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La PESCO (Coopération structurée permanente) au podium (V2)

L'atrium du bâtiment "Europa", où se déroulera la réunion du Conseil européen, en pleine préparation pour la cérémonie "PESCO". Au fond une série de photos illustrant les différentes missions, opérations (crédit : Conseil de l'UE (image) / B2 (photo))

(B2 - exclusif) Avec la publication au Journal officiel ce matin (1), la Coopération structurée permanente (CSP ou PESCO), une sorte d'Eurogroupe de la Défense, est désormais légalement établie, avec effet rétroactif au 11 décembre, le jour de l'adoption de l'acte (texte en toutes langues ici).

Un lancement en grande pompe

Le lancement officiel se fera, en fait, en grande pompe, ce jeudi en fin d'après-midi vers 17 ou 18 heures, dans l'atrium du bâtiment Europa. Une photo de groupe des Chefs d'Etat et de gouvernement des 25 pays participant à la Coopération structurée permanente est prévu. Les chefs seront entourés non seulement des représentants des institutions européennes (JC Juncker, F. Mogherini, D. Tusk) mais aussi, et surtout, d'officiers de toutes armes (terre, air, mer). Une première...

Une représentation diversifiée

Il a donc été demandé aux '25' de trouver des profils très différents et pas uniquement des chefs d'état-major. « Nous avons essayé de représenter toute la palette d'intervention, pour illustrer la diversité des projets européens insérés dans cette nouvelle Coopération » m'a expliqué, ce matin, un expert du dossier. Des officiers de toutes les armes (armées de terre, de l'air, marine, renseignement, capacités, cyber) devraient être ainsi présents, avec une attention « pour n'avoir pas que des hommes » sur la photo...

Une générale

Les Français ont ainsi choisi une femme pour les représenter, le général de brigade Christine Chaulieu, qui est la numéro 2 de la représentation militaire française (pour l'UE) à Bruxelles. Tout un symbole (2). La générale est la première promue à ce grade depuis des années, "26 ans" ont compté mes amis de FOB. Jusqu'à récemment encore, elle était chef du bureau activités internationales à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN). Elle a été en poste, comme attachée de défense, au Danemark en 2005, « à la grande surprise des autorités danoises d'ailleurs » raconte-t-elle (3), et en Autriche en 2013 (avec un rayon d'action sur trois pays voisins : la Hongrie, la Slovaquie et la Slovénie). Elle a aussi exercé à la direction du renseignement militaire (DRM), en 1993 comme capitaine, puis à l'Unité française de vérification de Creil comme d'équipe d'inspection de la maitrise des armements. Son premier poste était en Allemagne, au 20e régiment de train de Baden-Baden.

Un Estonien et un Polonais sur le podium

Deux petites prises de paroles (déclarations) sont prévues cet après-midi pour symboliser ce moment : celle du président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, qui a été un des grands artisans de ce retour de la défense et de la sécurité au premier plan (4) et celle du chef d'état-major estonien, le général Riho Terras. L'Estonie a, en effet, actuellement la présidence de l'Union. Tout un symbole également que le parcours de ce général, qui a fait son service dans la marine soviétique (URSS), avant de basculer dans l'armée de terre (compagnie d'infanterie) de son pays qui venait juste de recouvrer son indépendance (5).

Une symbolique vitale

C'est la première fois (à ma connaissance), qu'une telle cérémonie, mêlant au plus niveau, politiques et militaires, est organisée dans l'enceinte du Conseil européen (et même dans une enceinte européenne). On pourrait facilement se gausser d'une telle cérémonie ... Ce serait une, grave, erreur à mon sens. Les symboles font partie de la politique, ils sont la politique...

C'est une étape symbolique notable des avancées concrètes sur la question de la sécurité et de défense, mais aussi de la volonté politique, affichée, d'avancer encore plus avant. Certes ce sont les grands principes qui sont aujourd'hui posés. Il faudra attendre les actions. Mais ce sujet prévu par le Traité de Lisbonne signé il y a tout juste dix ans trouve enfin une première concrétisation (6). C'est inscrit aujourd'hui dans le marbre. Il sera difficile de reculer ensuite.

