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Quand Tintin Michel se balade, le Conseil européen trinque

(B2) L'échec du sommet européen de jeudi et vendredi (20 et 21 février) sur le cadre budgétaire 2021-2027 est surtout le fait des divisions des '27'. C'est certain. Personne n'avait vraiment envie d'un compromis. Ni les radins ni les dépensiers. Mais Charles Michel a une part, non négligeable, dans ce plantage. Sa méthode de travail, sa dispersion, son manque de style ont pesé

(crédit : Conseil de l'UE)

Tintin voyage

Alors que sa nomination est actée depuis fin juin 2019 et qu'il est en poste officiellement depuis début décembre, on ne peut pas dire que le nouveau président du Conseil européen ait pris sa tâche à cœur tout de suite. Sitôt nommé, Tintin Michel part se balader. Istanbul, Le Caire, Jérusalem et Tel Aviv, Addis Abeba, Tirana et Skopje. En quelques semaines, en janvier et début février, le nombre de déplacements officiels, hors de l'UE, n'est pas négligeable.

... blablate

À chaque fois, cela s'accompagne d'une déclaration, qui enchaîne des phrases types, plutôt banales. Même les communiqués du SEAE (le service diplomatique européen), pourtant taillés au cordeau, où chaque mot est soupesé à l'aune des diplomaties nationales, en disent davantage. Et si l'écrit collectif est trop succinct, le Haut représentant de l'UE, Josep Borrell, au langage plutôt franc, permet d'avoir un langage autrement plus clair et direct, tout en restant diplomatiquement correct.

... et perturbe

Charles Michel ne s'arrête pas là. Il use de son téléphone. Il appelle le président iranien Rohani à qui il parle accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), position dans le Moyen-Orient, etc. Quelques jours plus tard, juste avant la conférence de Berlin, il téléphone au dirigeant russe V. Poutine pour parler, là encore, d'un peu tout (Libye, Moyen-Orient, Ukraine). Et, là encore, il le fait savoir. Car la diplomatie de 'Tintin Michel' semble davantage axée sur la volonté de se faire valoir, que sur celle d'apporter une 'vraie' valeur ajoutée (1).

Le diplomate débutant

Cela fait grincer un peu des dents, dans les couloirs européens. Du côté des diplomates expérimentés, on juge ces prises de position au mieux plutôt inutiles, et intempestives. « C'est l'enthousiasme des débuts » nous glisse-t-on. Du côté Russe, on rigole, sachant comment faire vibrer la fibre 'vanité' de l'ancien Premier ministre belge. Ce qui n'était pas trop possible avec son prédécesseur, Donald Tusk...

Est-ce le rôle du président du Conseil européen ?

Si on interroge un diplomate européen, il vous répondra : oui, sans ambage.

Un rôle fixé par le Traité

De par le Traité, le président du Conseil européen a un rôle de représentation extérieure (2). Mais, il faut aussi le préciser, le traité considère cette fonction comme secondaire par rapport au rôle de présider, d'animer, de préparer les réunions du Conseil européen, et surtout d'assurer « la cohésion » du Conseil (3). Sur le dossier 'Moyen-Orient', malgré tous les efforts, deux voix dissonantes se font entendre (cf. encadré). Fait regrettable...

En étroite liaison avec le chef de la diplomatie européenne

Cette fonction de relations extérieures doit être assurée en étroite liaison avec le Haut représentant qui est, lui, le véritable chef de la diplomatie européenne. À lui, au jour le jour, la présence sur tous les dossiers chauds du moment, en particulier dans les zones de crise. De même que l'autorité sur les délégations de l'UE, la rédaction des télégrammes diplomatiques, comme la présidence des réunions des ministres des Affaires étrangères. Or la liaison avec le Haut représentant ne semble pas avoir été complètement effective.

Une parole précieuse à ne pas gaspiller

Cela ne veut pas dire que le président du Conseil européen n'a pas droit à la parole et que sa parole extérieure n'est pas importante. Mais elle ne doit pas être gaspillée. Elle est très précieuse notamment pour négocier avec les partenaires stratégiques, pour assurer la présence dans les grandes enceintes internationales, type G7 et, surtout, pour maintenir l'unité sur les grands sujets de politique étrangère. Malheureusement ce rôle là aussi est raté (cf. encadré).

Un oubli des priorités

En inversant les priorités, le président du Conseil européen a sans doute commis une erreur de débutant et surestimé ses forces.

