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Macron remet au pas l’armée. Un tir politique, à fragmentation (V2)

(B2) Aux militaires et aux autres qui n'avaient pas tout à fait saisi que leur nouveau chef des Armées, Emmanuel Macron, avait un goût assez prononcé pour la stratégie, les manœuvres tournantes, les tactiques de retraite silencieuse et de contre-attaque brutale, ils viennent d'en avoir un avant-goût. La première bataille budgétaire du quinquennat qui vient de se dérouler, ces jours-ci, s'achève sur un air de blitzkrieg de la communication sur lequel il est intéressant de pencher.

Une séquence bien organisée

La séquence parait très organisée, trop organisée d'ailleurs, pour être totalement improvisée. Le 28 juin, la Cour des comptes lance un rapport qui se veut alarmiste sur les finances de l'État. Il manque neuf milliards d'euros en 2017 par rapport aux objectifs annoncés. La conclusion est claire : il va falloir serrer la ceinture jusqu'à la fin de l'année et racler les fonds de tiroir.

Le temps du serrage de vis

Pour accompagner cette gestuelle, le gouvernement frappe partout, y compris dans la défense. Le 11 juillet, il présente la douloureuse décision. Il s'agit de montrer que les efforts demandés aux uns (social, éducation) sont aussi demandés aux autres (affaires étrangères, défense). Le montant demandé aux armées – 850 millions d'euros – parait bien énorme et plutôt contradictoire avec les engagements de campagne du candidat et, surtout, au contexte international et national.

Le temps de l'addiction à la datte est terminé

Mais c'est un acte politique destiné à montrer, en interne, l'inflexion du nouveau président et du nouveau gouvernement sur le redressement des comptes. Le Premier ministre Edouard Philippe l'avait dit, dès le 5 juillet, lors de la déclaration de politique générale : « Il y a une addiction française à la dépense publique. Et comme toute addiction, elle nécessitera de la volonté et du courage pour s'en désintoxiquer ».

Émotion militaire

Naturellement, les militaires s'émeuvent. Le général des armées Pierre De Villiers, chef d'état-major des armées, monte au créneau. Devant la commission de la défense de l'assemblée nationale, le 12 juillet, à huis clos il ne modèle pas son mécontentement. « Je ne vais pas me faire baiser comme ça » s'écrie-t-il selon un témoignage relaté par mon confrère . « Le grand écart entre les objectifs assignés à nos forces et les moyens alloués n'est plus tenable ». Les armées ont déjà trop contribué au redressement des comptes. « On a déjà tout donné » (1).

Un pas en direction de l'Allemagne

Le président Macron et le gouvernement semblent inflexibles aux critiques. Ils n'y répondent qu'à peine. Ce n'est pas l'urgence. L'important est ailleurs. Le 13 juillet, c'est le Conseil des ministres franco-allemand, spécialement convoqué à l'Elysée. Paris doit montrer à Berlin, actes à la clé, que le temps du déficit continuel est terminé. L'intensité, et la brutalité, des coupes démontre à la Chancelière allemande que la France ne se paie pas de mots. Le fait que la défense – point-clé pour le président et pour la sécurité européenne – ne soit pas épargnée n'est pas un vain détail. C'est une garantie, nette, que l'engagement français, en matière budgétaire, est déterminé. Ce qui permet à la Chancelière, à son tour, lors de la réunion au sommet, de faire un pas en direction des Français pour accéder à certaines demandes françaises, comme le renforcement financier et politique de la Zone Euro (budget, ministre, etc.) ou l'élévation du niveau d'ambition en matière de défense européenne. Le projet d'avion de chasse en commun est plutôt une idée française qu'allemande.

Le temps du recadrage : La défense est un secteur protégé

La réunion franco-allemande est à peine terminée... Le président Macron repasse à l'offensive et rappelle son engagement de campagne : l'objectif de consacrer 2% à la défense. Et il le prouve lors de son discours tenu devant les différents responsables de l'armée réunis à l'Hôtel de Brienne (le siège du ministère de la Défense) en cette veille de la fête nationale (video). Dès 2018, le budget de la défense va rebondir passant de 32,7 milliards à 34,2 milliards d'euros (2). Soit un peu moins qu'espéré les militaires — le général De Villiers avait placé la barre à 34,8 milliards –  mais largement plus que le budget actuel (+ 1,5 milliard d'euros). Mais l'important est de décrocher de la barre des 32 milliards où restait scotché le budget de la Défense depuis plusieurs années.

Le patron : c'est moi !

Reste ensuite à recadrer les râleurs qui ne sont pas encore soumis. C'est chose faite dans le même message. « Il n'est pas digne d'étaler des débats sur la place publique. J'ai pris des engagements [...] » rappelle le président de la République. « Les engagements que je prends devant les concitoyens, devant les armées, je sais les tenir et je n'ai à cet égard besoin de nulle pression, de nul commentaire ».

