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Le conflit en Syrie laisse les Européens sur le flanc. Une menace hybride venue du Sud-Est

(B2) Ce qui se passe aux frontières entre la Grèce et la Turquie n'est pas anodin. L'utilisation par Ankara des demandeurs d'asile et de migrants comme une force de frappe civile ressemble à s'y méprendre une menace hybride

Le gouvernement turc procède ainsi, à 'petite échelle', ce que Bachar el-Assad a fait, à 'grande échelle' en Syrie, faire pression sur les pays voisins en repoussant sa population civile, et ce que Vladimir Poutine a testé au nord de la Finlande en envoyant par le biais de bus des migrants arriver par le nord du pays.

Une politique délibérée...

La pression politique a été clairement exprimée (1). Elle a ensuite été exécutée. Des bus ont été mis à disposition d'étrangers de façon indirecte, notamment dans des municipalités détenues par l'AKP, le parti au pouvoir. Les garde-frontières turcs ont laissé passer les flux de personnes sans vérification. Idem en mer où les garde-côtes ont (semble-t-il) accompagné quelques canots pneumatiques jusqu'à leur limite territoriale.

... visant à obtenir un soutien européen en Syrie

L'objectif politique turc est clair : obtenir des Européens un soutien politique inconditionnel et un soutien militaire (renseignement, défense aérienne, voire zone d'exclusion aérienne) à son action dans le nord de la Syrie (2). Or, Athènes a bloqué toute déclaration de soutien trop ferme de l'Alliance atlantique. La réplique ne s'est pas faite attendre côté Ankara. On a ainsi une menace hybride clairement constituée selon la définition donnée par l'Union européenne (3).

L'Europe au fond de la nasse

L'Europe n'a cependant qu'à s'en prendre à elle-même. En signant l'accord en 2016 avec la Turquie, l'Union européenne avait pris une mesure de sauvegarde, nécessaire en urgence. Cela fait bientôt quatre ans. Et la Turquie a plutôt jusqu'ici plutôt bien respecté cet accord. Elle a accueilli plus de trois millions de réfugiés de la guerre de Syrie. Mais les Européens se sont endormis sur cet accord. En se reposant totalement sur cet accord, en refusant d'entrouvrir leurs portes, ils ont non seulement confié le soin de la garde des frontières de l'Europe aux Turcs, ils leur ont donné les clés de la porte. Ce faisant, ils sont à la merci de la moindre pression du gouvernement turc.

Reprendre les clés de la porte

S'ils avaient accepté de prendre, de façon contrôlée, davantage de demandeurs d'asile de la Turquie — ce qu'on appelle les réinstallations —, l'équilibre aurait pu être inversé. La clé de la porte serait aux mains des Européens qui pourraient jouer de l'ouverture ou non du robinet selon l'orientation de la politique turque. Les Européens n'ont pas le choix désormais. Ils doivent revoir cet accord de 2016 non pas dans tous ses aspects, mais dans une politique de restriction de l'accueil. C'est une décision qui n'est pas spécialement populaire. Elle demandera patience, pédagogie et maintes explications. Mais il vaut mieux un dispositif d'accueil encadré, fluide, que cette psychose et cette menace permanentes.

Le crash test de la Commission 'géopolitique'

Ursula Von der Leyen vit dans cette crise gréco-turque sa première mise à l'épreuve de la Commission géopolitique. Ce qui se passe en Syrie, et en Libye, et vrai crash test de la nouvelle équipe. Finis les mots, désormais, il faut agir (4). Avec de l'audace si possible, des mesures et pas uniquement une gesticulation médiatique et quelques bons mots. Une Commission 'géopolitique' ne se décrète pas. Elle se constate... ou non.

Les premiers cent jours de la nouvelle équipe ne nous ont pas éblouis. S'ils ne réussissent pas, la Commission géopolitique aura vécu. Elle redeviendra — ce qu'elle n'aurait peut-être jamais dû quitter — le giron de l'initiative économique et politique de l'Union européenne.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé samedi (29 février) l'Europe d'une nouvelle vague migratoire. Il a réitéré son propos lundi (2 mars), menaçant de maintenir les « portes de l’Europe ouvertes » et réclamant à l'Union européenne un « juste partage du fardeau ». « Depuis que nous avons ouvert nos frontières, le nombre de ceux qui se sont dirigés vers l’Europe a atteint les centaines de milliers. Bientôt, ce nombre s’exprimera en millions », a affirmé lundi le président turc.
  2. Une réaction à la mort de 34 soldats turcs, tués dans la région d’Idlib par un bombardement aérien de l'aviation russo-syrienne.
  3. 'Hybrid threats combine conventional and unconventional, military and non-military activities that can be used in a coordinated manner by state or non-state actors to achieve specific political objectives.'
  4. Un conseil extraordinaire des ministres des Affaires étrangères devrait se tenir en fin de semaine.

Lire aussi : (reportage) En Grèce, aux frontières extérieures de l’UE

 

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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