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Patrouille avec EUMM à la « frontière » entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud

(B2 à Tbilissi) B2 a accompagné une patrouille de la mission d’observation de l’Union européenne en Géorgie (EUMM), près de la ligne de démarcation avec l’Ossétie du Sud. Non armés, ces observateurs, dont beaucoup sont d’anciens ou d’actuels policiers, s’appliquent à réduire le niveau de tensions

Deux observateurs de EUMM Georgia regardent un camp de gardes-frontières russes (©B2/Romain Mielcarek)

EUMM Georgia est composée de 200 observateurs, issus de 27 des 28 pays membres (la Slovaquie n’a pas de personnel au moment de notre visite, mais en déploie habituellement). Présents depuis octobre 2008, suite aux combats qui ont opposé l’armée géorgienne aux rebelles sud-ossètes et abkhazes, appuyés par l’armée russe, ils sont le dernier canal de dialogue entre les parties au conflit. Ils patrouillent dans toute Géorgie, privilégiant largement les lignes de démarcation avec les 20% du territoire occupés par les forces russes et leurs alliés.

Une situation qui reste tendue

Des frontières qui se durcissent…

Les Géorgiens et de nombreux médias parlent souvent de « frontières » qui progressent. Les Sud-Ossètes et les Abkhazes, appuyés par les Russes, feraient avancer progressivement la ligne en ajoutant ici du barbelé autour d’un champ, là une barrière à l’entrée d’un village coupé en deux. Pour le porte-parole de l’EUMM qui nous accueille à Akhmazi, « ce n’est pas une question de frontières qui avancent mais de frontières qui se durcissent » : les infrastructures évoluent avec la multiplication de nouvelles caméras, de miradors, d’obstacles physiques, perçus par les Géorgiens comme autant de menaces et de provocations.

… Et s’imposent de facto

Sur le poste frontière que nous avons pu observer, la circulation est relativement fluide. 400 personnes le traversent chaque jour. Des gardes sud-ossètes contrôlent les véhicules : laissez-passer des passagers, contenu du coffre, absence d’armes ou d’équipements dangereux. En second rideau, des garde-frontières russes sont présents. Lorsque des étrangers se présentent sans les documents nécessaires, ils sont simplement expulsés. Mais les Géorgiens, eux, sont arrêtés et jugés. « Une pratique inhabituelle pour quelqu’un qui a travaillé à un poste frontière dans un autre pays », souligne un membre de l’EUMM.

Le vocable reste un sujet compliqué. Si les Sud-Ossètes et les Abkhazes parlent de « frontière », les Européens préfèrent le terme « ligne de démarcation administrative » (administrative boundary line). Les Géorgiens parlent eux très clairement de « territoires occupés ».

Des interdits maintenus

Déployée suite aux combats de 2008, l’EUMM entre dans le cadre de l’accord en six points négocié à l’époque par l’Union européenne avec les belligérants. Deux de ces points ne sont pourtant toujours pas respectés, un peu plus de dix ans après : les observateurs européens n’ont pas accès aux territoires occupés et les Russes ne se sont pas retirés. Si Moscou reste discret sur les effectifs présents en Ossétie du Sud et en Abkhazie, la Military Balance estime à environ 7000 le nombre de leurs militaires, faisant de la Géorgie le deuxième théâtre d’opérations de la Russie en effectifs après l’Ukraine (28.000 hommes) et devant la Syrie (5000 hommes).

Lire : Dépenses de défense. Entre Etats-Unis et Russie, l’Europe en quête des bons équilibres stratégiques

La population prise en otage

Pour les Géorgiens, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre de la ligne de démarcation, cette situation crée une forte précarité. Les permis de circulation ne sont valides que trois ans et rien ne garanti qu’ils seront reconduits à terme. Plus ennuyeux, les autorités de facto peuvent à tout moment suspendre la relative liberté de passage. C’est ce qui s’est passé le 11 janvier quand les Sud-Ossètes et les Abkhazes ont décidé de fermer les frontières pour éviter l’arrivée de la grippe H1N1, qui a tué 15 personnes en Géorgie. Ceux qui étaient du mauvais côté, notamment des étudiants venus visiter leurs familles pour célébrer le nouvel an, sont restés coincés deux mois sans recours. Environ 140 personnes avaient tout de même été exceptionnellement autorisées à sortir, pour des raisons sanitaires majeures. De quoi maintenir, selon un membre de EUMM Georgia, une « pression psychologique ».

