L’expérience de la défense européenne vue de Kinshasa. Que reprendre pour l’Afrique?
(B2 à Kinshasa) Je boucle mes valises, dans la capitale congolaise, après une semaine passée au CHESD, le collège des hautes études de stratégie et de défense, qui forme les futurs cadres de l'armée congolaise et ceux des pays voisins, dans le cadre d'une formation dispensée par l'institut français Themiis.
Quelques jours pour parler d'Union européenne, de PSDC devant des généraux et colonels de la RD Congo, mais aussi de Centrafrique et du Congo Brazzaville (Le CHESD est, en effet, réputé le Centre d'Excellence Stratégique Régional de l'Union africaine pour l'Afrique centrale). Une expérience formidable (n'ayons pas peur des mots).
Curiosité et acuité
Nos amis congolais (RD Congo et Congo Brazzaville) et centrafricains s'avèrent curieux du fonctionnement de l'Union européenne, de ses défauts comme de ses capacités. J'ai rencontré une attention et une curiosité, que je n'aurai peut-être pas rencontrées devant le même auditoire français (désolé pour mes amis de l'IHEDN ;-). J'ai été confronté à des travaux de groupe de bonne qualité, il faut le dire, surtout quand on connait les conditions de travail des ces 'étudiants' : pas d'électricité et donc pas d'internet certains soirs. Leur 'restitution' qui s'est effectuée à la fin des cours vaut vraiment le détour. L'objet de travail de groupe était intitulé : « Quels éléments européens paraissent transposables à l’Union africaine, ou non ? Quels écueils éviter ? Quelles spécificités prendre en compte ? »
Des enseignements à reprendre
Les Africains reprennent plusieurs enseignements de l'Union européenne : le Parlement européen, l'Union monétaire et le marché commun (qui leur semble un plus), l'ouverture des frontières — et en matière de défense — l'assistance mutuelle et la clause de solidarité, l'approche intégrée des conflits et des crises. En revanche, ils estiment que le modèle européen d'intervention de gestion de crises hors des frontières n'est « pas transposable ». Pas du tout même, m'ont expliqué les officiers, car ici « la plupart de nos crises et des menaces sont internes à nos États ».
Quelques écueils à éviter
La liste des écueils à éviter est aussi intéressante car elle se présente comme un miroir à nos difficultés. L'Europe leur apparait ainsi la symbolique de plusieurs éléments :
- le manque d’un leadership affirmé ;
- les rivalités stériles entre les États ;
- le manque de vision commune sur la marche de l’Union et des intérêts stratégiques communs ;
- le défaut d'une réelle stratégie globale sur la sécurité de l’Union ;
- le désaccord sur la perception des menaces ;
- la dépendance à l’OTAN en matière de sécurité ;
- la léthargie quant à la mise sur pied de la force européenne ;
- le fort soutien dans les sondages, mais le faible consensus sur l’intervention extérieure.
Ils remarquent aussi de sérieux défauts dans notre cuirasse :
- le haut représentant est un ‘super diplomate’, mais n'est pas un décideur. Le mode de décision reste au consensus ;
- l’Europe qui protège est un slogan, mais n'est pas une stratégie ;
- la ‘global strategy’ n’a de stratégie que le nom ;
- il n'y a pas de troupes disponibles et l'échec de la notion de battlegroup ;
- des achats d'équipement qui restent nationaux, sans préférence européenne.
Que dire de plus ? Ils ont assez bien résumé en quelques 'bullets points' la situation. Au lieu d'avoir des missions de conseil et d'audit au niveau européen confiées à des sociétés extérieures, une bonne équipe d'officiers africains, serait peut-être tout aussi utile 😉
Les préconisations
Une volonté politique « est nécessaire » estiment nos militaires qui n'ont pas leur langue dans la poche. « Il faut une volonté pour faire du concret » : mettre en œuvre un fonds défense, avoir des cotisations des pays membres, pour financer des projets.
Pour un Fonds africain de défense
Indéniablement le Fonds européen de défense les a séduit. C'est un des principaux éléments qu'ils retiennent comme 'préconisation' pour être transposés à l'Union africaine. « Cela manque en Afrique » explique l'officier rapporteur du groupe. « Nous devons, nous aussi, favoriser l’émergence de l‘industrie de défense africaine. Certains fabriquent un peu des armes, d'autres des munitions. Il faut mettre ensemble toutes nos possibilités, intégrer une mécanique de cofinancement, et favoriser une politique de défense. »
...et un commandement conjoint
Autre élément clé, le commandement conjoint militaire, du type de la MPCC pour permettre à la force africaine en attente ou à la force multinationale Afrique centrale (FOMAC) d’être efficace et d’avoir une réaction rapide. Certaines règles doivent cependant être changées : actuellement, on ne peut pas mettre deux bataillons sur le même commandement. « Cela doit changer ».
Non ingérence et respect des accords
Au niveau politique, ils estiment que deux principes doivent devenir la règle : la non-ingérence et le respect des accords. Les Africains doivent apprendre à « ne pas s'ingérer dans les affaires des autres ». Ils doivent aussi respecter les accords signés, les engagements. « Bien souvent on signe des accords le matin, on les viole le soir ».
(Nicolas Gros-Verheyde)
Les limites de l'exercice
Les officiers supérieurs sont bien conscients des limites de l'exercice. Certains éléments ne sont pas transposables. « Le continent fait face à des menaces multiples, intérieures. Il y a 55 États membres là où l'Union européenne a (seulement) 28 États membres. » La superficie géographique, aussi, n'a rien à voir : « 29,9 millions km2 contre 4.4 millions km2 ». Les normes d'adhésion à l'organisation « sont très différentes » : des normes à l'Union européenne, pas de normes à l'Union africaine. L'Union africaine n'a « pas l'autonomie financière » de l'Union européenne « Il n'y a pas autant de moyens. Il n'y a pas de budget de fonctionnement. Les budgets des États, eux-mêmes, sont faibles. Il n'y a pas de monnaie commune... »