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Face au regain d’insécurité au Mali, la MINUSMA pourrait se doter d’une force mobile

(B2) Au lieu de s'améliorer, la situation au Mali connaît un « regain d'insécurité ». Une dégradation « alarmante ». C'est le constat, plutôt pessimiste, fait par le Conseil de sécurité de l'ONU ce 15 janvier, sur base du dernier rapport trimestriel du secrétaire général. Un pessimisme qui influence les débats sur le futur de la mission de paix onusienne, la MINUSMA, dont le mandat expire en juin

Patrouille de soldats sénégalais (crédit : Minusma mai 2019)

Un constat alarmant

De manière générale, la situation empire au Mali. Pendant le dernier trimestre de 2019 (sur lequel le rapport est basé), la MINUSMA a subi 68 attaques – principalement dans les régions de Mopti (46 attaques), contre 20 au trimestre antérieur. La période considérée a été également marquée par une série d’attaques meurtrières dirigées contre les forces armées maliennes ; 193 soldats tués et 126 blessés (+ 116 % par rapport à la période précédente) (1).

Aggravation au centre du Mali où les terroristes s'installent

Les chiffres montrent que les tensions se concentrent au Centre du pays. En effet, « la situation dans le centre demeure extrêmement complexe et très préoccupante » indique le rapport. « Les groupes terroristes prolifèrent et affirment leur présence », ce qui alimente les violences intercommunautaires. Face à l'insécurité grandissante, les milices d’autodéfense « refusent de se dissoudre ou de déposer les armes car elles estiment être les seules à pouvoir assurer la sécurité de leurs populations ». Les groupes terroristes sont également plus nombreux dans la zone dite des 'trois frontières'. Le rapport pointe l'influence grandissante de l'État islamique du Grand Sahara (filiale de Daech) dans la zone située au sud du fleuve Niger et jusqu'à la frontière avec le Burkina Faso.

Le Nord toujours critique

Si tous les regards sont tournés vers le centre, la situation reste mauvaise au Nord du pays. L'état de la sécurité s'y est « dégradé et a gagné en complexité », avec une combinaison explosive d'activités terroristes et affrontements communautaires. Dans la région de Gao, l'infiltration constante de groupes terroristes armés est telle que « certains interlocuteurs ont comparé la situation à celle de 2012 ». Le Mouvement de l'Azawad a repris le contrôle de région autour de Tombouctou et Kidal, « sur fond de diminution de la présence de l’État » et « notamment le manque de redéploiement des forces de défense et de sécurité maliennes dans le Nord ». Assurer le retour de l'État est l'enjeu principal dans ces régions. Si « un nombre moins important » d’actes de violence et de crimes est signalé, « la population subit néanmoins des exactions et de graves atteintes aux droits de l’homme ».

Retards persistants pour la mise en œuvre de l'accord de paix 

Sur le plan politique, le rapport déplore la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali de 2015 « de manière lente et irrégulière ». « L’incertitude domine » sur les suites du dialogue national inclusif engagé par le pouvoir et son impact sur une réforme constitutionnelle. En décembre, des membres de la société civile et de la classe politique ont achevé une semaine de travaux par un appel à de nouvelles élections et à une révision de la Constitution. Mais « les divergences entre les principales parties prenantes sur l’orientation des discussions peuvent rendre difficile l’émergence de recommandations concrètes fondées sur un consensus », affirme le rapport. Si certains progrès sont mis en avant, le gouvernement malien est appelé à accélérer son travail « d’urgence ». 

... dont la réintégration de 3000 anciens combattants

Parmi les mesures en retard, il y a notamment la réforme du secteur de la sécurité. Si 1330 ex combattants des mouvements armés signataires de l'accord ont été réintégrés, la formation, intégration et redéploiement d'au moins 3000 autres n'avance pas. Le gouvernement, mais aussi les groupes armés de la Plateforme et de la Coordination (également signataires de l'accord) sont appelés à progresser dans ce dossier.

Inquiétude autour du sentiment anti-MINUSMA 

Le rapport fait également constat et indique l'inquiétude grandissante provoquée par le sentiment anti-MINUSMA au Mali. Les groupes armés « remettent de plus en plus en cause la présence des forces internationales, dont la MINUSMA, qu’ils perçoivent comme des rivaux, et mobilisent de plus en plus la population locale contre cette présence ». Des manifestations ont « parfois » bloqué les patrouilles de la mission, et ont même parfois « dégénéré » comme le 12 octobre, devant le camp de la mission à Séparé, faisant des dégâts matériels importants.

Le futur de la MINUSMA en question 

« La présence de la MINUSMA au Mali reste indispensable et la pertinence de son mandat ne se dément pas » pointe le rapport.

