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Espionnage à Vienne. La lune de miel entre Russes et Autrichiens se termine mal

(B2) La révélation par le chancelier autrichien en personne de l'existence d'une taupe au sein de la Bundesheer (l'armée autrichienne) sonne-t-elle comme un tournant politique dans un pays réputé 'souple' vis-à-vis de la Russie

(crédit : Bundesheer)

Une valse de Vienne qui se termine mal

Il y a quelques temps, entre Vienne et Moscou, on était dans les flonflons de la valse et les glissements doux des violons. La ministre des Affaires étrangères Karin Kneissl invitait Vladimir Poutine à son mariage avec deux trois pas de danse à la clé en août dernier. Tout récemment, fin octobre, le ministre de l'Intérieur H. Kickl (FPÖ) faisait le voyage à Moscou pour signer un accord de coopération policière avec échanges d'informations à la clé. La lune de miel semble s'être rompue. Lors d'un point de presse, tenu ce vendredi (9 novembre), le chancelier Sebastian Kurz (ÖVP) et son ministre de la Défense, Mario Kunasek (FPÖ), de concert, ont révélé une affaire d'espionnage qui pourrait nourrir le sujet d'un prochain film.

Un colonel à la retraite espion depuis ses débuts

Un colonel de l'armée fédérale, résident à Salzbourg, depuis 5 ans à la retraite, aurait espionné l'Autriche pour le compte de la Russie durant presque trente ans. Il aurait commencé son travail d'agent double « dans les années 1990 ». Et cela aurait duré jusqu'il y a peu « en 2018 » a révélé Sebastian Kurz. « Cela ne va pas améliorer les relations avec la Russie » a-t-il ajouté.

Extrêmement professionnel

Selon le quotidien Krone Zeitung, l'individu aurait touché 300.000 euros sur toute la période. Il était « extrêmement professionnel. Il avait un travail extrêmement discret dans un poste de commandement de l'armée ». Toutes les deux semaines, il prenait contact avec un certain 'Yuri', son officier traitant russe. Il recevait les commandes par l'intermédiaire d'un récepteur mondial, écrivait des messages chiffrés ou transmettait l'information directement par communication par satellite.

Des faits découverts il y a quelques semaines

Le ministre de la Défense Mario Kunasek a expliqué que l'information « avait été connue il y a quelques semaines ». Le ministère de la Défense a entamé des « discussions » avec l'individu soupçonné. « Différents appareils, notamment un ordinateur portable, ont été saisis et sont en cours d'évaluation » a-t-il indiqué, précisant que les faits avaient été transmis au ministère public.  « Même après la fin de la guerre froide, il y a encore de l'espionnage » a reconnu Kunasek.

Colère autrichienne et grand nettoyage en perspective ?

Le chancelier autrichien affiche, lui, sa colère : « L'espionnage est inacceptable » de façon générale. « Et l'espionnage russe en Europe est également inacceptable et condamnable ». L'affaire bruissait dans les milieux gouvernementaux depuis hier soir (jeudi 8 novembre) et s'est répandu comme une traînée de poudre dans les salons viennois. Le gouvernement a pris rapidement la mesure de l'évènement. La ministre des Affaires étrangères, Karin Kneissl, a ainsi fait convoquer le chargé d'affaires russe vendredi matin. Elle a également annulé sa visite, prévue à Moscou les 2 et 3 décembre prochains, en guise de signe de mécontentement. Quant au ministre de la Défense, Mario Kunasek, il a annoncé un grand nettoyage au ministère, indiquant vouloir « resserrer encore plus le filet de sécurité en Autriche comme au sein du ministère fédéral de la Défense », notamment sur le personnel et les cyberespaces. Il était temps ! L'Autriche qui abrite nombre d'institutions internationales, dont l'AIEA, était considérée par de nombreux services en Europe comme un peu trop 'permissive' par rapport à certaines tentatives d'entrisme.

Vienne, le point faible de l'Europe ?

Cette révélation très officielle par le Premier ministre comme le ministre de la Défense, l'un du parti populaire ÖVP et l'autre du parti d'extrême-droite FPÖ n'est donc pas une simple péripétie. Elle pourrait constituer un tournant politique.

Une taupe ou plusieurs taupes ?

La grande vérification annoncée par le ministre n'est pas anodine. Le colonel de Salzbourg pourrait ne pas être la seule taupe infiltrée dans les forces autrichiennes. Depuis plusieurs mois, et en partie depuis l'arrivée du FPÖ au pouvoir et les perquisitions menées au BVT (le service de protection de la Constitution et de lutte contre le terrorisme), l'Autriche avait acquis le statut de 'pestiféré' auprès de la plupart des services de renseignement européen qui rechignaient à partager des informations, en particulier sur la Russie.

Mettre fin au 'Except Vienna'

Les 'services' de plusieurs pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni) évitaient de mettre en copie l'Autriche de leurs recherches sensibles. Une méfiance confirmée à B2 par certains connaisseurs du dossier. Même la Sûreté nationale finlandaise (SUPO) aurait décidé d'exclure son homologue autrichien (le BVT) de ses demandes d'aide aux différents renseignements européens quand elles concernent un diplomate russe, vient de révéler le magazine Falter, publiant un fac similé d'un document mentionnant « Except Vienna ».

La question des sanctions russes

Cette affaire n'est pas isolée. Elle survient juste après les révélations néerlandaises d'un espionnage autour de l'OIAC aux Pays-Bas comme en Suisse. L'Autriche qui avait une position 'souple' sur les sanctions russes pourrait ainsi changer de position. Cette 'soudaine' révélation pourrait donc amorcer un tournant politique plus important, d'autant plus observé que Vienne assure aujourd'hui la présidence du Conseil de l'Union européenne, notamment dans ses formats 'Justice' et 'Affaires intérieures'.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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