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Michel Barnier soulagé ! Le négociateur du Brexit revient sur la scène politique française

(B2 - archives) Durant plus de quatre ans le négociateur européen pour le Brexit, le Savoyard vient de fêter ses 70 ans. Et il compte bien être présent dans la vie politique hexagonale maintenant, après 20 ans passés à Bruxelles

Michel Barnier surveillant du coin de l'oeil la signature par Charles Michel (Conseil européen) et Ursula von der Leyen (Commission européenne) de son œuvre, le traité du Brexit (Photo : Consilium - Archives B2 janvier 2020)

Une vie déjà bien remplie

Michel Barnier a une vie déjà bien remplie au plan national quand il émerge au plan européen. Son premier mandat électif, il l'acquiert à 22 ans, en Savoie, comme conseiller général pour le canton de Bourg Saint-Maurice. Président du département durant 17 ans de 1982 à 1999, il le représente sur les bancs de l'Assemblée. Son poste de coorganisateur des JO d'hiver d'Albertville en 1992, aux côtés du champion de ski Jean-Claude Killy, le fait connaitre du grand public. Ministre de l'Environnement dans le gouvernement Balladur puis des Affaires européennes sous Jacques Chirac, c'est en 1999 qu'il s'épanouit au niveau européen. Le grand homme au regard bleu est propulsé à la Commission européenne en charge de la politique régionale. Poste discret, mais essentiel. Avec un budget de plusieurs dizaines de milliards d'euros, il est le contact privilégié de toutes les régions d'Europe. De quoi tisser de solides relations. Il est aussi un des négociateurs de la Convention européenne chargée, sous la houlette de Valery Giscard d'Estaing, de concocter le texte de la Constitution européenne (devenu ensuite le Traité de Lisbonne). Il préside notamment un des groupes de travail chargé de mettre au point la gestion de crises et la défense européenne. Ce qui apparait comme une marotte alors est devenue une priorité aujourd'hui.

Vision d'avenir

Ministre des Affaires étrangères en 2004, il fait les frais de l'échec en 2005 du référendum sur la Constitution décidé par le président Chirac, Mais il est très vite rattrapé par le virus européen. En 2006, missionné par ses pairs européens, il propose la création d'une « force européenne de protection civile ». Il faut plancher d'urgence sur quelques scénarios de crise, le terrorisme et les pandémies, plaide-t-il. Son rapport, visionnaire, est éclipsé par la crise financière. Mais la réalité lui donnera raison. Après deux ans au gouvernement Fillon comme ministre de l'Agriculture, il retourne à Bruxelles, comme commissaire européen chargé du Marché intérieur. Un poste clé qui lui offre mille contacts. Contacts qui lui ont bien servi au moment du Brexit. Avec les services financiers, confronté à l'hostilité de la City, « j'ai appris à connaitre les Britanniques ». Il a aussi en charge la « réforme des institutions ». Il sera ainsi un des représentants de la Commission européenne à la Convention européenne, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, et chargée de concocter un nouveau projet de traité. Il préside notamment un des groupes de travail chargé de mettre au point la gestion de crises et la défense européenne. Sa marotte. Le projet de 'Constitution européenne' ne recevra pas l'approbation en France et aux Pays-Bas. Le texte renaitra cependant, quasi intact, sous la forme du Traité de Lisbonne. Et ses idées travaillées durant plusieurs années se retrouvent ancrées dans la grâce du Traité.

