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Une communication à la nord coréenne. Un manque de tact et de stratégie

Membres (civils et militaires) de la mission EUTM Mali au garde à vous devant le cercueil d'un des leurs, le soldat portugais décédé lors de l'attaque terroriste du 18 juin (crédit : EUTM Mali)

(B2) Alors qu'on célèbre à l'envi la beauté de la stratégie globale, qu'on tresse des louanges à n'en plus finir sur l'amour fou qui étreint l'OTAN et l'UE comme la superbe réussite de la communication stratégique, ces dernières heures ont vu une des bourdes les plus fameuses en terme de gestion de crise au niveau européen. En pleine attaque terroriste, au Mali, les institutions européennes semblent toujours aussi incapables d'assumer le moindre de leurs actes... même quand ils sont positifs pour l'image européenne.

Le Zéro communication sur l'attaque de Bamako

C'était dimanche 18 juin, à quelques km de Bamako, sur le complexe hôtelier Le Campement, la torpeur dominicale bascule tout d'un coup dans l'horreur. Une attaque terroriste vient de survenir... (lire : Attaque terroriste contre l’hôtel Le Campement près de Bamako. Des morts parmi les Européens (V9). Les Européens réagissent... Mais de façon étrange, bizarre, la communication officielle n'en dira aucun mot à aucun moment. Pourtant les actes sont notables.

Pourtant, les Européens réagissent... et bien !

Premier acte. Sur place se trouvent en effet (entre autres) quelques militaires européens. Certains  prennent leur arme de service, ripostent. Leur vigilance (et celles d'autres) surprend les attaquants qui ne s'attendaient sans doute pas à une réaction aussi rapide. Communication : 0

Deuxième acte. La quick reaction force (force de réaction rapide) qui est basé au QG de Bamako et permet de réagir rapidement en cas d'évènement touchant des Européens est mise en alerte. Composée de Tchèques, elle fonce sur place. Elle soutient les forces anti-terroristes maliennes (FORSAT) – arrivées très vite sur place également – dans leur reconquête du secteur et la neutralisation des terroristes. Communication : 0

Troisième acte. Le service médical de EUTM Mali a lui aussi été mis à contribution et une ambulance dépêchée sur place. Communication : 0

Enfin, quatrième acte, un hélicoptère de la mission a décollé pour assurer la recherche et la localisation des personnes disparues. Recherche qui a duré jusqu'au lundi au matin. Communication : 0

Des faits effacés de l'inconscient collectif

Tous ces faits, ces actes de bravoure ordinaire, dans n'importe quel État membre, auraient été mis en avant, avec tact, élégance ou brio. Pas au niveau européen. Ces faits ont soigneusement été effacés de l'inconscient collectif. On n'en trouve ainsi aucune trace dans la déclaration qu'a faite la Haute représentante de l'Union, Federica Mogherini, lundi au Conseil de Luxembourg (1). Pire. Un ordre a été très clairement transmis dans tous les services de bas en haut par la conseillère politique de la Haute représentante, Sabrina Bellosi : « sur les opérations, seule la Haute représentante communique ». Ordre suivi à la lettre. Rompez !

Une communication cadenassée à la "nord coréenne"

Le communiqué de presse qu'a publié EUTM Mali a ainsi été expurgé de tout élément non agréé par les 'communicants' de la Haute représentante. Ce qui fait qu'il est totalement incompréhensible (2). Il n'a d'ailleurs pu être publié que très tard dans la journée. Le mensonge par omission se double aussi d'un mensonge par action. Quand à B2, nous avons tenté (comme d'autres) d'obtenir ces informations auprès des services de communication européen, à plusieurs reprises, le lundi, avec quelques autres journalistes, nous n'avons obtenu aucune précision, aucune information, aucune confirmation. Au contraire, on nous a apporté un démenti clair : l'envoi de la Quick reaction force : « Non je ne suis pas au courant » indique un porte-parole de la Haute représentante, apparemment peu au fait que le ministre tchèque de la Défense a déjà confirmé officiellement cette présence.

Une question de légitimité

Si l'Europe veut avoir un petit rôle stratégique, elle doit faire un peu moins d'auto-propagande visant, dans un style esprit "Corée du Nord" ou "Mao Tsé Toung" de la grande époque, à chanter les louanges de la Haute représentante, de sa "Stratégie globale" (la plus grande œuvre de tous les temps :-).Elle doit assumer ses actes et informer, de façon la plus honnête, les médias. C'est une question de légitimité, c'est aussi une question de respect du travail des journalistes et de bon emploi des ressources publiques (3).

(Nicolas Gros-Verheyde)


Commentaire : J'ai beaucoup d'admiration pour l'esprit d'entreprise et le dynamisme de la Haute représentante actuelle. Je l'ai déjà dit, je l'ai écrit, et je le confirmerai encore. Mais cette appréciation, positive, a des limites. Celles de la réalité. J'ai beaucoup trop de respect pour tout le travail accompli sur le terrain par tous ces hommes et ces femmes pour voir ce travail ainsi bafoué, nié, négligé. On ne joue pas sur la mort pour chercher à soigner son image personnelle. Ce n'est pas correct. Dans un parcours quasi-sans faute jusqu'ici, ce dérapage de la communication de Federica Mogherini (qui est une faute grave) pourrait lui couter cher... en interne comme en externe.


(1) Pourtant nous sommes le lundi à 15h, soit 24 heures après les faits. A cette heure là, tous les hommes et femmes de la mission ont été localisés, et mis à l'abri. Les pertes sont établies, les familles averties. Les recherches ont cessé.

(2) A lire le communiqué de presse, on a une impression de malaise. Des coupez-collez ont été effectués si vite qu'ils sont quasi-visibles. Ils donnent une information tronquée. On a l'impression que le soldat portugais est mort au combat.

(3) On peut ainsi se poser la question de savoir si l'emploi de communicants, sur des fonds publics, qui n'ont pour objectif que de soigner l'image politique d'un dirigeant politique et non d'informer sur la politique européenne extérieure est justifié.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Une communication à la nord coréenne. Un manque de tact et de stratégie

  • Jean Paul Perruche

    Cette non-communication est effectivement très regrettable mais ne fait que souligner l’absence d’un “leadership” européen responsable. Dès 2006 dans mes responsabilités de DGEMUE, j’avais suggéré à Javier Solana de réfléchir à la communication du Secrétariat du Conseil en cas de pertes humaines dans des opérations de l’UE.
    Jean Paul Perruche

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