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Frappes américaines en Syrie. Le message de Mars à Vénus

L'USS Porter - un des navires d'où sont partis les Tomahawk - normalement basé à Rota en Espagne, appartient à la VIe flotte basée en Méditerranée (crédit : U.S. Navy/Ford Williams)

(B2) Les Européens se sont réveillés groggy vendredi (matin). Les États-Unis ont frappé vite après l'attaque chimique menée par le régime Assad sur Khan Cheikhoun. Les stylos et papiers de la conférence sur la Syrie, organisée à Bruxelles mardi et mercredi, étaient à peine rangés que les Américains s'étaient déjà décidés à agir et à passer à l'action.

Dans la nuit du 6 au 7 avril, 59 missiles Tomawakh, lancés à partir de deux navires — l'USS Porter (DDG-78) et l'USS Ross (DDG-71) basés en Méditerranée –, ont été tirés sur la base aérienne de l'armée syrienne de Shayrat (ou Al-Chaayrate).

Des lignes rouges à ne pas dépasser

La décision qu'a prise Donald Trump lui donne une assise que peu avaient pressentie jusqu'ici. En quelques jours, il a opéré un revirement politique quasi complet. D'une désignation de Daesh comme l'ennemi suprême, et de Bachar comme d'un encombrant personnage dont on pouvait s'accommoder, il est passé à désigner celui-ci comme un adversaire. Le régime de Damas est désormais prévenu et de façon très claire : il y a certaines lignes rouges à ne pas dépasser dans la guerre que le régime mène à une partie de sa population. C'est autrement plus efficace que des déclarations non suivies d'effet. Trump inaugure l'ère de l'effet sans déclaration préalable, un peu selon la méthode russe (1).

Un message à triple détente

Ce message n'est pas seulement à destination de la Syrie, il a une triple signification.

Un avertissement à Téhéran et Pyongyang

Le message est à destination aussi des pays voisins, notamment Téhéran : attention à ne pas reprendre un programme de prolifération nucléaire, ou ce pourrait être l'Iran qui pourrait être visé la prochaine fois, une action dont rêvent certains responsables israéliens. Il peut aussi être à destination de la Corée du nord, autre pays qui tend à jouer avec les limites de la prolifération nucléaire.

Un langage de la force pour les Russes

Le message de Trump est à destination des Russes. Même si Moscou a élevé une vive protestation, et que le ton semble monter entre les deux capitales, il semble s'agir pour l'instant plus d'une montée en puissance des muscles politiques que militaires. Le langage de la force est une notion fort utilisée par les Russes... et parfaitement comprise.

Moscou informé à défaut d'être d'accord totalement

Cette attaque semble, de plus, avoir été menée sinon avec l'assentiment de Moscou, du moins avec sa compréhension. Les autorités russes qui assurent conjointement avec les Syriens la surveillance aérienne de la zone ayant été – semble-t-il – averties de la frappe. De plus, ainsi que me l'a confié une source occidentale, les mouvements de navires américains en Méditerranée ne sont pas passés inaperçus et pouvaient laisser présager une réaction américaine. C'est la rapidité qui a surpris les observateurs, même les mieux avertis.

Le message de Vénus à Mars

Enfin, le message du président Trump est à ses alliés européens : il y a un patron à Washington et un seul patron à l'OTAN : ce sont les États-Unis qui seuls en mesure d'agir dans le monde, de façon militaire. C'est le retour très clair de la dichotomie entre la douce Vénus et le martial Mars, l'un cause et sort le chéquier pour réparer, l'autre agit militairement et discute politiquement. Trump s'inscrit ainsi dans les pas de ses prédécesseurs républicains : Ronald Reagan et George W. Bush. Il permet, au passage, au président américain de fédérer les Républicains autour de lui et de faire taire toute critique à Washington le présentant comme un président velléitaire.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Comme me le racontait il y a quelques années Dimitri Rogozine lorsqu'il était ambassadeur auprès de l'OTAN à l'époque de la Géorgie et du bouclier anti-missiles : « on frappe ... et on discute après ».

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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