Le temps des rebuffades

On pourrait croire à un parcours sans embûches. Erreur. Michel Barnier a subi plusieurs rebuffades. En 2014, il pose sa candidature au rôle de chef de file du parti populaire européen pour les élections européennes, voie royale vers la fonction de président de la Commission européenne. Loupé. C'est le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker qui est élu. Il est cité ensuite pour occuper le poste de chef de la diplomatie européenne. Un poste dont il rêve. Mais la France, sous la présidence Hollande, ne veut ni du poste ni de l'homme. Le sémillant Premier ministre italien Matteo Renzi met, lui, tout son poids dans la balance pour imposer sa candidate, Federica Mogherini. Bis repetita cinq ans plus tard. Il espère pouvoir présider la Commission européenne. Las. Le président Emmanuel Macron a d'autres plans : la Banque centrale européenne pour Christine Lagarde et un portefeuille taillé sur mesure à la Commission européenne pour une de ses proches, Sylvie Goulard, remplacée au dernier moment par Thierry Breton. Blessé, Michel n'en laisse rien paraitre et reprend le collier. Imperturbable. Début 2015, il devient conseiller spécial de de Jean-Claude Juncker, chargé de la défense européenne. Poste d'influence. De son bureau perdu au fin fond du Berlaymont, il prépare la montée en puissance de cette nouvelle compétence. A raison. Aujourd'hui, une direction générale (ministère) a été créée au sein de la Commission européenne chargée de gérer un fonds doté de 8 milliards d'euros sur sept ans (environ 1,2 milliard d'€ par an).

La consécration par les Britanniques

Le Non des Britanniques à l'Union européenne, en juin 2016, sonne comme un coup de tonnerre. La nouvelle du Brexit l'attriste. Mais jamais au grand jamais, il n'aura un mot plus que l'autre sur les Britanniques. « C'est une décision, souveraine, libre. Il faut prendre le temps de comprendre » nous explique-t-il. C'est un formidable défi pour l'Europe et pour l'intéressé. Michel Barnier est nommé négociateur en chef européen pour le Brexit. Un poste casse-gueule. Mais le Français tire son épingle du jeu. Son amabilité et sa politesse, rarement prises en défaut, sa méthode d'impliquer tout le monde, son équipe brillante et efficace, s'imposent. Dans une négociation aussi tendue, il « faut garder ses nerfs, ne pas placer l'émotion » au-dessus des enjeux politiques, nous raconte-t-il. Cela tombe bien. « Je suis d'un tempérament placide. »

Dire la même chose à tout le monde

Sa méthode se résume à un mot : « transparence ». « Il faut dire la même chose à tout le monde au même moment. » À chaque négociation, un responsable de son équipe rend ainsi compte en quasi-temps réel à tous les ambassadeurs des '27', qui répercutent l'information sur leur capitale. Personne n'est laissé au bord du chemin. Entre deux rounds de négociation, le Savoyard prend son bâton de pèlerin. Il visite toutes les capitales, écoute chacun, des gouvernants aux universitaires en passant par les parlementaires. Cette manière de faire, humble, très nordique, paie.

Un bloc uni malgré les tentatives de le diviser

Le bloc européen, si divisé par ailleurs, reste uni, jusqu'au bout. Une de ses grandes fiertés. Les dernières semaines de négociation sont cependant « éprouvantes ». Près de « six week-ends intensifs » et épuisants. Quand la veille de Noël, l'accord est scellé, Barnier est donc « soulagé ». Il n'est pas le seul ! « Triste » de voir le Royaume-Uni quitter l'Union. Mais heureux de tourner la page d'une période « intense ». Fin prêt pour d'autres aventures.

Un avenir hexagonal

Ce gaulliste dans l'âme, qui n'a jamais quitté sa famille politique (de l'UDR ou RPR aux Républicains), malgré tous les avatars qu'elle a subis, ne compte pas rester inactif. « Je suis disponible pour ma famille politique » affirme-t-il le soir de la fin de négociation sur France 2. « La France me manque » confirme-t-il le jour de ses 70 ans, le 9 janvier. « J'ai toujours été un homme politique. Aussi longtemps que j'aurai de l'énergie, j'agirai là je peux être utile ». Les avances de l'équipe Macron ne le tentent pas. Il préfère rester « loyal » à son idéal de ses 14 ans.

La loyauté à la droite républicaine chevillée au corps

Cela me confère une « légitimité » affirme-t-il. Se voit-il un rôle dans la présidentielle en 2022 ? Il ne veut rien dire. Mais il y songe sérieusement. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin » tweete-t-il, en guise de vœu de nouvelle année. Et, à côté de Joe Biden, élu à 78 ans, c'est encore un benjamin. Il n'est pas le favori. Et il y a du monde à droite qui veut aller au charbon. Mais il compte bien tirer son épingle du jeu.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Publié dans une première version pour Sud-Ouest le 11 janvier 2021

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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