargée du conseil sur la sécurité intérieure (EUAM) pourrait l'être bientôt.

La présence de soldats français et centrafricains côte à côte, pour la formation, c'est peut-être terminé (Photo : EUTM RCA - formation transmissions d'octobre 2021 - archives B2)

La prise de contrôle par les hommes du groupe Wagner sur place est réelle. Et le rapport du service diplomatique européen qui a fuité dernièrement n'est qu'un avatar public de la réalité sur le terrain.

Une prise de contrôle des Wagner

Selon nos éléments, non seulement les Russes reprennent la formation des bataillons centrafricains, une fois ceux-ci formés par les Européens. Mais ils interagissent bien davantage. Ils sont ainsi présents sur le camp Kassai de formation de l'armée centrafricaine où sont présents les Européens. Et ils ont pris le contrôle, intrinsèque, des forces centrafricaines. L'ultimatum lancé par les Européens aux Russes de Wagner de quitter le camp Kassai à Bangui n'a pas eu d'effet.

Des Centrafricains qui n'écoutent plus les conseils européens

Les soldats centrafricains qui, il y a quelques années, étaient tout disposés à recevoir l'enseignement de leurs homologues européens semblent aujourd'hui pour le moins rétifs. L'hypothèse d'une attaque interne n'est plus de la pure théorie. Dernier facteur : le gouvernement centrafricain ne semblerait plus aussi disposé à fournir les effectifs qui doivent être formés aux Européens.

Une fin de mission qui ne dit pas son nom

Les Européens ont donc décidé de se retirer (lire : La présence russe et du groupe Wagner menace l’avenir des missions PSDC (EUTM, EUAM)). Selon nos informations, environ 70 formateurs ont ainsi quitté la mission récemment — ou leur remplacement n'est pas intervenu, ce qui revient au même. Le poste de Bouar, inauguré en grande pompe, serait ainsi abandonné. La mission va se recentrer « uniquement sur le conseil stratégique » comme l'a confirmé à B2 une source militaire. Et ce « jusqu'à nouvel ordre ». Autrement dit... pas grand chose. Une manière de masquer en fait un semi-départ.

Une tenaille infernale

Cette décision, politique, a été prise par les ambassadeurs des 27. Les militaires l'exécutent la mort dans l'âme. La mission de formation EUTM a été mise en place, avec maints efforts, notamment de la France en particulier. Les Européens ont beaucoup investi. Mais ils sont pris aujourd'hui dans une tenaille infernale.

Eux ou nous ?

Les Européens sont en fait coincés. Soit ils restent et avalisent de fait la présence des Wagner. Soit ils posent ouvertement la question au gouvernement africain. Eux ou Nous ? Un vrai pari. Il n'est pas sûr que le gouvernement de Bangui choisisse les Européens... ou choisisse tout court.

NB : L'arrivée d'un général belge sur place, pour prendre la relève du Français Jacques Langlade de Montgros, pourrait être compromise. Le choix doit encore être validé, apparemment…

Commentaire : la bataille perdue de la force et du verbe

Repli tactique ou défaite stratégique... ? Seul l'avenir le dira. Ce qui est certain, c'est qu'avec cette décision, prise en stoemeling (comme diraient les Belges), c'est-à-dire à la dérobée, la France et l'Europe signent là un aveu de faiblesse.

Le choix de la discrétion

Les Européens sont en passe de perdre une autre bataille : celle de l'information. Au lieu de taper ouvertement du poing sur la table, de faire de cette décision de retrait un atout, les Européens ont choisi la discrétion. C'est-à-dire le mutisme (1). Ce qu'il y a de pire aujourd'hui sur le champ de bataille.

Mieux vaut informer que lutter contre la désinformation

Ne pas informer, à temps, de façon aussi complète que possible, c'est ouvrir un boulevard à l'adversaire. Les Européens et Français qui n'ont que ces mots à la bouche — « lutter contre la désinformation » et « communication stratégique » — ont, en renonçant à informer, donné à leurs adversaires leurs plus belles cartes.

Pour la Russie, la Centrafrique est gagnée... la suite à venir

Le résultat est là : les Russes ont gagné la première manche en Centrafrique. Ils peuvent dorénavant passer à la suite : au Sahel, le Burkina Faso ou le Niger (deux pays tout aussi fragiles que le Mali) et en Europe, la Bosnie-Herzégovine, le maillon faible des Européens dans les Balkans. L'objectif stratégique de Moscou est clair : faire reculer chaque fois la présence européenne, politique ou militaire. Ce par la force et le verbe !

Une défaite française, une déroute européenne

Jusqu'ici les Européens n'avaient pas vraiment la force, ils viennent de perdre le verbe. Dommage, vraiment dommage. Pour la présidence française de l'Union européenne qui commence, cette déroute en rase campagne augure mal de la suite au Sahel.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Ce n'est pas faute d'avoir sollicité la mission. En dernier lieu, lors de son passage à Bruxelles, durant plusieurs jours, nous avions proposé au général commandant la force, Jacques Langlade de Montgros, de le rencontrer, en OFF ou en ON. La réponse du Français a été lapidaire : « pas le temps ».

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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