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Permanencier au SAMU, pas une sinecure. Témoignage… (V2)

(B2) L'affaire du SAMU de Strasbourg — la mort de Naomi Musenga, la veille du Nouvel an 2017 — doit être regardée à l'aune du travail réel d'un permanencier. Expérience...

Pour rappel, les faits : Naomi Musenga est morte, le 29 décembre 2017, quelques heures après avoir appelé les pompiers, le Samu de Strasbourg, se plaignant d'une voix faible de douleurs au ventre. L'affaire n'a vraiment pris de l'ampleur qu'après la révélation par le site d’information alsacien Heb'di de l’enregistrement audio, le 27 avril dernier.

Il y a quelques (nombreuses) années, j'ai travaillé comme permanencier dans un gros SAMU de région parisienne, la nuit (en remplacement). Le temps a passé depuis. Et chaque SAMU est différent. Mais les principaux ressorts et mécanismes de l'urgence restent identiques.

Le permanencier un simple opérateur téléphonique ?

Cette dénomination est réductrice. Le permanencier de SAMU (comme chez les pompiers) n'est pas un simple standardiste. Il participe de la chaîne médicale de secours, connait son monde sur le bout des doigts, est capable de donner quelques premiers conseils d'urgence, de prendre des décisions éventuellement graves. Il doit à chaque moment choisir : pour aller vite, envoyer le moyen adéquat, trouver au besoin les premiers mots pour rassurer, pour déstresser. Dans l'anonymat d'une ville, le standard du SAMU (comme des pompiers ou de la police) reste un des derniers lieux où recevoir de l'aide.

Tout appel doit être suivi au médecin comme l'indique un responsable hospitalier ?

Cela fait partie des lignes directrices. Mais c'est la théorie. Il s'avère en pratique que c'est la permanence qui doit faire le premier tri, et prend même les premières décisions si l'urgence est avérée ou qu'il n'y aucune urgence. C'est elle qui fait le premier tri. C'est une question de rapidité parfois. Perdre une minute de plus pour passer l'appel au médecin, alors qu'il y a réellement une urgence n'est pas vraiment nécessaire. C'est une question pratique aussi : avec plusieurs appels en même temps, le (ou les) médecin(s) régulateur(s) au bout du fil, il faut décider : envoyer le moyen adéquat, donner les premiers conseils, ou faire attendre une personne plusieurs minutes supplémentaires. C'est une question de discipline aussi. Celui/celle qui s'aviserait de déranger un médecin pour tout ou n'importe quoi se ferait rapidement rabrouer par un "tu me passes vraiment n'importe qui". Avec un peu d'expérience, on discerne facilement, ce qui recèle de l'urgence. Le passage au médecin régulateur est alors seulement nécessaire pour confirmer une décision, pour donner les premiers conseils par téléphone, obligatoire quand il s'agit d'un conseil médical, ou pour discerner une situation confuse.

Comment cela se passe concrètement ?

Dans la pratique, selon la situation sur place, le médecin est juste à côté, ou séparé par une vitre. Un simple geste ou une écoute (par haut parleur) du médecin régulateur permet de valider une décision sans passer au médecin. Le travail du PARM s'effectue en équipe. Mais il doit aussi faire le tri, et répondre à tous les appels qui arrivent souvent par grappes. Il faut aller vite... et bien.

Tout appel doit-il être suivi d'un secours ?

Normalement, tout appel doit être suivi par une réponse, sauf quand il s'agit d'un appel manifestement bidon. C'est toute la difficulté du travail du PARM. Dans le doute, le principe est d'envoyer un moyen non médicalisé (secouristes, pompiers, police...) ou médicalisé légèrement (médecin de ville) au moins pour s'assurer qu'il n'y a rien. Il faut alors avoir quelqu'un sous la main et faire, parfois, un effort de conviction. Trouver une équipe n'est pas toujours évident, surtout si on est en période de jour férié ou de vacances et qu'on n'est pas sûr qu'il y ait une urgence. Tout repose alors sur la confiance et la force de conviction du PARM. Cela coûte cher. Mais c'est le prix d'éviter une erreur. C'est une question, économique, posée à la collectivité.

Est-ce au PARM de déclencher un secours ?