Un plan d'adaptation vers le centre du pays  

Pendant la réunion du Conseil de sécurité, l'accent a été mis sur l'impact de la nouvelle réalité malienne sur la mission onusienne, qui a mis en place un plan d'adaptation pour toutes les composantes de la mission (force, police, civile). Plan qui répond au mandat donné juillet dernier (lire : La Minusma prolongée jusqu’en 2020. La situation dans le centre du Mali objet de toutes les attentions). L’accent accru de la MINUSMA sur le centre du Mali obligeant la mission à détourner des capacités clés, telles que des moyens aériens, sa force de réaction rapide et ses moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) de Gao à Mopti. Pour Jean-Pierre Lacroix, chef des opérations de paix de l'ONU, la mission ne peut pas mettre en œuvre son mandat « sans ressources supplémentaires ».

Vers une force opérationnelle mobile...

Ce plan d'adaptation inclut une « proposition viable » pour la création d'une force opérationnelle qui soit « plus agile, flexible et mobile ». Dotée d’unités sur mesures et de capacités renforcées, et surtout d’une mobilité aérienne accrue, elle devrait permettre de renforcer la capacité de la MINUSMA à « protéger les civils dans les régions les plus touchées - le centre et le nord ». Un projet auquel seules la France et la Belgique ont ouvertement apporté leur soutien. Les autres pays siégeant au Conseil de sécurité ont appelés à ce que la mission ait les moyens de son mandat.

NB : Cette proposition n'est pas sans rappeler le travail, très apprécié, des forces spéciales portugaises dans la mission onusienne en Centrafrique, la MINUSCA (lire : Reportage à Bangui. EUTM RCA et MINUSCA pour stabiliser un pays).

... si des ressources supplémentaires sont attribuées

La création ou pas de cette force dépendra de la disponibilité de « ressources supplémentaires ». Les États membres sont appelés à « appuyer » la proposition lorsqu'ils « examineront les contributions et le budget de la Mission ». Pour Jean-Pierre Lacroix, cette force est « indispensable ».

Ce sera sans le soutien des États-Unis 
L'administration de Donald Trump s'aligne avec le reste des membres du Conseil de sécurité pour dire que la MINUSMA doit mettre l’accent sur la protection des civils et rediriger ses ressources vers le centre du pays. Mais les Américains souhaitent qu’on lui retire son mandat d’appui à la mise en œuvre de l’accord d’Alger, considérant le Gouvernement du Mali et les groupes armés signataires peu disposés à le mettre en œuvre. Cela s'accompagne d'un appel à réduire la taille de la mission pour allouer les ressources ainsi dégagées à des initiatives plus efficaces à la lutte contre le terrorisme dans la région. L'ambassadeur américain a donc demandé une « évaluation lucide » de la MINUSMA d’ici à juin. Une proposition à laquelle la Russie s'est opposée.

Pas de mandat de lutte contre le terrorisme 

Au cœur de l'argumentaire américain, la croyance qu'une force de maintien de la paix « n’est pas forcément le meilleur moyen pour faire face au terrorisme dans la région ». Une analyse partagée, puisque le propre secrétaire général de l'ONU, dans son rapport, se dit « convaincu que les organisations partenaires sont mieux placées pour mener de grandes opérations de combat et de lutte antiterroriste ». Un appel du pied aux Européens que Jean-Pierre Lacroix avait déjà exprimé à Bruxelles en novembre dernier (lire : Maintien de la paix et contreterrorisme en Afrique. L’ONU s’efface, l’UE se renforce (JP Lacroix)).

(Leonor Hubaut)

Télécharger le rapport de l'ONU

  1. Une inquiétude exprimée également par les Européens. Lundi 20 janvier, le Haut représentant Josep Borrell a rappelé que « 1500 militaires » ont étés perdus par les pays du G5 Sahel en 2019. « Le chiffre le plus haut depuis 2012. » Si on ajoute les civils, le bilan serait « aux alentours de 4000 » morts. Des chiffres qui font écho à ceux du Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS).

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Leonor Hubaut

© B2 - Bruxelles2 est un média en ligne français qui porte son centre d'intérêt sur l'Europe politique (pouvoirs, défense, politique étrangère, sécurité intérieure). Il suit et analyse les évolutions de la politique européenne, sans fard et sans concessions. Agréé par la CPPAP. Membre du SPIIL. Merci de citer "B2" ou "Bruxelles2" en cas de reprise Leonor Hubaut est journaliste. Diplômée en relations internationales de l'Université Libre de Bruxelles (mention mondialisation). Elle couvre pour B2 le travail du Parlement européen, les missions de la PSDC et les questions africaines. Spécialiste du Sahel.

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