Présence russe explicite

Depuis la route qui va d’un côté à l’autre de la ligne de démarcation, les camps des gardes-frontières russes (1), sont parfaitement visibles. Dans chacun des deux territoires, 19 de ces camps, parfaitement identiques, sont répartis le long des frontières. A l’intérieur, les Russes vivent avec femmes et enfants. Autant d’indicateurs qui laissent penser, comme le souligne un membre d’EUMM, « qu’ils veulent montrer qu’ils sont là pour longtemps ». Les bases militaires russes, les vraies, sont plus à l’intérieur des terres, à une bonne vingtaine de kilomètres de la frontière.

EUMM Georgia en première ligne

Les Européens au contact

Dès 2008, l’Union européenne a négocié dans le cadre des Arrangements techniques (Technical Arrangements) avec les autorités géorgiennes que ces dernières ne déploient pas une police trop lourdement équipée, voir l’armée, à proximité de ces zones. EUMM se charge de surveiller et d’informer les acteurs sur ce qu’elle observe. Un moyen de réduire les tensions. Si les Russes ont été appelés à suivre une logique comparable, ils ne l’ont pour l’instant pas fait. De la même manière, l’Otan ne laisse pas son personnel approcher de ces zones, pour éviter toute accusation d’espionnage ou de provocation. Les Géorgiens ont tout de même déployé une police spéciale chargée de surveiller les flux en direction et en provenance d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Celle-ci ne dépend pas des gardes-frontières… Puisqu’aucune frontière n’est reconnue.

Les missions de EUMM

Le mandat de EUMM Georgia lui fixe quatre missions : suivre la situation et la stabiliser ; encourager le processus de normalisation ; multiplier les contacts et les projets pour réduire les tensions ; éclairer la décision politique de l’Union européenne. Si depuis 2008 la situation est relativement calme, difficile pourtant de parler de progrès. Aucune piste de solution ne se dessine.

Le nombre d'appels de la hotline de EUMM, depuis 2011, ne cesse de croître. Les motifs : détentions, criminalité, explosions, coups de feu, urgences sanitaires...

Hotline

En février 2009, les parties au conflit ainsi que l’UE, l’OSCE et l’ONU ont adopté un Mécanisme de prévention et réponse aux incidents (IPRM). Celui-ci doit permettre un dialogue entre les belligérants mais fonctionne par intermittence. La hotline mise en place par EUMM Georgia dans ce cadre semble être l’outil le plus concret et le plus efficace. Seul canal de dialogue opérationnel, il permet aux observateurs européens d’avoir des contacts directs avec des interlocuteurs identifiés des deux bords. En cas d’incidents, les uns et les autres peuvent s’en servir comme d’un relais d’information : si les Géorgiens ne peuvent appeler directement les forces de sécurité sud-ossètes, ils peuvent demander à EUMM de le faire pour obtenir des informations sur un événement spécifique. De quoi éviter les malentendus lorsque les Sud-Ossètes s’entrainent au tir, par exemple.

Une mission difficile à comprendre

Frustrations géorgiennes

De nombreux Géorgiens ont parfois l’impression que les équipes de EUMM ne font rien. Patrouillant avec leurs gilets bleus, sans armement et ne pouvant intervenir par la force, leur mission peut paraître futile. Ils peinent parfois à comprendre, par exemple, que des membres de EUMM les orientent vers des sources de financement pour des projets humanitaires. Pourquoi les Européens ne le font-ils pas eux-mêmes ? Parce que cela ne fait pas partie de leur mandat. Le porte-parole de l’opération admet cette difficulté et multiplie les efforts de pédagogie et d’information, afin de mieux expliquer le rôle de EUMM, notamment en ce qui concerne l’intermédiation entre les différentes parties au conflit.

Un déficit de médiatisation

Faute d’actualité (et d’explosion de violence ?), EUMM peine à médiatiser ses activités et ses petits succès du quotidien. La situation en Géorgie reste pourtant particulièrement importante pour l’Europe, sur fond de tensions avec la Russie et de projet d’intégration de Tbilissi dans l’UE et dans l’Otan. Pour inciter les journalistes locaux à prendre de la hauteur sur les événements, EUMM organise par ailleurs un prix en faveur du journalisme de paix (peace journalism), qui récompense des reportages engagés et éthiques, échappant au manichéisme et la facilité.

(Romain Mielcarek)

(1) Ce service fait partie du service de sécurité russe plus connu sous le nom de FSB.

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Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste spécialisé défense et international. Correspondant de B2 à Paris, il collabore également avec DSI, RFI et Le Monde Diplomatique. Titulaire d'une thèse de doctorat en sciences de l'information et de la communication, il mène par ailleurs des recherches académiques sur l'influence militaire. Son dernier ouvrage : "Marchands d'armes, un business français" (Tallandier, 2017).

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