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Le gouvernement libyen contourne l’embargo sur les armes. Avec l’assentiment de Sophia ?

Le chien du Commandant Ducuing chargé de renifler les armes (crédit : EUNAVFOR Med / Marine nationale - Archives B2) 

 

(B2) Le gouvernement d'union nationale libyen, établi à Tripoli, contournerait-il l'embargo sur les armes avec un certain assentiment du commandement d'EUNAVFOR. C'est un peu le sens de l'interpellation qu'a faite l'ambassadeur français lors d'une réunion du COPS (le Comité politique et de sécurité de l'UE), le 25 avril, lors d'un point spécifique de la réunion consacré à l'opération Sophia (EUNAVFOR Med). Un point tenu en formation "secret" au Justus Lipsius, le siège du Conseil, où seuls les ambassadeurs étaient conviés (comme le prouve l'ordre du jour).

L'objet de la discussion vaut évidemment ces mesures de précaution. L'ambassadeur français accuse, preuves à l'appui, l'opération européenne EUNAVFOR et l'amiral Credendino, d'avoir laissé passé au moins un navire transportant des armes en violation de l'embargo imposé par les Nations unies et du mandat reçu par l'opération depuis septembre. Effectivement dans le bilan dressé avant la réunion des ministres de la Défense, en plusieurs mois d'action, le "0" armes trouvées s'affiche de façon immanquable. Ce qui est plus qu'étonnant pour une tâche démarrée depuis septembre (lire Au bilan de l’opération Sophia).

Un bateau de pêche reconverti en transport de blessés... et d'armes

Selon Der Spiegel, l'ambassadeur français a des faits précis : le gouvernement libyen de Tripoli se livre à de la contrebande d'armes de Misrata à Benghazi (Benghazi). Et il le prouve. Le « Lufy », ou « Al Luffy », un gros bateau de pêche avec plus de 15 équipages, reconverti en navire de transport. Officiellement ce navire rapatrie des blessés, mais à l'intérieur on a surtout chargé des mitrailleuses et d'autres armes. Malgré tout, aucune saisie n'est effectuée... Le Lufy passe sans encombre le contrôle européen. On ferme les yeux. Le contre-amiral italien Enrico Credendino a donné l'ordre de relâcher le navire – écrit l'hebdomadaire allemand – car celui-ci évolue au nom du gouvernement d'union nationale et bénéficie donc d'une sorte d'immunité. De quoi susciter une sérieuse colère de quelques États membres mis au courant, un peu excédés du double jeu italien.

Un coup de pied ou un coup de chance

Quelques jours après cette "explication" en COPS, une première saisie d'armes est assurée (et rendue publique), le 1er mai, par une équipe lituanienne et le navire Rhein. A bord, lance-roquettes, mines terrestres... un petit arsenal – selon nos informations – pas vraiment destiné à assurer la paix, mais surtout destiné  à lutter contre Haftar (Lire : Des armes à bord d’un navire libyen. Une première saisie pour Sophia). Un « coup de chance » ironise un diplomate. « Ce qui prouve que nous avions raison d'insister, et d'insister pour mettre en place un tel contrôle ». « Notre travail a payé » nous expliquera Enrico Credendino, assez peu loquace, alors que nous le croisons dans le patio du SEAE il y a quelques jours (le 4 mai).

Commentaire : Derrière la belle unité européenne, affichée officiellement, soutenant le gouvernement de El-Sarraj, les divisions sont en fait bien réelles. Entre Français et Britanniques, d'un côté, et Italiens ou Maltais, de l'autre, la vision de la solidité et du soutien au gouvernement de Tripoli est très différente (pour être diplomate...).

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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