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Une force de paix à l’Est de l’Ukraine, ardemment, souhaitée. Réalisable vraiment ?

Une force de maintien de la paix déployée en Ukraine, à côté ou aux côtés des observateurs de l'OSCE ?

(B2) C'est une demande récurrente du gouvernement ukrainien, et notamment de son président. A chacun de ses déplacements et rencontres, Petro Porochenko insiste sur sa volonté de voir déployer une mission de maintien de la paix de l'ONU dans le Donbass. Ce devrait être encore le cas lorsqu'il rencontrera ce lundi la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini en visite à Kiev. Le service de presse du président ukrainien a en effet annoncé que « Au cours de la réunion, les questions relatives à la sécurité dans le Donbass et des perspectives de déploiement d'une mission de maintien de la paix de l'ONU pour appuyer la mise en œuvre des accords de Minsk seront discutées ».

Le jeu du chat et de la souris

Dans ce domaine, Moscou et Kiev jouent un peu au chat et à la souris. Au début de la crise, Kiev n'était pas très chaud à une force de maintien de la paix, estimant pouvoir reprendre par la force les territoires perdus. Puis s'est ravisé. En février 2015, Porochenko a annoncé une initiative pour obtenir une force de maintien de la paix demandant à l'Union européenne de déployer des forces sur la frontière. Une manière selon les analyses de retarder le processus de Minsk (Lire : Je veux des policiers européens sur la frontière avec la Russie, dit Porochenko. Chiche ?). Au niveau européen, personne n'a vraiment relevé le défi. Dire que la proposition a été reçue fraichement lors de la réunion ministérielle, tenue à Riga à l'époque, est assez optimiste (lire : La proposition Porochenko d’une mission de paix de l’UE en Ukraine : gentiment mise de côté).

Poutine d'accord si la force de paix sacralise la frontière

Moscou a fait la sourde oreille, puis, à son tour, s'est ravisé. Le 5 septembre dernier, Vladimir Poutine a joué la surprise. S'exprimant lors du sommet des BRICS en Chine, il a indiqué qu'il n'y aurait « rien de mauvais » à déployer des forces de paix en Ukraine... Au contraire, cela peut être « bénéfique » à une résolution du conflit, comme l'indique Rfi. Mais il y met une condition : que cette force ait uniquement pour rôle d'assurer la sécurité des observateurs de l'OSCE. C'est-à-dire se déploie sur la ligne de front, et non pas les zones tenues par les rebelles au pouvoir de Kiev. En gros, la force de paix sanctuarisait ainsi la ligne de front, dans une ligne de démarcation.

Le soutien de l'Allemagne et de la Suède...

On ne peut pas dire que cette initiative ait suscité un enthousiasme folichon tant d'un point de vue politique que militaire, même chez les pays soutiens de l'Ukraine. Certes l'Allemagne a assez vite indiqué son soutien à cette idée. L'ancien ministre des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, en visite à Kiev début janvier, a bien indiqué qu'une « mission de maintien de la paix de l'ONU armée et solide » pour obtenir un cessez-le-feu dans toute l'Ukraine déchirée serait une « solution raisonnable » comme le rapporte la Deutsche welle.

Paroles... paroles

Même si Porochenko proclame régulièrement « recevoir de plus en plus de soutiens de nos partenaires », ces soutiens restent encore théoriques. Le problème de ces prises de position est qu'elles restent déclamatoires. Elles surviennent, généralement lors d'un voyage à Kiev. Revenus dans leur pays, les proclamations perdent souvent un peu leur lustre. Ou alors les pays y mettent de telles conditions que leur engagement est factice. Le ministre suédois de la Défense, Peter Hultqvist, s'est ainsi fendu d'un soutien vibrionnant, à écouter certains augures ukrainiens. Mais quand on regarde de plus près. Cette position est remplie de "Si". « If we see the right conditions and if we see that this mission can help ... then we are open to that, [...] We are not there yet, but it is something positive. » Il met notamment une condition principale : que la Russie et l'Ouest soient d'accord, indique la Deutsche welle. Autrement dit : circulons...

