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Deux candidats commissaires de la Commission Von der Leyen sur la sellette. De l’amateurisme ?

(B2) La nouvelle procédure mise au point par le Parlement européen pour vérifier les possibles conflits d'intérêts des commissaires européens est très intéressante. Même si elle pèche encore par certains défauts

Une procédure qui balbutie

Cette procédure nouvelle n'avait jamais été usitée jusqu'à présent. Il n'est pas donc anormal de voir quelques balbutiements dans son maniement. On ne peut cependant pas s'empêcher de constater un certain amateurisme dans le chef des députés présents, à moins que ce ne soit une volonté politique de bloquer toute procédure. Car les députés ont été incapables hier de s'entendre sur des recommandations précises, concrètes, utiles, à adresser à la présidente de la Commission européenne (lire : Rovana Plumb et Laszlo Trocsanyi sont dans le même bateau. Qui tombera à l'eau ?). Cela peut s'expliquer sans doute par la présence en nombre de nouveaux députés, dans une commission assez petite (25 eurodéputés) et qui n'est pas, dans la hiérarchie parlementaire européenne, une des plus importantes. Mais son rôle est primordial lors de la vérification des déclarations d'intérêts des candidats commissaires ou des eurodéputés.

La question des moyens d'investigation est posée

Un point paraît urgent à résoudre : la question des moyens d'investigation. Une faille dont se font l'écho des députés de différents bords politiques. « Nos moyens sont extrêmement limités, en termes de vérification d’informations » a dénoncé la leader du groupe de la gauche unie, la Française Manon Aubry (GUE). Même son de cloche chez son compatriote, Sébastien Séjourné, chef de la délégation française de la République en Marche (groupe centriste Renew). « Nous n'avons pas d'expert à disposition. Nous ne pouvons pas contacter directement les autorités de police ou financières. Il faudrait une Haute autorité qui puisse avoir à la fois l'expertise et la compétence pour pouvoir faire toutes les vérifications des déclarations d'intérêts » au préalable ou a posteriori.

Un risque d'inégalité et de vote purement politique

Il faut aussi s'interroger pourquoi certains candidats commissaires passent l'examen sans trop de difficultés et pourquoi d'autres échouent. S'il y a la moindre inégalité dans le traitement des uns et des autres ce serait dommageable. Et ce serait la prime au 'vrai fraudeur' bien organisé et non au 'petit fraudeur' maladroit qui s'est fait prendre sur le fait ou est incapable de se justifier. Si un candidat ne passe pas la rampe pour des raisons davantage politiques que juridiques, la procédure est faussée. Ce n'est pas à la commission juridique d'avoir un avis sur la compétence ou l'adéquation du commissaire à son portfolio sur le fond, c'est aux commissions. Or, la discussion intervenue hier en commission JURI laisse planer une vraie interrogation sur ce point. Le cas du commissaire hongrois L. Trócsányi semble davantage, en effet, avoir été tranché sur son passé de ministre de la Justice de Viktor Orbán que sur des absences de clarification sur de possibles conflits d'intérêts. B2 en a eu confirmation auprès d'eurodéputés, peu suspects de toute complaisance avec le régime du Premier ministre hongrois (lire notre article).

Une tendance de fond, sociétale

En faisant œuvre de pionnier, les eurodéputés s'inscrivent dans les pas de leurs prédécesseurs qui, depuis une vingtaine d'années, renforcent tous les cinq ans leur contrôle sur la nomination de la Commission européenne. Les auditions des commissaires ne sont pas une simple formalité, mais une épreuve de passage, avec de multiples étapes difficiles à franchir. Un vrai crash test éthique et démocratique. La tendance sociétale à exiger un comportement passé et actuel sans tâches et sans reproches a favorisé un examen beaucoup plus strict de tout conflit d'intérêts.

Un certain amateurisme de la Commission von der Leyen ?

Sur ce point, on ne peut que s'interroger sur l'attitude de la nouvelle Commission européenne. Le mot 'amateurisme' est sur toutes les lèvres. Pourquoi la présidente désignée de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, n'a pas fait procéder à un examen très approfondi des déclarations d'intérêts de 'ses' commissaires et rejeté ceux auprès desquels elle n'avait pu recueillir de certitude qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêts ? Le secrétariat général de la Commission, le service juridique ainsi que le service de sécurité de la Commission européenne se livrent normalement à un screening étroit des candidats commissaires. Et le cas de la Roumaine Rovana Plumb comme celui du Hongrois László Trócsányi sont de notoriété publique. Il était assez facile d'éclaircir rapidement la situation (et non au dernier moment) ou de rejeter directement la candidature (1). Ne pas le faire n'est pas très responsable et est une faute politique comme institutionnelle.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Dans le passé, quelques candidats avaient été rejetés du fait d'abus de fonds publics ou de conflit d'intérêts, suite à ce screening.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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