Le premier discours sur l’état de l’Union de Von der Leyen. De bons mots, peu de concret et beaucoup d’approximations
(B2) Le discours sur l'État de l'Union prononcé par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, mercredi (16 septembre) devant le Parlement européen, était empli de belles réflexions. Mais il était plutôt faible côté propositions, et parsemé de certains oublis ou fausses informations
Un excellent discours sans trop de concret
Pour un premier discours en tant que présidente, alors que l'Europe vient de vivre une crise du Covid-19 particulièrement intense — crise qui est loin d'être terminée tant au niveau sanitaire qu'économique et politique —, on attendait un peu autre chose que de belles paroles. Ursula von der Leyen a dressé un bon constat des différents défis ou problèmes auxquels sont confrontés les Européens (lire : Ursula von der Leyen dessine les contours d’une Union plus audacieuse). Mais, bien souvent, elle n'en a pas tiré les conséquences, se contenant de mots là où il faudrait des actes. Une position qui semble être une constante chez la dirigeante européenne qui n'a pas montré lors du Covid-19 une propension très grande à l'action (lire : Crise du coronavirus. Ursula von der Leyen est-elle à la hauteur ?)
Biélorussie, Russie, Turquie, une géopolitique du verbe
En matière extérieure, on entend ainsi que l'Europe est du côté des manifestants en Biélorussie, que tisser des liens étroits avec la Russie n'est pas approprié ou que la Turquie doit respecter ses voisins. Mais aucune conséquence n'est tirée de ses propos que l'on pourrait presque qualifier 'de comptoir' s'ils n'étaient pas prononcés par le responsable d'une des plus puissantes institutions européennes. Que va-t-on faire des relations avec Moscou ? Faut-il stopper le gazoduc Nord Stream ? Établir de nouvelles sanctions ? Comment va-t-on venir en aide à l'opposition biélorusse ? Et avec Ankara, quel langage établit-on ? Stoppe-t-on le processus d'adhésion si les provocations turques continuent ? Ces questions légitimes ne trouvent pas de réponse.
Les principaux conflits et la défense passés sous silence
Rien non plus sur la Syrie et la Libye, les deux conflits majeurs aux portes de l'Europe. Et zéro mention du rôle de la défense, pourtant affiché comme un des projets prioritaires européens. Décidément, la 'commission géopolitique' a bien du mal à avancer ses marques. Il en va de même au niveau intérieur sur l'État de droit. Les valeurs européennes sont affichées en priorité. Mais que se passera-t-il quand elles seront violées ? Décidément on a du mal à dépasser le langage 'sermon' du repas de dimanche.
Une souveraineté numérique limitée
En matière industrielle, quelques propos sont intéressants notamment sur l'économie numérique. Mais on aurait aimé en savoir plus. L'Europe va investir 8 milliards dans des supercalculateurs. Mais pour quoi faire ? Fera-t-on un cloud européen ? Arrivera-t-on à créer des tuyaux européens (réseau social, système de livraison pour se dégager de l'emprise des GAFA (Google, Apple, Amazon, Facebook) ? On attend davantage à l'évocation de mots aussi engageants que « souveraineté numérique ».
Un langage peu modeste sur le rôle de l'UE dans le Covid-19
Enfin, au sujet de la crise du Covid-19, un peu de modestie et de retour d'expérience n'aurait pas été de trop. Plutôt que cette impression d'entendre un conte pour enfants. L'Europe a partout bien agi. Et si elle n'a pas pu, c'est de la faute des méchants États membres qui ne lui ont pas donné de compétences. Ce n'est pas tout à fait faux. Mais c'est en grande partie inexact. Et c'est là où le propos d'Ursula von der Leyen pêche largement.
Le bal des oublis ou informations inexactes
Le discours est truffé de quelques approximations, oublis, voire d'informations erronées. Ce qui est très gênant au moment où l'exécutif européen affirme en priorité vouloir lutter contre la désinformation. Rien que sur le passage de l'action européenne liée à la crise du Covid-19, j'ai relevé quatre exemples qui m'ont fait bondir.
