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Opération Thémis. L’agence Frontex agit-elle sans contrôle démocratique ?

A la différence de l'opération EUNAVFOR Med, l'opération Thémis de Frontex emploie des moyens "civils". Mais elle ne respecte aucune des règles européennes habituelles : contrôle démocratique et transparence (crédit : Frontex/ capture you Tube / Archives B2)

(B2) Le lancement récent d'une nouvelle opération au large de la Méditerranée par le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (l'agence Frontex) est interpellant.

Un objectif très flou

Le communiqué diffusé à cette occasion laisse planer un certain flou et pose plus de questions qu'il n'en résout. La nouvelle opération s'occupe à la fois de recherche et sauvetage en mer, de renforcement de la loi, de lutte contre la criminalité, contre les réseaux terroristes (lire : Frontex lance une opération en Méditerranée centrale, nommée Thémis). Mais on ne comprend pas vraiment bien l'objectif de la nouvelle mission.

Une proximité d'objectifs avec EUNAVFOR Med

Nous avons demandé des précisions à Frontex (basée à Varsovie), surtout sur la façon dont les deux opérations EUNAVFOR Med et Thémis allaient se coordonner. La réponse reçue tout à l'heure (à 13h) est un peu vasouillarde.... Tout d'abord, on nous a annoncé doctement que THEMIS était civile là où EUNAVFOR Med militaire. Une vraie information ! (1). Ensuite, on nous a expliqué que cette mission n'avait pour fonction que le sauvetage en mer et n'avait pas pour tâche la lutte contre les trafics de migrants. Ce qui est, là, en pleine contradiction avec l'énoncé même du communiqué officiel.

« At the same time, the new operation will have an enhanced law enforcement focus. Its operational area will span the Central Mediterranean Sea from waters covering flows from Algeria, Tunisia, Libya, Egypt, Turkey and Albania. « Operation Themis will better reflect the changing patterns of migration, as well as cross border crime. (...) said Frontex Executive Director Fabrice Leggeri.

Les mots ne sont pas totalement identiques. Mais ils sont très proches des mots employés pour l'opération EUNAVFOR Med. En tout cas, rien ne permet de faire un réel distinguo entre les deux opérations.

Une opération déployée sans contrôle démocratique

Ce raté dans la communication révèle en fait un problème plus général. A la différence des opérations PSDC, qui opèrent dans un cadre précis, ces opérations sont menées sans aucun cadre ni autorisation légale. Certes il y a un règlement définissant l'action du corps européen, certes il y a eu un plan d'opération approuvé au sein de Frontex, en accord avec le pays d'origine. Mais tout cela se fait de façon discrète, "sous la table", à un niveau infrapolitique, sans approbation formelle, ni transparence. Bref, sans contrôle démocratique d'une façon ou d'une autre et sans aucune transparence. Ce qui est contraire aux règles, et surtout, à l'esprit européen.

... sans aucun cadre légal publié

Aucune autorité politique compétente au niveau de l'Union européenne — le conseil des ministres par exemple — n'a approuvé une telle opération. Aucune décision cadre n'en a fixé l'objectif, les moyens, les limites, voire la zone d'opération. Aucune décision n'a été publiée au journal officiel ou sur un autre support. Aucune information n'a été donnée sur le coût de cette opération, ni sa durée. Aucun procès verbal n'a été constaté et est accessible publiquement. Aucune information au parlement européen n'a été effectuée officiellement. Aucune traduction même dans les principales langues concernées par cette opération n'a été publiée.

Une absence de justification expliquant l'exception

Les bons esprits estimeront sans doute que la nécessité opérationnelle impose cette absence de formalisme. On peut douter de la pertinence de cet argument, du moins au plan européen. Une opération militaire menée au nom de l'Union européenne, financée par les seuls États membres, respecte toutes ces conditions : une décision cadre est approuvée par les ministres et publiée au journal officiel dans toutes les langues. Elle fixe l'objectif, les missions, les moyens, les règles tenant au secret et à la protection des données, donne des indications sur la zone d'opération, le budget affecté, la durée de l'opération et le contrôle politique de l'opération.

Commentaire : les militaires respectent une certaine obligation démocratique, pourquoi pas les garde-frontières ?

On peut se demander pourquoi une opération civile, menée toujours au nom de l'Union européenne, dans un cadre communautaire, avec de l'argent communautaire, sous une hiérarchie communautaire, puisse s'abstraire du respect de ces procédures. Quel est le raisonnement politique, démocratique, constitutionnel, juridique, qui peut justifier pareille exception ? (2) Les militaires y arrivent très bien, le corps des garde-frontières et des garde-côtes européens s'il veut garder sa pertinence et sa légitimité devrait y arriver fort bien.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Ce qui est un peu prendre le public européen pour un imbécile. Nos questions sur l'utilité d'avoir deux opérations plus ou moins dans la même zone, avec plus ou moins les mêmes objectifs, les moyens de coordination, l'utilisation adéquate des financements européens est en revanche restée sans réponse.

(2) Nous avons demandé la raison d'un tel manque. Aucune réponse satisfaisante n'a été fourni.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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