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[Carte Blanche] C’est ainsi que se termine le rêve européen. Et ils ne s’en rendent pas compte

(B2) Ce soir je laisse la parole à Lorenzo Consoli, mon collègue italien. Il est, d'une certaine façon, beaucoup plus concerné que moi pour parler de la situation actuelle. Son message vaut d'être lu, et entendu

Lorenzo Consoli (DR)

Reviens Juncker ils sont devenus fous ! (1)

Il est dix heures du soir, samedi 28 mars, le jour où, en Italie, les décès dus au coronavirus ont dépassé 10.000. L'Espagne, malheureusement, y arrivera bientôt. La France craint d'avoir pris le même virage.

L'État dépense beaucoup dans ces pays, et en déficit, pour sauver le plus de vies possible, avec des soins intensifs pour les patients les plus graves et avec un confinement pour arrêter la contagion.

Si la solidarité européenne était plus qu'un mot vide et hypocrite, il serait normal que les pays de l'Union européenne financièrement plus forts acceptent l'idée que la dette publique générée par la réponse à la pandémie soit émise en commun, avec des garanties communes, aux mêmes intérêts pour tous. Les euro-obligations. Comme si l'Espagne, pour l'Allemagne, était ce que la Lombardie est pour l'Italie, une partie d'une grande nation, la nation européenne.

Mais ce n'est pas le cas. La nation européenne n'existe pas. La solidarité européenne est un mot vide et hypocrite. [Les premiers ministres] Angela Merkel et Mark Rutte ne regardent pas l'Europe, ils ne regardent que les Allemands et les Néerlandais. Ils savent que s'ils acceptent les euro-obligations, le lendemain une crise gouvernementale s'ouvrira pour eux.

Dans tout cela, aujourd'hui, l'Allemande Ursula von der Leyen, qui est censée représenter l'intérêt général des citoyens européens, même si elle va à l'encontre des opinions et dogmes idéologiques des Allemands, a finalement prononcé le mot tabou — Euro-obligations — pour dire que « ce n'est qu'un slogan », que « ce n'est pas le plan », que l'UE « n'y travaille pas » et que « les réserves de l'Allemagne et d'autres pays sont justifiées ».

Le vieux Jacques Delors [l'ancien président de la Commission européenne] a tiré la sonnette d'alarme : nous sommes confrontés à un danger mortel pour l'Europe. Cette Europe qu'il a construite plus que tout autre après les pères fondateurs. Von der Leyen regarde ailleurs. Chaque jour, elle enregistre de magnifiques messages vidéo, en trois langues, écrits par quelqu'un d'autre pour elle. Mais ce qui compte, ce sont les ordres qu'elle reçoit de Berlin.

C'est ainsi que se termine le rêve européen. Et ils ne s'en rendent même pas compte.

(Lorenzo Consoli)

Je précise que Lorenzo fait partie des plus anciens journalistes de Bruxelles, qui sont à la fois expérimentés, talentueux et pondérés. Correspondant pour Askanews, son sens européen, il le possède jusqu'au bout des ongles. Trouver quelqu'un de plus pro-européen que lui dans la salle de presse est difficile. Son message doit donc être entendu, et non méprisé. Trop souvent, je vois quelques commentaires, sur les réseaux sociaux, parfois désobligeants, parfois mal informés, de militants pro-européens qui n'ont d'égal dans leur refus de voir la réalité, et de toute critique, que les apôtres des régimes totalitaires. Et je sais de quoi je parle... Aujourd'hui, il faut écouter la souffrance de ceux qui ont mal à l'Europe. Ce n'est pas cette Europe que nous avons rêvée, vécue et accompagnée, jusqu'ici. On est face à un monstre froid, impavide.

  1. Traduit de l'italien par nos soins (texte original ici). L'expression 'Aridatece Juncker' est difficilement traduisible. La terminologie 'Aridatece' est typique de l'agglomération romaine. Elle a été utilisée dans l'Italie post-fasciste quand la déception s'est emparée de la population face à l'impéritie des politiques au pouvoir après la libération et la seconde guerre mondiale.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

4 réflexions sur “[Carte Blanche] C’est ainsi que se termine le rêve européen. Et ils ne s’en rendent pas compte

  • Armand FRANGULIAN

    Lorenzo a tout a fait raison. J’appuie entièrement ce qu’il dit et je m’inquiète pour l’avenir. L’égoïsme et le court-termisme ne sont pas la réponse à la crise présente du coronavirus et aux défis auxquels l’Union européenne, notre Union européenne, sera confrontée au 21e siècle.

    Heureusement que ce blog existe pour essayer de réveiller les consciences.

    Merci à tous et à toutes

    Armand

  • Vandercammen

    Malheureusement, l’UE n’a jamais été sociale, humaine, écologique mais bien politique et surtout économique. Dommage

  • jean yves BAINIER

    Constat hélas désolant….quelques élément plus positifs cependant l’accueil de malades français (du Grand Est) dans les hôpitaux allemands, luxembourgeois, et ….suisses. Le transport par avion militaire allemand de malades français vers les hôpitaux d’autres régions françaises

    • Il faut toujours être positif. Vous avez raison. Mais ce n’est pas extraordinaire en soi. Il y a régulièrement de l’accueil de malades (ou blessés) de l’autre côté de la frontière. Surtout en cas d’accident ou de crise majeure. Heureusement

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