C'est un affichage politique, important, aux yeux de l'opinion publique européenne. Il n'y a pas que les crises, les divorces ou les "engueulades" (sur la migration ou la Grèce, sur le glyphosate ou le budget européen) qui font le sel de l'Europe. Oui ! l'Union est capable d'avancer, sur des sujets même difficiles, (presque) tous ensemble. Et le départ du Royaume-Uni ne représente pas un affaiblissement de l'Europe. Au contraire. Il favoriser une intégration supplémentaire. Merci David (Cameron) et Theresa (May) !

C'est aussi un message géopolitique aux yeux du monde, de la Russie par exemple ou des pays du voisinage. Le message est destiné plus particulièrement aux États-Unis. Oui, l'Europe est capable de se prendre en main, de s'assumer en tant qu'entité politique complète, c'est-à-dire intégrant (aussi) la "chose militaire", aux côtés des autres actions civiles. Merci Vladimir (Poutine) et Donald (Trump) !

C'est une sorte d'engagement public, qu'il sera difficile de renier ensuite, sauf à reculer ou faire un aveu d'échec ou d'impuissance. En soi, pour tous ceux qui défendent une politique européenne de la défense plus active – des Français aux Estoniens en passant par les Allemands, les Italiens ou les Finlandais –, c'est une petite victoire.

Maintenant, il faut passer au travail (de fourmi) pour tout mettre en œuvre, obtenir des résultats concrets, opérationnels, visibles, pour veiller à ce que ces avancées soient bien comprises du grand public (et pas seulement de la 'bulle' européenne) et ne s'abîment pas dans des querelles de procédure. Il faudra parler "franc", ne pas se gargariser de mots, veiller au "vide" démocratique qui marque cette coopération (7). Attention à ne pas décevoir...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Tous nos articles sur la Coopération structurée permanente sont ici dans notre nouvelle rubrique PESCO

Lire notamment :

Et sur B2 pro :

(1) A consulter ici, toutes langues UE disponibles (y compris Danois, Maltais et Anglais, les trois pays qui ne participent par à la PESCO).

(2) Le Luxembourg sera ainsi représenté par une femme le lieutenant-colonel Nadine Thinnes, représentante militaire adjointe du Luxembourg auprès de l'UE, ainsi que l'Allemagne, l'Estonie, la Grèce, les Pays-Bas.

(3) « Durant les premières quinze années de mon parcours, la présence d'un officier féminin n'était pas ressentie comme normale ou habituelle, elle ne pouvait résulter pour certains que de procédures d'exception » a-t-elle raconté dans un point de presse du ministère de la Défense en avril dernier (écoutez son témoignage video sur la présence des femmes dans l'armée). « Durant ma scolarité au CID (l'école de guerre) un camarade de promotion m'a demandé "comment j'avais fait" (...) l'idée que j'avais pu passer des concours comme lui ne l'avait pas effleurée. Les sentiments allaient de l'indifférence à la sympathie, parfois teintée de compassion, en passant par la curiosité et la mise à l'épreuve. Depuis la situation a bien changé ».

(4) avec Jean-Claude Juncker et Federica Mogherini qui ont été concrètement à la manœuvre et à l'initiative. Donald Tusk a beaucoup insisté pour le volet "inclusif" de cette Coopération et raccrocher, notamment au "wagon" européen la Pologne, largement réticente (et c'est un euphémisme !) au départ.

(5) La bio du général Terras résume à elle seule tout le parcours de ce petit pays balte, le plus à l'est de l'Europe. Il a perfectionné ses connaissances en Allemagne (école de la Bundeswehr), au Royaume-Uni (Royal College of Defence Studies), en Suède (commandant de compagnie) et en Suisse (Geneva Centre of Security Policy et commandant de bataillon). Et il reçu plusieurs décorations honorifiques notamment des principaux pays à l'initiative de la PESCO (la légion d'honneur française, l'ordre du mérite allemand et la croix d'honneur de la Bundeswehr, l'ordre du lion finlandais...).

(6) L'article 42, § 6, du traité sur l'Union européenne (TUE) prévoit que « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes, établissent une coopération structurée permanente (CSP) dans le cadre de l'Union ».

(7) Lire : La défense européenne en dérapage démocratique. Attention au manque de transparence !

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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