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L’affaire du Diciotti, les garde-côtes italiens pris en otage

(B2) Le navire des garde-côtes italien, le Diciotti, a été pendant dix jours au cœur du bras de fer, fin août 2018, entre le gouvernement italien et l'Europe sur la prise en charge des migrants rescapés en Méditerranée

(crédit : garde-côtes italiens)

Sauvetage au large de la Libye

L'affaire commence dans la nuit du mercredi à jeudi 16 août. Le Diciotti (CP 941) est appelé pour un navire en difficulté. La bateau qui provient de Libye est en panne moteur et l'eau commence à s'infiltrer à bord, à 16 ou 17 miles nautiques au large de l'île de Lampedusa. Les garde-côtes récupèrent, 190 migrants, essentiellement des Somaliens et des Érythréens. Les secours sont coordonnés par l'autorité maltaise de secours, le bateau de migrants se situant en partie dans cette zone.

Malte mis en cause par Rome se défend

Le ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini (Ligue du Nord), estime que les Maltais sont en cause, les accusant de ne pas avoir mené les opérations de secours et même d'avoir avec un de leurs patrouilleurs (le P-52) accompagné le bateau des migrants vers la zone italienne de SAR (recherche et secours en mer). Mais Malte refuse le débarquement. « Le port sûr le plus proche est celui de Lampedusa », explique le ministre de l'Intérieur Michael Farrugia dans un communiqué.

. Le bateau avait jusqu'alors « navigué sans donner des signes de difficulté et a refusé toute aide indiquant vouloir se rendre en Italie ». Le ministre menace aussitôt de les renvoyer en Libye si l'Europe ne fait pas un geste. Une décision qui a une visée multiple (cf. encadré).

Accostage en Sicile

Le ministre italien des Transports, Danilo Toninelli (qui appartient au mouvement 5 étoiles), autorise dimanche (19 août) l'entrée du Diciotti dans le port de Catane, en Sicile. Mais sans pouvoir débarquer les migrants. Le navire amarre au port lundi (20 août).

17 personnes – onze femmes et six hommes – (dont 13 avaient déjà été évacuées) sont autorisées à débarquer pour des raisons de santé, ainsi que 27 mineurs non accompagnés. Mais pas les autres, qui restent confinés à bord.

Sauve qui peut européen

Rien ne bouge de la semaine, jusqu'à la réunion à la Commission européenne, vendredi (24 août). Mais elle n'aboutit pas à une solution de répartition (lire : Migration en Méditerranée. Une réunion informelle sans succès tangible). Contrairement à ce qui avait été le cas pour le Lifeline en juin (Lire : Ce que l’Italie, Malte et la France reprochent au Lifeline) et l'Aquarius mi août (lire: L’Aquarius accueilli à Malte et Entre Paris et Rome, une comédie en cinq actes sur fond de tragédie).

Condamnation internationale... 

Samedi 25 août. Le Haut commissaire aux réfugiés, Filippo Grandi, appelle « fortement » l'Italie et l'UE à « permettre le débarquement » des personnes restées à bord et « pour qu’ils offrent d’urgence des places de réinstallation ».

... et procédure judiciaire

Samedi (25 août). Le procureur d'Agrigente (Sicile) ouvre une enquête pour « séquestration, arrestations illégales et abus de pouvoir », visant le ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini, selon les médias italiens. C'est le temps pour Salvini de fermer la parenthèse de l'incident après que le gouvernement italien ait menacé l'Europede ne plus s'acquitter de sa contribution au budget européen.

Sortie de secours

L'Albanie - qui n'appartient pourtant pas à l'Union européenne -, puis l'Irlande — membre de l'UE —, annoncent samedi (25 août) qu'elles veulent bien accueillir l'une 20 personnes, l'autre entre 20 et 25 personnes. L'Église italienne décide aussi d'ouvrir ses portes et accueillir une bonne centaine des rescapés du Diciotti (1).

L'épilogue

Dans la nuit de samedi à dimanche (26 août), les quelques 137 personnes réfugiées et migrants, restés à bord, quittent le navire, un par un. Quatre d'entre eux - trois Égyptiens et un Bangladesh - sont arrêtés, considérés par la police comme des passeurs selon le quotidien Repubblica. Ils sont accusés d'association criminelle visant à la traite de personnes, facilitant l'immigration illégale, la violence sexuelle et l'obtention illégale. Les 43 membres de l'équipage qui ont partagé durant plusieurs jours la vie des personnes secourues sont libérées de leur tâche.

La nécessité d'avoir une solution structurelle

L'heure est à la leçon politique : le commissaire européen chargé des Migrations, Dimitris Avramopoulos, remercie « la solidarité par-delà les frontières et les communautés », mais « nous ne pouvons pas toujours attendre ce genre de solidarité basée sur la bonne volonté. Nous devons avoir des mesures structurelles », insiste-t-il.

(Emmanuelle Stroesser)

(1) Ils ont été accueillis mardi soir à Rocca di Papa, dans un centre géré par l’Église italienne (près de Rome)


Un message à visée intérieure et extérieure

Le ministre de l'intérieur italien issu de la Ligue du Nord (droite nationale) a une logique qu'il suit, imperturbable :

  1. ne plus accepter de migrants venant de Libye, du moins de façon automatique ;
  2. envoyer un signal par-delà les mers que l'Italie n'est plus une terre d'accueil ;
  3. rassurer son électorat en tenant ses promesses de campagne ;
  4. forcer ses partenaires européens à accepter une répartition plus égalitaire des arrivées en Italie qu'ils ne l'ont fait jusqu'à là.

(NGV)


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Emmanuelle Stroesser

Journaliste pour des magazines et la presse, Emmanuelle s’est spécialisée dans les questions humanitaires, de développement, d’asile et de migrations et de droits de l’Homme.

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