Premier élément : un manque de compétences pour agir ? Ou un manque de volonté ?
La présidente dresse un bilan positif vantant l'action de la Commission durant le Covid-19, « tout cela sans disposer des pleines compétences ». Ce qui est légèrement faux : la Commission dispose de certaines compétences notables en matière de libre circulation des personnes, comme de marchandises, de santé et de protection civile (1). Une compétence renforcée sur ce dernier domaine depuis le Traité de Lisbonne. Et une compétence qu'elle n'a pas utilisée pleinement.
NB : C'est une vieille rengaine. Dès qu'elle pourrait se voir critiquée pour ne pas avoir agi, la Commission sort l'argument — je n'ai pas de compétences — et renvoie le bébé sur les États membres. Tout cela pour masquer (parfois) un manque de volonté et des erreurs en cascade. Comme cela a été sur la crise du coronavirus. Lire aussi : Face au Coronavirus, agir et être solidaire n’est pas une faculté, c’est une obligation. Dixit le traité.
Deuxième élément : six semaines pour envoyer une quinzaine de médecins en Italie
« Notre mécanisme de protection civile a permis à des médecins roumains de traiter des patients en Italie ou à la Lettonie d'envoyer des masques à ses voisins baltes » indique U. von der Leyen. Elle oublie un élément fondamental : les médecins roumains ne sont arrivés que le 7 avril en Italie. Soit plus de six semaines après l'appel à l'aide officiel de l'Italie à l'Europe. Une telle lenteur s'est rarement vue dans une crise humanitaire. Et la faute ne repose pas vraiment sur les 15 personnels roumains (11 médecins et 4 infirmières). Mais tient à la lenteur de décision de la Commission von der Leyen (et à l'absence de réponse des États membres qui ne se sont pas vraiment fait sonner les cloches). Un peu de mea culpa, et de retour d'expérience, pour donner des pistes pour l'avenir, aurait été plus intéressant.
Troisième élément : un faux chiffre sur les rapatriements
« Lorsque plus de 600.000 citoyens de l'Union ont été bloqués dans toutes les parties du monde, l'UE les a rapatriés » affirme Ursula von der Leyen. Ce n'est pas exact, voire totalement faux. L'essentiel des effectifs (près de 90%) a été rapatrié par les États membres ou par les intéressés eux-mêmes. L'Union a certes contribué de façon notable à cet effort, via le mécanisme européen de protection civile qui a financé ou coordonné certains vols. 82.064 citoyens de l'UE très exactement — et environ 10.000 autres citoyens non-UE (Royaume-Uni, Suisse, Norvège, Ukraine, Biélorussie, Turquie, Serbie, etc.) — ont ainsi été rapatriés avec le soutien du mécanisme européen de protection civile, selon le chiffre officiel (en date du 10 septembre). Autant dire que c'est beaucoup, mais très, très loin des 'plus de 600.000' vantés par la présidente. On n'est plus là dans l'approximation, mais dans la diffusion de fausses nouvelles.
Quatrième élément : l'oubli d'un dérapage
« Lorsque certains pays ont décrété des interdictions d'exportation pour des produits médicaux essentiels, nous y avons mis fin et nous avons veillé à ce que le matériel médical essentiel arrive là où il était nécessaire. Nous avons travaillé avec les industriels européens pour accroître la production de masques, de gants, de tests et de respirateurs. » C'est vrai. Mais là encore, la présidente de la Commission européenne esquive la vérité. La réaction désordonnée des pays européens en matière de blocage des frontières, le blocage de la libre circulation n'a entrainé que peu de réactions européennes. Et cet aspect est soigneusement biffé des propos présidentiels.
(Nicolas Gros-Verheyde)
- Le Traité définit bien que les 'enjeux communs de sécurité en matière de santé publique' sont une des compétences partagées de l'Union européenne (article 5). Et elle dispose d'une compétence dans le domaine de la 'protection de la santé humaine' comme de la 'protection civile' pour « appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres » (article 6).