La menace terroriste se déplace vers le Golfe de Guinée
(B2) Pour Bernard Emié, le chef de la DGSE, le chef du renseignement extérieur français, on n'en a pas fini avec le terrorisme en Afrique. À partir du Sahel, les groupes terroristes essaiment et étendent leur influence vers le Sud et l'Ouest de l'Afrique
Au sahel : l'objectif désorganiser les groupes armés
Le propos de Bernard Emié se veut volontairement offensif, reprenant le propos du président de la république : « Avec les terroristes, on ne discute pas. On combat. ». L'action menée a permis « d’affaiblir durablement nos ennemis », notamment en Iraq ou sur le plan intérieur. Au Sahel, aussi, elle a permis « de désorganiser les groupes terroristes et d’entraver la plupart de leurs chefs ». Une bonne partie du travail est ainsi d'identifier les chefs, afin de les éliminer.
En expansion vers l'Ouest de l'Afrique, voire l'Europe
Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) développe actuellement un « projet d'expansion » vers le golfe de Guinée, en particulier la Côte d'Ivoire et le Bénin. Depuis le Mali, les terroristes « réfléchissent à des attaques dans la région et en Europe » a lâché le directeur général du renseignement extérieur français (DGSE), Bernard Emié, lors d'un déplacement de la ministre sur la base aérienne des forces spéciales à Orléans, pour un comité exécutif anti-terroriste lundi (1.02).
Pris en étau, les réseaux s'étendent
En plus de « financer déjà des hommes qui se disséminent » dans ces deux pays, « des combattants ont été envoyés aux confins du Nigéria, du Niger, du Tchad, où plusieurs groupes issus de Boko Haram continuent de tisser leur toile et d’assassiner », a-t-il décrit. « Ces pays sont désormais une cible » pour les terroristes. La raison ? Selon lui, les terroristes sont en fait « pris en étau » et donc « s'étendent vers le Sud ».
Direction l'Afrique de l'Est et australe, voire l'Europe
Toutefois, la dispersion des forces terroristes ne s'arrête pas aux frontières sahéliennes. Et ne doit pas être prise à la légère. Le chef de la DGSE est formel : « La situation en Afrique orientale, depuis les Shebabs de Somalie [Al Qaïda NDLR] jusqu'aux infiltrations récentes de l'État islamique au Mozambique », deux pays sur la côte Est du continent africain « nous préoccupent également beaucoup ».
Des chefs d'AQMI pris sur le fait
Le clou de la conférence est la présentation d'une vidéo. On peut y voir un groupe d'hommes réunis sous la tente pour discuter de leurs opérations futures. Sont là les principaux chefs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, notamment Lyad ag-Ghali, le chef du GSIM (Groupe de soutien de l'islam et des musulmans) la filiale 'Sahel' d'AQMI (avec le turban rouge), le chef de la Katiba Macina, Amadou Kouffa (considéré comme le numéro 2 d'Al Qaida au Sahel) (avec le turban noir), Abdelmalek Droukdel, le chef dAQMI (avec le turban, tué par les forces Barkhane le 3 juin 2020).
Commentaire : une action de com' stratégique avant tout
Cette sortie publique d'un directeur du renseignement, qui reste traditionnellement dans l'ombre, est loin d'être anodine, d'autant qu'elle n'a rien d'improvisé.
Sur le plan des informations, il n'y a pas grand chose de concret à glaner, à part cette vidéo. Et encore, elle ne prouve pas grand chose, à part le fait que des chefs de bandes armées se rencontrent pour coordonner leur action. Ce qui est la base d'un mouvement armé. On a cependant la confirmation que c'est surtout Al Qaida et ses filiales au Sahel qui est visé, et moins l'Etat islamique (Daesh) et qu'ne partie de l'action du renseignement a pour objectif l'élimination ('neutralisation' dans la terminologie officielle) des différents chefs des mouvements. Une stratégie plutôt limitée si on en juge par les résultats sur le terrain.
Sur le plan des menaces, on sait déjà que la Somalie n'est pas un havre de paix et qu'il y a un risque terroriste au Mozambique, comme en Afrique de l'Ouest. « Il y a toujours des risques majeurs de développement de djihadistes dans la zone qui va de la Corne de l'Afrique à la Guinée-Bissau » disait déjà Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, en juillet 2014, lors de la transformation de l'opération Serval en opération Barkhane, évoquant déjà un risque pour l'Europe.
« Le but de cette présence, c'est d'empêcher que [le nord des cinq pays du Sahel] ne devienne une filière, un lieu de passage permanent de reconstitution des groupes djihadistes entre la Libye et l'océan Atlantique, ce qui entraînerait ensuite des conséquences graves pour notre sécurité ». Effectivement quand un directeur du renseignement le dit face caméras, cela peut avoir plus de poids qu'un responsable politique, qu'on pourrait soupçonner d'arrières pensées.
Comment l'analyser alors ? Le premier message est à but interne. Il s'agit d'indiquer que la menace n'est pas vaincue, mais qu'elle est suivie. Cela permet de contrer les quelques critiques sur l'utilité de Barkhane, comme les tentations d'en réduire le spectre ou de négocier avec les groupes armés. Des 'ennemis', des 'terroristes', le vocable est on ne peut plus guerrier. Le deuxième objectif est à usage externe, vis-à-vis des Européens comme des Américains. Un petit rappel de l'importance de l'opération française, et de son efficacité, au moment où l'administration Biden révise tous ses objectifs de présence militaire, y compris en Afrique, n'est pas inutile. Idem pour les Européens — des Britanniques aux Espagnols, en passant par les Allemands ou Italiens — qui peinent à s'engager de manière plus prononcée.
(Nicolas Gros-Verheyde, avec Aurélie Pugnet)