Oui. C'est au PARM de transmettre (par radio, téléphone, interphone...) l'appel au service concerné (ambulance privée, médecin de ville, SOS médecin, Pompiers, Secours en montagne...). Il ne peut se contenter de donner le téléphone de SOS médecins, il y a, là, une erreur de procédure certaine (1). Ce n'est que si manifestement l'appel ne concerne pas un secours médical qu'il peut se passer de cette obligation.

Peut-on couper une conversation ?

Théoriquement non. Il faut que la personne raccroche. Il m'est arrivé de tenir durant plusieurs minutes une conversation par un déséquilibré en apparence, qui menaçait de suicider. Un appel totalement bidon... mais peut-on vraiment savoir. Cela c'est la théorique. Mais quand vous avez pour la nième fois en plusieurs heures, des appels blagueurs, voire des insultes ou des personnes apparemment avinées, il n'est pas possible de tenir la règle théorique.

Y-a-t-il eu une erreur d'aiguillage ?

Apparemment oui. Mais il faudrait avoir tout l'appel, complet, et toute la séquence de secours, ainsi que le son de salle de régulation (normalement pris en compte également), les appels précédents et suivants avant de se prononcer et condamner (sans appel) l'opératrice.

Quelques questions

Un responsable ou des responsables ?

Incriminer la permanencière du SAMU — qui semble avoir commis une réelle erreur — c'est prendre simplement un bout de l'erreur et non toute l'erreur. En amont, il y a eu auparavant les pompiers qui étaient impliqués au premier abord, et n'ont pas pris la mesure de l'appel. Ils auraient tout aussi bien jaugé la situation et envoyé une équipe au moins pour voir. Il y a eu aussi le médecin régulateur, sous lequel l'autorité du PARM travaille, qui aurait pu aussi se saisir du cas, pour le jauger. Il y a enfin l'autorité hospitalière. Le principe d'une chaîne de secours est de ne pas laisser une personne seule décider, d'avoir des correctifs. En l'espèce, au-delà de la faute (éventuelle) du permanencier, il y a bel et bien un dysfonctionnement de toute la chaîne de secours.

Une négligence administrative ?

Pourquoi a-t-il fallu la révélation du son audio par un site d'information, le site alsacien Heb’di, pour qu'une enquête soit diligentée quelques mois après les évènements. Il y a là une affaire dans l'affaire. Les autorités administratives et hospitalières semblent avoir tenté de masquer l'affaire. Les cris d'orfraie des principaux responsables (la ministre de la santé, ...) sont plutôt indécents dans ce cas.

Y-a-t-il assez de moyens ?

Pas automatiquement. Pour un gros département urbain, la nuit à l'époque nous étions deux, pour des gardes qui s'étiraient sur huit heures. Je ne suis pas sûr que la situation est grandement évoluée aujourd'hui. C'est manifestement insuffisant. La question des moyens des SAMU et services de secours ne doit pas être sous-estimée, même si dans cette affaire, elle ne semble pas vraiment en cause.

L'organisation ne doit-elle pas être revue ?

Même si la coordination est bonne au quotidien, de fait, deux systèmes de secours parallèles, l'un basé sur le système hospitalier (Samu), l'autre sur les secours d'urgence (Pompiers), ont été développés. Tous les deux faisant du secours aux personnes (les Pompiers ayant toute une série d'autres tâches). L'hexagone a-t-il toujours les moyens de maintenir ces deux systèmes ? Sans doute non. Le système de régulation médicale est-il nécessaire (en théorie) à chaque appel ? Est-il tenable au quotidien ? La question mérite d'être posée. Le dispositif des urgences hospitalières qui accueille le tout venant — de l'urgence la plus grave au malade qui n'a pu trouvé un médecin traitant — ne doit-il pas être renforcé, au besoin par une permanence de médecins de ville sur place, permettant d'écluser les 'petites' urgences. Toute une série de questions méritent réflexions...

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) C'est le principe même du Centre 15 à la française de devoir rebasculer les appels vers le service compétent.

(2) Quand il y a deux, trois appels qui sonnent en même temps, il faut aller au plus vite. Alors oui, on doit alors au plus vite.

Crédit : secours d'urgence à Bruxelles (illustration © NGV / B2)

Mis à jour avec le § sur l'organisation

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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