Une certaine impréparation

Charles Michel avait une tâche importante : trouver un accord sur le cadre budgétaire futur de l'Union européenne. Une tâche délicate, ardue, qui requerrait une présence de tous les instants. Les positions très éloignées, durcies par le temps, méritaient un travail acharné. Le sommet raté de jeudi et vendredi l'a prouvé. Cet échec est aussi celui d'une certaine impréparation. Trouver un compromis ne se fait pas avec quelques vidéos conférences ou visites aux chefs de gouvernement ou d'État.

Adopter la méthode Barnier

Cela nécessite non seulement de voir chacun des protagonistes, mais aussi de visiter chacun des parlements, de rencontrer les groupes socio-économiques, de comprendre les tenants et aboutissants de chaque État, pour arriver à les faire fléchir, et amender leur position. Un travail de bénédictin, qu'a mené par exemple Michel Barnier sur le Brexit (avec succès). C'est autrement moins glorieux que d'aller se balader dans quelques capitales du Moyen-Orient, des Balkans, ou d'Afrique. C'est vrai. Mais c'est le 'job'.

Une erreur de jeunesse

En pensant se dispenser d'un tel travail, Charles Michel a surestimé sa force de conviction. Croire que quelques coups de fils, de longues discussions en bilatéral et qu'une négociation au 'finish', à la Belge, pouvait marcher était un pari. Sans une préparation sérieuse en amont, le pari était très risqué. Tel le jeune cadre dynamique à qui on offre tout d'un coup un 'pass unlimited', Charles Michel s'est cru autorisé à se projeter sous les 'sunlights' pour pouvoir prétendre régler les problèmes du monde. C'était un peu présomptueux.

Un trio directorial qui a dû mal à trouver son style

Car l'actuel président du Conseil européen n'a ni l'expérience de son compatriote Herman Van Rompuy (qui la jouait discrète) ni la force et l'aura  - il faut le reconnaître - du Polonais Donald Tusk. Deux personnalités qui l'ont précédé à ce poste, chacune avec son style. Charles Michel doit encore prendre ses marques. Il n'est pas le seul. Les premiers pas de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sont aussi décevants. Le seul à tirer son épingle du jeu aujourd'hui est le 'vieux', Josep Borrell. Avoir deux maillons faibles sur trois, qui se 'tirent la bourre', au lieu de marcher, main dans la main, c'est dommage. Au moment où, plus que jamais, l'Europe a besoin de leadership, c'est une erreur.

(Nicolas Gros-Verheyde)


Un rôle limité dans l'unité européenne

N'en déplaise ce qu'aime à dire l'entourage du président du Conseil européen, Charles Michel (n')a (pas) forcé l'unité européenne face au au plan américain pour la paix entre Israël et la Palestine. Ce n'est pas lui qui a été le principal artisan du rassemblement.

Le premier communiqué publié très vite dès la publication du plan US, 'au nom des 28' (le Royaume-Uni était encore membre), était un communiqué d'attente et de rappel de la position européenne. Le minimum syndical européen (lire : Le plan de paix US pour le Moyen-Orient accueilli avec prudence par les Européens).

Mais l'unité apparente s'est très vite fractionnée. Et il n'a pas été possible de répéter l'exercice quelques jours plus tard. Ce qui a obligé le Haut représentant de l'UE à faire un communiqué en son nom propre (soutenu par une majorité de l'UE) et non au nom de l'Union comme espéré. La République tchèque et surtout, la Hongrie, avec un déplacement à Washington et une déclaration tonitruante de son ministre des Affaires étrangères, a fait savoir publiquement son désaccord avec la position commune (lire : Le plan de paix américain pour le Moyen-Orient en infraction du droit international dénonce l’Union européenne).


  1. On sent comme une volonté chez Charles d'égaler le père. Un complexe d'Oedipe mal digéré peut-être. Louis Michel, ancien ministre des Affaires étrangères de Guy Verhofstadt, ancien commissaire européen chargé du Développement, en connaissait un rayon au niveau international.
  2. « Le président du Conseil européen assure, à son niveau et en sa qualité, la représentation extérieure de l'Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, sans préjudice des attributions du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. » (article 15.6 TUE, 1er alinéa)
  3. « Le président du Conseil européen : a) préside et anime les travaux du Conseil européen; b) assure la préparation et la continuité des travaux du Conseil européen en coopération avec le président de la Commission, et sur la base des travaux du Conseil des affaires générales; c) œuvre pour faciliter la cohésion et le consensus au sein du Conseil européen; d) présente au Parlement européen un rapport à la suite de chacune des réunions du Conseil européen. » (article 15.6 TUE, 2e alinéa)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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