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Israël-Palestine. La bourde diplomatique de von der Leyen

(B2) Une réunion d'urgence des ministres des Affaires étrangères a été programmée ce mardi pour montrer l'unité européenne face aux tensions entre Israël et Palestine. Et éviter des coups de griffe à l'unité européenne. Il s'agit de resserrer les liens et d'éviter des faux-pas intempestifs comme celui qui s'est produit ces derniers jours

Ursula von der Leyen à l'Elysée en juillet 2017, alors ministre allemande la Défense (© NGV / B2 - Archives)

Cette réunion a été convoquée par le Haut représentant de l'UE, chef de la diplomatie Josep Borrell, après consultation avec les différents ministres. L'objectif comme il l'explique dans un tweet est de : « coordonner et discuter la manière dont l'Union européenne peut contribuer au mieux à mettre fin à la violence actuelle ». Ce alors que « l'escalade continue entre Israël et la Palestine (fait) un nombre inacceptable de victimes civiles ».

Il s'agit notamment de proclamer plus fort la voix de l'Europe et donner un message d'unité. Ce qui n'a pas été toujours le cas depuis le début de la crise, entre Européens. La question israélo-palestinienne reste en effet une des plus clivantes sur le plan européen. Et il s'agit d'éviter que la divergence ne prenne le pas sur ce qui réunit les Européens.

Un message très allemand

Un tweet de la présidente de la Commission européenne a fait jaser dans les couloirs européens. Ursula von der Leyen publie sur Twitter vendredi (14 mai) un message ambigu. Elle ne nomme qu'un protagoniste : le Hamas. Elle « condamne » les attaques « indiscriminées » du mouvement palestinien, parle de « protéger les civils de part et d'autre », sans indiquer l'autre adversaire : Israël. Elle ne fait aucune référence à la situation à Jérusalem, comme à l'attitude d'Israël. Une position qui ne reflète en aucun cas la diversité de points de vue au sein de l'Union européenne ou de la Commission européenne.

Un message qu'il faut plutôt lire dans un contexte très allemand. En Allemagne, les tensions au Proche-Orient ont provoqué une montée de fièvre contre Israël : des drapeaux sont brûlés devant les synagogues de Münster et Bonn, mardi soir, et des slogans anti-juifs prononcés à Gelsenkirchen, mercredi. Une situation impossible à tolérer Outre-Rhin. « La chancelière Merkel condamne les attaques à la roquette contre Israël et les incidents antisémites en Allemagne. Notre démocratie ne tolérera pas les rassemblements antisémites » prévient le porte-parole de la Chancelière, Steffen Seibert, vendredi (twitter). La CDU a hissé le drapeau israélien à son siège, en signe de solidarité avec l'État hébreu.

Une bévue diplomatique européenne

Signé depuis son compte de présidente, rédigé dans les trois langues européennes, le message d'Ursula von der Leyen peut cependant laisser croire que l'Union européenne a révisé sa position d'équilibre dans le conflit et désigne un seul adversaire : les Palestiniens. Délicat vis-à-vis du monde arabe comme de certains pays et commissaires européens qui ont une position différente, ou tout simplement plus équilibrée.

Une dynamique du conflit

La dynamique du conflit sur place, avec la destruction d'un immeuble où est abrité la presse internationale, comme la position américaine, viennent prendre très vite la présidente de la Commission européenne à revers. L'administration Biden n'est pas dupe de la position israélienne. Elle rappelle « aux Israéliens que garantir la sûreté et la sécurité des journalistes et des médias indépendants est une responsabilité primordiale » comme l'affirme Jen Psaki, porte-parole du département d'État, samedi (15 mai).

Une position plus équilibrée de la diplomatie européenne

Du côté du vice-président de la Commission européenne chargé des Affaires étrangères, Josep Borrell, la tonalité du message est aussi légèrement différente. Ce, depuis le début de la crise. Et le chef de la diplomatie européenne le rappelle encore dans un message publié samedi (15 mai). « [Je] poursuis mes contacts avec mes homologues pour soutenir les efforts visant à désamorcer la situation extrêmement préoccupante en Israël / Palestine. La priorité et le message de l’UE restent clairs : la violence doit cesser maintenant. »

Message plutôt classique de la diplomatie européenne. Il condamne bien évidemment les tirs indiscriminés du Hamas et ses roquettes, mais demande aussi au gouvernement israélien, nommé précisément, d'assurer la protection des civils, et de respecter le statu quo sur la garde des lieux saints, etc.

Le tir corrigé

S'apercevant de sa bévue, la présidente corrige le tir, samedi en soirée (16 mai), affichant cette fois clairement son « soutien total » aux efforts menés par le chef de la diplomatie européenne « pour travailler à une solution diplomatique pour mettre fin à la violence ».

Un message rédigé, dans une seule langue (en anglais), mais si rapide que le prénom de Josep Borrell est écorché (transformé en Joseph, il sera corrigé juste après). L'incident est clos. Mais il laissera quelques traces.

Conclusion : d'abord maitriser les codes avant de réclamer

La place sur le sofa de la diplomatie ne se résume pas à une exigence de protocole. La géopolitique est un art qui mérite d'être appris et dosé. La bévue du tweet d'Ursula von der Leyen reste limitée (heureusement). Mais la présidente de l'exécutif européen a démontré qu'elle ne maîtrisait pas encore tous les codes d'une fonction plus géopolitique de la Commission européenne. Elle parait ainsi plus à l'aise pour faire une tempête dans un verre d'eau et disputer à Charles Michel une place sur un fauteuil (lire : La stratégie du sofa. De la puissance et de la brutalité), que de propulser l'Europe sur la scène internationale. Elle reste dans un schéma de pensée qui est très berlinois. En matière européenne, et économique, cela a un avantage. Sur la scène internationale, ce n'est pas toujours le juste milieu. Attention aux dérapages futurs, ils pourraient être plus dommageables...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : Conflit en Israël : où est passée la Commission géopolitique ?

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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