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Le Sénat US demande la suspension de l’aide militaire à l’Arabie saoudite. Et l’Europe ?

(B2) « Le Sénat américain a adopté jeudi (13 décembre), une résolution bipartisane enjoignant au gouvernement Trump le retrait des forces armées du conflit au Yémen qui n'ont pas été autorisées par le Congrès ». Ce dans les 30 jours.

Les sénateurs à l'initiative de la résolution, Bernie Sanders au micro (Source : Sénat US)

Une assistance militaire non autorisée par le Congrès

Cela revient à annuler toute assistance militaire américaine à l'Arabie saoudite liée à sa guerre au Yémen. Car, comme le rappellent les sénateurs, « aucune disposition n’autorise la fourniture d’une assistance au ciblage [des bombes] ou de ravitaillement en vol aux avions de l’Arabie saoudite ou Émirats arabes unis engagés dans de telles opérations ». La Maison blanche avait déjà suspendu, en novembre, certaines opérations de ravitaillement en vol.

Une résolution bipartisane

Portée de façon bipartisane par trois sénateurs, Bernie Sanders (Indépendant, Vermont), Mike Lee (Républicain, Utah) et Chris Murphy (Démocrate, Connecticut), cette résolution a été votée à une nette majorité : 56 voix Pour, 41 Contre. Une petite dizaine de républicains ont ainsi voté Yes (la liste des votes), montrant leur mécontentement envers leur chef. Elle doit encore être votée par la Chambre des représentants, qui basculera côté démocrate, quand les nouveaux élus auront pris leurs sièges début 2019.

La condamnation de MBS

Non content de cette semonce, le Sénat a approuvé une autre résolution (non contraignante) reconnaissant « la responsabilité du prince Mohammed Bin Salman pour le meurtre de Jamal Khashoggi ». Il met en garde aussi Ryad contre l'augmentation des équipements militaires de l'Arabie Saoudite venant de Russie et de Chine. Cela pose « un défi à la force et l'intégrité de la relation militaire ancienne entre les USA et l'Arabie saoudite, qui peut introduire des risques économiques et pour la sécurité nationale des deux parties ».

Un geste fort

Ces deux résolutions sont un camouflet à la politique de Donald Trump et sa mansuétude vis-à-vis de l'Arabie saoudite que ce soit pour son rôle dans le conflit au Yémen ou dans le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi le 2 octobre dernier.

Et en Europe : une démocratie moins vibrante qu'aux USA ?

Une certaine timidité sur le rôle de MBS

Le Parlement européen, le 25 octobre 2018, a estimé «  hautement improbable » ait pu se produire « à l'insu ou en dehors du contrôle » du prince héritier saoudien Mohammed bin Salmane. Une terminologie beaucoup plus alambiquée que celle des sénateurs US qui sont plus directs et plus francs, mettant en cause sa « responsabilité ».

La demande d'un embargo sur les armes sans conséquence

Les parlementaires européens ont voté à plusieurs reprises des motions demandant la mise en place d'un embargo sur les armes pour l'Arabie saoudite, en dernier lieu en novembre (2). Mais c'est une simple recommandation, très facultative. Le Parlement n'a pas de rôle dans ce domaine. C'est de la compétence des États membres. Ce qui est le sens du Traité. Mais aussi celle de l'Union européenne.

L'abdication de la compétence européenne

J'ai posé la question au porte-parole de la Haute représentante. La position officielle est de dire qu'elle n'a pas de compétence dans le domaine et que cela ressort des États membres. Ce qui est, selon moi, abdiquer sa compétence. La Haute représentante peut en effet tout à fait présenter une initiative en matière de politique étrangère, notamment un embargo sur les armes pour un pays donné, la décision devant ensuite être prise à l'unanimité par les États. C'est légèrement différent…

Pas d'impetus des États membres

En l'occurrence, la Haute représentante n'a pas vraiment senti d'impetus parmi les États membres pour mettre en place un embargo à l'échelle européenne sur l'Arabie saoudite. La France est vent debout contre cette mesure. Elle est loin d'être la seule, même si certains sont plus discrets : l'Italie, le Royaume-Uni (au rôle ambivalent), et plusieurs pays de l'Est qui sont des fournisseurs patentés du Royaume arabe (comme la Bulgarie), sont sur la même ligne. Federica Mogherini a préféré renoncé à présenter toute initiative en ce sens.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Le Sénat US a aussi demandé dans les 90 jours un rapport évaluant les risques posés par cette suspension pour la sécurité américaine, notamment le risque terroriste, la population d'Arabie saoudite, et ses effets sur la crise humanitaire. 
  2. Lire Le Parlement veut réclamer un contrôle accru des exportations d’armes et un embargo vers l’Arabie Saoudite

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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