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Frappe militaire en Syrie : un message politique, une utilité militaire, le bon droit

(B2) Les différents responsables américain, français et britanniques se sont relayés depuis le début des frappes pour expliciter et justifier la nécessité des frappes militaires sur la Syrie. Trois séries d'arguments ont été employés : le message politique, l'utilité militaire, le respect du droit international

Décalage horaire et leader de la coalition oblige, les Américains se sont exprimés en premier. Aussitôt la frappe, le président Trump a pris la parole suivi d'un point de presse détaillé du secrétaire US à la Défense et du chef d'état-major des armées, afin d'expliciter la décision. Côté français, le président de la République s'est exprimé dans la nuit par communiqué, suivi d'une conférence de presse au petit matin des ministres des Affaires étrangères et des Armées, en France, et d'un briefing technique des Armées. Coté britannique, un message vidéo enregistré par Theresa May a été diffusé, suivi par un communiqué de la Défense.

Florence Parly et Jean-Yves Le Drian face à la presse (crédit : Gouv.fr)

Un message politique

Envoyer un message clair

L'objectif des frappes était d'envoyer un message très clair aux dirigeants syriens « qu'ils ne devraient pas commettre une autre attaque d'armes chimiques pour laquelle ils seront tenus pour responsables », a déclaré le secrétaire US à la Défense, James N. Mattis. « Le 7 avril, le régime a décidé de défier à nouveau les normes des personnes civilisées montrant le mépris impitoyable du droit international en utilisant des armes chimiques pour assassiner des femmes, des enfants et d'autres innocents. Nous et nos alliés trouvons ces atrocités inexcusables. »

Une ligne rouge franchie

« Des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été massacrés à l’arme chimique [à Douma le 7 avril], en totale violation du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies » souligne le président français Emmanuel Macron. « Les faits et la responsabilité du régime syrien ne font aucun doute. La ligne rouge fixée par la France en mai 2017 a été franchie. »

La fin de l'impunité

Cette frappe « enverra également un signal clair à toute autre personne qui croit pouvoir utiliser les armes chimiques en toute impunité » a assuré la Première ministre britannique Theresa May.

Mettre fin à l'érosion de la norme internationale sur les armes chimiques

« Nous ne pouvons pas permettre la normalisation de l'utilisation des armes chimiques - en Syrie, dans les rues du Royaume-Uni ou ailleurs dans le monde » a indiqué Theresa May, faisant référence aussi à l'attaque de Salisbury. « Nous ne pouvons tolérer l'érosion de la norme internationale qui empêche l'utilisation de ces armes. [...] L'histoire nous enseigne que la communauté internationale doit défendre les règles et les normes mondiales qui nous gardent tous en sécurité. C'est ce que notre pays a toujours fait. Et ce que nous continuerons à faire. »

Un objectif de sécurité collective

Mettre un terme à la production d'armes chimiques

Le président Trump a dénoncé des attaques chimiques « monstrueuses ». La frappe « vise à mettre un terme à la production d'armes chimiques » a-t-il indiqué.

Dégrader la force chimique de Bachar

Les frappes devraient entraîner une dégradation à long terme des capacités de guerre chimique et biologique de la Syrie, a souligné le chef d'état-major des armées US, Joe Dunford. « La frappe n'était pas seulement un message fort au régime que leurs actions étaient inexcusables, mais elle a aussi infligé un maximum de dégâts sans que cela ne représente un danger inutile pour les civils ».

Une atteinte à notre sécurité collective

« Nous ne pouvons pas tolérer la banalisation de l’emploi d’armes chimiques, qui est un danger immédiat pour le peuple syrien et pour notre sécurité collective » a indiqué Emmanuel Macron. L'arrêt des atrocités est « dans les intérêts nationaux vitaux » des États-Unis a indiqué de son côté James Mattis.

Une réponse limitée, dans le cadre du droit international

Une réponse proportionnée

« Notre réponse a été circonscrite aux capacités du régime syrien permettant la production et l’emploi d’armes chimiques » a assuré Emmanuel Macron.

Pas d'intervention dans la guerre

« Il ne s'agit pas d'intervenir dans une guerre civile. Il ne s'agit pas de changement de régime » a précisé la Première ministre Theresa May, comme pour faire référence à l'action menée en Libye. « Il s'agit d'une frappe limitée et ciblée qui n'élargit pas davantage les tensions dans la région et qui fait tout son possible pour prévenir les pertes civiles. »

Une intervention justifiée par la violation des engagements internationaux

« Le régime syrien avait pris l'engagement de démanteler totalement son arsenal chimique. En septembre 2013, le Conseil de sécurité avait pris acte de cet engagement et décidé par sa résolution 2118 que la Syrie devait s’y tenir, sous peine d’encourir des mesures relevant du chapitre VII de la Charte des Nations unies » a rappelé le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. « Le chapitre VII a un sens clair : c’est le recours à des mesures militaires pour contraindre ceux qui menacent la paix et la sécurité internationale. » (1)

Le régime Assad était prévenu

« L’escalade chimique en Syrie n’est pas acceptable, parce que, depuis les déclarations du Président de la République, chacun était prévenu des conséquences d’une violation des engagements pris par le régime syrien devant la communauté internationale » a indiqué Jean-Yves Le Drian. « Le régime de Bachar al-Assad savait à quoi il s’exposait en employant une nouvelle fois ces armes odieuses contre son peuple, en choisissant à nouveau délibérément de fouler aux pieds le droit international. »

Et maintenant ?

De nouvelles frappes si...

« Nous sommes prêts à maintenir cette réponse tant que le régime syrien est prêt à garder son arsenal » a indiqué le président américain Donald Trump. « Les forces alliées sont prêtes à poursuivre l'action si Assad continue d'utiliser ces armes interdites », a complété son secrétaire à la Défense James Mattis.

Mettre en place un mécanisme d'établissement des responsabilités

La France et ses partenaires reprendront, « dès aujourd’hui [samedi], leurs efforts aux Nations unies pour permettre la mise en place d’un mécanisme international d’établissement des responsabilités, prévenir l’impunité et empêcher toute velléité de récidive du régime syrien » précise Emmanuel Macron. NB : Ce mécanisme qui existait depuis 2014 n'a pas été renouvelé en 2017, bloqué par un veto russe.

Un débat parlementaire en France et au Royaume-Uni

« Le Parlement sera informé et un débat parlementaire sera organisé » conformément à l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, indique Emmanuel Macron. Un débat qui ne devrait pas susciter de question en France où le parlement n'est informé qu'après coup. Au Royaume-Uni, l'ambiance est plus houleuse. La Première ministre britannique fait l'objet de sévères critiques notamment par l'opposition pour avoir outrepassé la tradition, mise en place après l'intervention en Irak, d'information et de débat préalable au Parlement.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Une interprétation délicate. La résolution 2118 du 27 septembre 2013 (§21) prévoit effectivement cette mesure mais sur décision du Conseil de sécurité des Nations unies : « En cas de non-respect de la présente résolution, y compris de transfert non autorisé ou d’emploi d’armes chimiques par quiconque en République arabe syrienne, il imposera des mesures en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ».

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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