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Le maire d’Alep au Conseil européen : des actes… pas des mots !

Brita Hagi Hasan devant la presse (Crédit : Conseil de l'UE / B2)

(B2) Devant les membres du Conseil européen, comme précédemment devant Donald Tusk, jeudi (15 décembre), le maire d'Alep, n'a pas mâché ses mots.

Nous « voulons des actes, pas des mots ». Il y a un « échec de la communauté internationale, un échec de l'Europe, un échec des ONG » a dénoncé Brita Hagi Hasan.

Cette intervention est exceptionnelle à plus d'un titre. Il est rare qu'un dirigeant étranger soit autorisé à s'exprimer devant le Conseil européen (1). Il est très, très rare qu'un dirigeant d'une opposition — qui plus est "simple élu local" — le soit. La présence du maire d'Alep est, en soi, un vrai tour de force, un « beau coup de communication » mais aussi l'indicateur de l'inquiétude des Européens, un vrai geste politique (2).

Son intervention publique vaut donc le détour. Elle mérite d'être parcourue dans son intégralité, d'autant qu'elle recouvre, pour l'essentiel selon nos informations, les propos tenus à l'intérieur du Conseil européen par l'élu syrien. B2 l'a donc retranscrite.

« Ce n’est pas la première fois que je suis dans ses murs pour donner mon message. Mais ce que nous attendons ce sont des actes plutôt que des mots. Les enfants d’Alep qui restent attendent d’être sauvés. Ils demandent à toute la communauté internationale de les sauver. Pour l’instant, la communauté internationale n’a pas été capable d’apporter une solution pour Alep-Est, pas même faire venir du lait pour les bébés.

Je suis le président du conseil citoyen. J’ai été librement élu par les gens. Je ne suis pas un homme politique. Simplement un humain qui les représente et tente d’aider d’autres êtres humains. Mais le silence de la communauté internationale me fait pleurer, car je vois la conséquence pour les enfants.

Ces crimes, ces meurtres de plus de 500 000 personnes et qui forcent plus de 12 millions à émigrer et ont fait plus de 1,2 million de blessés dans toute la Syrie.

50.000 habitants d'Alep-Est n'attendent plus que la mort. Après l'échec de la communauté internationale, du Conseil de sécurité et de l’ONU d’imposer une trêve humanitaire, que puis-je dire aux civils qui ont besoin de sortir de là ? Nous avons besoin de la mobilisation de toute la communauté internationale pour régler cela. Ce que nous demandons ici, ce n’est pas la meilleure solution, c’est seulement la moins militarisée. Des dizaines de massacres sont perpétrés chaque jour. C’est une situation tragique que nous ne pouvons même pas décrire.

Alep est une des villes les plus anciennes du monde. Mais, à cause de ces criminels, elle a été transformée en une ville de rebelles et de destruction. Les crimes de guerres, les crimes contre l’humanité, qui y ont été perpétrés, sont une violation de toutes les lois internationales. Malgré cela, il semble que le régime maintienne sa légitimité aux yeux de nombreux pays. Nous devrions être capables de séparer les questions sécuritaires de celles qui sont politiques, spécialement au Conseil de sécurité [où] toute initiative est bloquée par un veto russe. Face à la communauté internationale, je vous parle d’humanité, je parle de, et à, des humains.

Malheureusement, la communauté internationale n’a pas été capable de faire quoi que ce soit. Alep n’est pas la première ni la dernière. 12 millions de personnes ont été obligées à fuir. Même au sein de l’UE il y a des millions de réfugiés syriens. Ils sont venus en Europe parce qu’ils fuient simplement les bombardements, les assassinats. Ce bain de sang, cette situation, sont terribles.

Nous demandons justice face à ces criminels. Nous demandons une protection, de l’aide pour les civils, au nom de l’humanité, des droits de l’homme. Malheureusement, les associations des droits de l’homme ont échoué. Aujourd’hui, l’évacuation est déjà stoppée. Quatre personnes ont été touchées par des balles et une personne a été tuée. Même les civils, qui sortent de chez eux, sont tués. Nous demandons une véritable protection des civils.

L'Histoire ne pardonnera pas. L'Histoire prend note de ce qui se passe. L'Histoire prend note du silence international face aux crimes contre l'humanité commis en Syrie. La volonté des êtres humains est ce qui prévaudra au final.

Il faut une cohésion urgente, pour forcer le régime et les milices iraniennes sur le terrain, à respecter le cessez-le-feu. Nous avons besoin de l’organisation d’une sortie sûre pour les civils. Et ensuite, nous aurons besoin que le Conseil de Sécurité, en s’appuyant sur les preuves des exactions qu’il a commis, retire la légitimité de ce régime. Les preuves existent.

Un message qui complète celui envoyé la veille, par écrit.

« Monsieur le Président du Conseil européen, Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement, Je ne vous demande pas de sauver nos rues étroites, nos souks, nos murs, c’est fini. Je ne vous demande pas de faire revenir les vies perdues, c’est fini. Je ne vous demande pas de sauver la liberté, c’est fini. Mais je vous demande une dernière chose. Je vous demande encore de sauver ce qui reste de nos vies, nos femmes et nos enfants, en ouvrant un corridor. Demain matin vous serez rassemblés à Bruxelles en Conseil européen, je ne vous demande rien sinon de me recevoir et d’entendre mon témoignage. »

(Leonor Hubaut avec NGV)

(1) Cela a été le cas pour le président ukrainien Porochenko à plusieurs reprises en 2014-2015, ou le président américain Barack Obama, en mars 2014, et son prédécesseur George Bush, en février 2005. Les interventions de dirigeants étrangers sont plutôt l'apanage des sommets bilatéraux où ne sont généralement représentés, côté européen, que les institutions européennes (présidence fixe et/ou présidence tournante de l'UE, Commission européenne, etc.)

(2) En 2012, même les dirigeants du CNT, reconnus par certains des membres de l'UE mais pas par tous, avaient dû faire antichambre dans les couloirs du Conseil européen, avant de pouvoir discuter avec certains responsables mais pas autorisés à pénétrer dans la salle de réunion

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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