Un rappel au devoir de réserve

Et d'ajouter, histoire d'être bien compris : « J'aime le sens du devoir, j'aime le sens de la réserve qui a tenu nos armées là où elles sont aujourd'hui. Et ce que j'ai parfois du mal à considérer dans certains secteurs, je l'admets encore moins quand il s'agit des armées ». « Je suis votre chef » ajoute-t-il, de façon assez directe, et brutale, histoire d'être bien compris. Le président de la République cause, les militaires obéissent et la bouclent. Fermez le ban ! (3).

Un certain souvenir

Le piège se referme sur ceux qui ont cru que, comme sous la période de François Hollande, ils pouvaient manœuvrer à loisir et s'exprimer, éventuellement, contre le gouvernement. Le "jeune" Macron a une certaine expérience de ces arbitrages budgétaires et une certaine mémoire. Durant la période de 2014 à 2016, particulièrement lors de l'arbitrage difficile de 2015, quand il n'était que ministre de l'Économie, les chefs d'armée ne s'étaient pas privés d'exprimer leur point de vue, soutenu (et soutenant) en cela "leur" ministre de la Défense, J.Y. Le Drian. Des 'scuds' que n'a, semble-t-il pas oublié, le Macron devenu chef des Armées. La prise de parole, dans les Echos, du CEMA De Villiers, en décembre 2016, à la veille de la présidentielle lui avait déjà valu un 'recadrage', gentil, de François Hollande. D'où un nouveau rappel à l'ordre, beaucoup moins gentil cette fois.

Un message à double détente

Ce message paraît s'adresser, en premier chef, au général Pierre de Villiers. Mais au-delà, il s'adresse à tous : officiers généraux comme simples officiers, hauts fonctionnaires et diplomates. Jupiter est de retour, la règle de discipline vocale également (4). Au passage, il coupe les pattes à toute possible contestation notamment sur le budget 2018 (où le CEMA n'obtient pas l'enveloppe désirée). Ce message est aussi à destination de la population : c'est le président qui fixe le cap, et lui seul. Mais le président entend s'affirmer et montrer qu'il tient ses promesses. Le budget de la défense sera augmenté même si ce n'est pas un blanc seing pour les armées. Chaque million d'euro devra être soigneusement justifié, à entendre l'exécutif. Pas question de dépenser l'argent dans des équipements superflus (5). Sinon la hache budgétaire reviendra...

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Lire sur cet aspect ce qu'en écrit Vincent Lamigeon dans Challenge

(2) Dont 650 millions d'euros pour les opérations extérieures (OPEX) et non plus 450 millions d'euros comme traditionnellement, soit 200 millions d'augmentation.

(3) Un message reçu "fraichement" par les hauts gradés ainsi que le rappelle J.D. Merchet dans l'Opinion

(4) Est-ce souhaitable que les militaires et les officiers généraux soient ainsi réduits au silence, c'est une autre question qui mériterait au moins un autre article.

(5) Certains équipements, hautement technologiques. Une position qui impose cependant que des choix clairs soient opérés et que des priorités d'investissement soient marquées clairement où se trouvent les manques les plus criants. Comme l'indiquent, justement, les militaires, certains équipements sont à bout de souffle, notamment dans l'armée de terre (mais aussi la marine) : les équipements de protection manquent, les hélicoptères doivent être remplacés, les drones sont encore trop peu nombreux. Peut-on combler ces manques en maintenant à la fois la posture d'engagement sur trois terrains à la fois (intérieur, extérieur, cyber et terrorisme), en maintenant les contrats indiqués (Rafale notamment) et en renouvelant la posture nucléaire dans ses deux armes. C'est là toute une question qui mérite d'être posée.

(Mis à jour : papier complété le 15.7 - réintroduction d'un § sur l'épisode de 2015 (au lieu d'une note), ajout de la réaction dans les armées - précision (note 5) sur la notion d'équipements superflus (mal comprise ou mal exprimée) à la suite de certains commentaires)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “Macron remet au pas l’armée. Un tir politique, à fragmentation (V2)

  • PERRIN Dominique

    Cher Nicolas Gros-Verheyde, savez-vous ce que signifie “Pas question de dépenser l’argent dans des équipements superflus” certainement pas. Déplacer vous de Bruxelles vers une unité de l’armée de terre, tout ceci en “off” bien sûr. Constatez par vous-même l’état des casernements, la façon dont sont équipés les personnels partant en mission OPEX ou comment ils sont encore logés dans le cadre de “sentinelle” ou autre “vigipirate” et vous comprendrez enfin qu’il n’y a d’èquipements superflus que dans l’esprit de politiciens qui ordonnent des opérations sans jamais en prévoir le financement. “Qui paye commande” et « il n’y a pire indiscipline que de donner un ordre inexécutable ».
    La “grande muette” est à bout de souffle et il serait temps que l’on s’en rende compte…
    D. PERRIN

    • Vous avez raison en bonne partie. Je l’ai déjà en me déplaçant dans des unités qui assurent Sentinelle et autres missions. Et j’ai entendu et vu. Mon propos dans cet article n’est pas là. Je traduis, j’interprète la parole (et la manoeuvre) opérée par le PR, j’en donne une lecture, une interprétation. Ce n’est pas automatiquement ce que je pense… Sinon cet article serait plutôt un “éditorial” qu’une “analyse”.

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