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La Belgique préfère le F-35 américain à ses concurrents européens. Un coup de pied à l’Europe de la défense ?

(B2) De tout temps, le choix d'un avion de chasse par un gouvernement s'est fait sur des critères apparemment techniques — la capacité de l'avion — mais surtout sur des critères très politiques. Le choix possible (1) du gouvernement belge du F-35 est l'illustration de cette règle. Est-il justifié ? Est-ce un mauvais coup pour l'Europe de la défense ?

F-35 alignés sur la base aérienne US de Eglin en Floride (Crédit photo : MOD Pays-Bas - sergeant-majoor Peter van Bastelaar, Frank Crebas)

Des raisons objectives en faveur de ce choix

La Belgique avait plusieurs raisons 'objectives' de choisir l'avion américain F-35 aux dépens de l'avion européen Eurofighter ou du français Rafale : 1° approfondir une intégration plus importante de sa force aérienne avec celle des Pays-Bas ; 2° continuer une coopération étroite avec plusieurs pays européens qui partagent d'avoir l'avion américain en commun (Italie, Danemark, Norvège, Royaume-Uni) ; 3° prouver à Washington que la Belgique reste un allié fidèle ; 4° remplir l'obligation technique de pouvoir emporter les bombes nucléaires (stockées sur la base aérienne belge de Kleine Brogel). Enfin, le Français Rafale s'est mis hors course tout seul, en se retirant au dernier moment de la compétition et en préférant proposer un partenariat général, mais sans donner les éléments principaux de leur offre notamment le prix de l'avion (2). Au plan politique, ce choix permet de ne pas céder aux pressions françaises, ce qui pour un des poids lourds de la coalition au pouvoir — la N-VA des autonomistes flamands —, est logique (3). Précisons que l'Europe n'a jamais inscrit la préférence européenne comme ligne directrice de ses achats... et la France non plus. On ne peut donc venir reprocher à la Belgique un choix que d'autres pays ont fait dans le passé.

Une vraie problématique pour l'Europe de la Défense

Cette décision a cependant de gros inconvénients : outre qu'elle est coûteuse, elle envoie un signal politique plutôt négatif sur l'Europe de la défense. Or s'il y a bien un enjeu d'autonomie stratégique majeur, c'est dans l'aviation de chasse. A la fois par sa dimension militaire, sa durée de vie (40-50 ans), son coût et son aspect emblématique. La Belgique pourra bien sûr signer ensuite d'autres contrats, par exemple sur l'armement terrestre (le Scorpion avec la France). Mais ceux-ci ne représenteront pas la même valeur stratégique, politique et économique. Deuxièmement, la situation à la veille de 2020 n'est plus celle du début des années 2000 voire 2010. La donne a changé : d'une part, les États-Unis se sont inscrits non plus en concurrents de l'Europe, mais en adversaires de plusieurs choix politiques européens (multilatéralisme, sanctions sur l'ONU, position sur le Proche orient). Accroître la dépendance vis-à-vis de Washington sur une durée longue est un vrai choix politique et un mauvais coup tiré par Bruxelles contre l'Europe de la Défense. On peut avoir ensuite de belles déclarations d'amour sur l'Europe de la défense. Le message de cette décision est clair : il vaut mieux coopérer avec les Américains qu'entre Européens.

Un choix de l'avion habité aux dépens des drones

Une dernière question peut se poser. Est-ce que commander autant d'avions (34 appareils) était nécessaire pour assurer la sécurité aérienne belge ? Bruxelles n'aurait-il mieux pas fait de consacrer une partie de la somme à disposer d'une flotte importante de drones ? Une lacune importante au niveau européen des opérations. En se positionnant sur ce plan, la Belgique aurait pu marquer une réelle inflexion, du champ de bataille moderne, et s'imposer comme un acteur incontournable des opérations européennes ou de l'OTAN, le tout pour un risque (humain) limité. Il est dommage que cette question n'ait pas suscité au plat pays autant de débats que celui du choix du modèle de l'avion qui a vu de féroces joutes politiques s'opérer.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : En Belgique, la saga du Rafale pris entre deux feux

(1) Le Premier ministre belge Charles Michel ce mardi matin devant la Chambre des députés (en commission de l'Intérieur) a démenti toute prise de décision formelle, malgré de nombreux indices, rapportés par l'agence Belga, en provenance de son entourage, indiquant que la décision était faite en faveur du F-35 à défaut d'être prise. On semble jouer sur les mots surtout.

(2) C'est qu'a affirmé le Premier ministre ce matin à la Chambre : « les Français n'ont pas remis d'offre, mais simplement une proposition, que nous avons ensuite examinée. Cela étant, je ne dispose pas de moyens pour les contraindre à nous communiquer des informations qu'ils refusent de nous transmettre. Je pense notamment au prix de leurs avions. »

(3) L'affaire Agusta-Dassault, qualifiée de 'scandale du siècle' par le Premier ministre Charles Michel dans le débat à la Chambre ce matin est aussi un antécédent lourd aux dépens de l'industriel français. Un aspect souvent peu commenté en France, notamment qui a les yeux rivés sur le prisme national de la décision : Rafale contre F-35.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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