Le lobbying de Rasmussen

L'ancien secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, désormais consultant international et lobbyiste en chef pour le président ukrainien (1), n'en démord pas. Il a commandé un rapport en septembre 2017, rédigé par le chercheur Richard Lowan, et publié fin janvier (télécharger ici) prônant une force de maintien de la paix dans le Donbass, autour de quatre idées :

  1. Cette force de maintien de la paix devra avoir besoin d'un mandat solide
  2. Elle comprendrait 20 000 personnes. Des pays européens non membres de l'OTAN comme la Suède, la Finlande ou l'Autriche pourraient jouer un rôle important.
  3. Une force de police et une force civile de 2000 à 4000 hommes seront aussi nécessaires, l'UE pouvant jouer un rôle clé dans la constitution des forces.
  4. Un représentant spécial devrait être nommé pour diriger et coordonner le processus.

Des chiffres qui donnent le tournis

Les chiffres donnent le tournis. Certes, ils sont réalistes pour l'efficacité de la force. Mais ils sont fantaisistes quant à la praticité politique. Comment la Finlande, la Suède et l'Autriche, même avec le renfort de pays d'Amérique latine (comme proposé), pourraient fournir 20.000 hommes pour aller en Ukraine ? Le tout sans le soutien d'aucun des pays de l'OTAN. Comment l'UE pourrait mettre sur pied une force de 2000 à 4000 policiers ? C'est-à-dire un volume supérieur à la mission au Kosovo, pour un territoire beaucoup plus vaste, et un peu plus dangereux. On peut rêver...

Une proposition pas vraiment étudiée par les Européens

En fait, depuis 2015, malgré les apparences et l'agitation politique, rien n'a bougé au niveau européen. La question n'a pas été évoquée au sein du comité militaire de l'UE. Le général Kostarakos le remarquait, amèrement, d'ailleurs face à des députés (lire : L’Union européenne aurait-elle renoncé à ses outils de ‘hard power’ ? (Kostarakos)). De plus, d'après nos informations, aucune option de planification n'a été mise sur pied, ni même des directives pour une quelconque première option de planification, n'ont été données aux structures de gestion de crise par la Haute représentante. Dans les rangs de l'Union européenne, il semble bien n'y avoir eu aucun approfondissement de cette question, à quelque stade que ce soit. Une question de réalisme ?

Qui veut aller mourir pour Louhansk ?

Tout le monde sait que ce déploiement dépend de la volonté russe... et européenne. Moscou a montré dans le conflit syrien que son droit de veto au conseil de sécurité des Nations unies n'est pas théorique. Et même si ce veto pouvait être surpassé, ce serait au prix de conditions et de contorsions qui pourraient rendre le déploiement peu utiles. Au niveau pratique, peu d'États européens ont envie d'envoyer des troupes sur place, jouer au punching ball dans une mission qui pourrait bien s'enliser, sans avoir les moyens d'imposer la paix.

Commentaire : on peut souhaiter l'établissement d'une force de maintien de la paix pour faire taire les armes dans l'Est de l'Ukraine. Mais ce ne serait pas du maintien de la paix en l'occurrence, mais de l'imposition de la paix. A moins que Moscou soit d'accord pour faire taire les armes, donner l'ordre à ses troupes de se retirer, à ses affidés de reposer les armes. Il faudrait alors lui donner certains gages importants pour espérer que cette force puisse réussir cette mission. Est-ce jouable aujourd'hui. Pas sûr...

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Nb : personne ne s'offusque de voir l'ancien secrétaire général de l'OTAN en position de lobbyiste (là où les mêmes poussent des cris d'orfraie quand il s'agit d'ex-membres de la Commission européenne). Il est vrai que durant son mandat, il avait déjà mené une active campagne en faveur de l'adhésion de l'Ukraine à l'organisation euro-atlantique, et a été toujours en faveur d'une politique "dure" vis-à-vis de Moscou.

Télécharger la note d'analyse du parlement européen

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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