(B2) Les Biélorusses s’adaptent pour déjouer la répression du régime Loukachenko. Tatsiana Khomich, la soeur de la musicienne et militante Maryia Kolsnikova, membre du conseil de coordination de l’opposition démocratique, témoigne
Tatsiana dans les locaux du Parlement européen, faisant le signe de solidarité des biélorusses, à la fin de l’interview (à distance) (crédit : Parlement européen)
Tatiana a représenté sa soeur lors de la remise du prix Sakharov 2020 à l’opposition démocratique biélorusse, mercredi midi (16.12), dans l’hémicycle du Parlement européen, à Bruxelles.
Votre soeur est membre du conseil de coordination créé au lendemain de la ré-élection contestée d’Alexander Loukachenko. Poursuivie par le régime comme les autres membres du conseil, elle a déchiré son passeport pour ne pas être forcée à l’exil. Elle a été arrêtée début septembre et reste en prison depuis. Quelles nouvelles avez-vous d’elle ?
— Elle est dans une cellule avec trois autres femmes. Aucune poursuite pénale n’a encore été engagée. Nous devrions savoir le 8 janvier [2021] si elle reste plus longtemps en prison, ou si elle est assignée à résidence, ou si elle est libérée avec la condition de ne pas quitter le pays. Maryia ne reçoit pas nos lettres. Presque aucune lettre d’elle ne nous parvient non plus. Elle ne peut pas lire de livres parce qu’elle n’est pas autorisée à les emprunter à la bibliothèque. Peut-être pensent-ils qu’elle pourrait y trouver quelque chose… C’est ce qu’ils lui ont expliqué, que ce ne sont pas les livres qui font grandir ! (sourire) Maryia reste optimiste, courageuse et forte, pleine d’énergie encore.
Le régime poursuit tous les opposants. C’est à ce tire que ses avocats l’ont également été ?
— Deux de ses avocats ont été arrêtés en même temps qu’elle, dont l’un également membre du conseil de coordination. En octobre, un autre de ses avocats a perdu sa licence, et un quatrième a été arrêté, à l’origine pour avoir participé à des manifestations, mais ils n’ont pas pu le prouver donc ils ont modifié le motif d’inculpation, l’accusant d’avoir résisté lors de son arrestation. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce sont des persécutions politiques, des méthode d’intimidation.
Où en est la mobilisation de la population ? Les manifestations et les grèves continuent-elles de façon aussi forte, malgré la répression du régime ?
— Bien sûr, les gens sont stressés, fatigués parce qu’ils ne peuvent pas vivre normalement. Cela fait des mois qu’ils subissent des violences dans la rue. C’est très difficile, mais ils n’abandonnent pas. Si auparavant les protestations étaient massives, et que les gens se regroupaient dans le centre de Minsk [la capitale], maintenant les protestations sont plus locales, les gens se rassemblent dans leurs jardins. Il est plus difficile pour la police de les atteindre. Le type de protestation a changé, mais les gens n’ont pas abandonné.
Le gouvernement a l’intention de fermer les frontières, le 21 décembre. Qu’est-ce que cela va changer pour l’opposition ?
— L’interdiction de sortir ou d’entrer ne concernera que les bus et les trains. Les gens pourront toujours quitter le pays mais, bien sûr, il sera plus facile de canaliser les voitures. Cette étape sera également négative pour l’économie.
Y a-t-il des signes qui vous donnent de l’espoir pour les semaines à venir ?
— Il est vraiment difficile de dire comment et quand il y aura des changements en Biélorussie. Pour l’heure, il y a toujours des violences sexuelles dans les rues, des dizaines de milliers de prisonniers politiques. Nous comptons sur un dialogue organisé avec la participation de l’OSCE, de la Russie et d’autres pays. Mais il faut comprendre que l’ancien président (NDLR. Alexander Loukachenko) n’est pas prêt pour un dialogue. Nous savons qu’une prochaine série de sanctions [européennes] est prévue. Cela pourrait aider mais cela pourrait aussi avoir des effets négatifs. Ce qui est sûr, c’est que c’est un long chemin. Notre liberté est un processus qui peut prendre du temps. Nous sommes prêts pour cela.
(propos recueillis par Emmanuelle Stroesser)
Interview réalisée en vidéoconférence mercredi 16 décembre 2020, en anglais
Journaliste pour des magazines et la presse, Emmanuelle s’est spécialisée dans les questions humanitaires, de développement, d’asile et de migrations et de droits de l’Homme.