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Le double avertissement du chef de l’OTAN à Donald Trump et aux Européens (entretien exclusif avec Jens Stoltenberg)

(crédit : OTAN)
(crédit : OTAN)

(B2 - exclusif) Dans un entretien à B2 et Sud-Ouest, publié vendredi, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a averti mezzo vocce le nouveau président américain, Donald Trump, comme les Européens de ne pas jouer avec le feu.

  • Le langage reste très policé et diplomatique, et il faut le lire souvent à rebours. Mais, au lendemain de l'élection américaine et à la veille de la réunion des ministres des Affaires étrangères et de la défense de l'UE, le message est très clair : ne tentez pas d'affaiblir le lien transatlantique, de diminuer le rôle de l'OTAN, c'est votre meilleure garantie de stabilité pour l'Europe, comme pour les États-Unis ! Sur la défense européenne, le secrétaire général de l'OTAN ne veut pas s'engager plus avant... La volonté européenne de se doter d'un C2 (Command & Control) autonome ne lui parait pas vraiment une bonne idée. Il engage plutôt les Européens à s'investir dans l'OTAN.

Etre candidat c'est une chose, être président c'est une autre, Trump doit s'inscrire dans les pas de ses prédécesseurs

« Les Américains ont toujours été engagés dans l’OTAN depuis 70 ans. C'est un engagement solide comme le roc. Je suis certain que les États-Unis continueront de l’être. (...) Tous les présidents américains ont toujours été de grands supporters de l'OTAN. Tout simplement parce qu'ils ont vu qu'une OTAN forte n’est pas seulement bénéfique pour l’Europe, c’est bien aussi pour les États-Unis. »

L'OTAN n'en est pas à sa première réforme et elle peut encore s'adapter

« Je chercherai à travailler avec [le président élu Donald Trump] pour continuer à adapter l'OTAN face aux défis existants de la sécurité, comme nous l'avons fait avec ses prédécesseurs auparavant. »

La solidarité transatlantique, ce sont les Etats-Unis qui en ont bénéficié les premiers.... en 2001 ! Un fait que Donald Trump semble avoir oublié

« L’article 5 a été invoqué par les États-Unis, après les attentats du 11 septembre 2001. C’était la première, et la seule fois, qu’on a mis en œuvre cette clause de défense collective. Des soldats de toute l’Europe et du Canada ont alors répondu présent, pour aller en Afghanistan, dans une opération de l’OTAN. C’était une réponse directe à une attaque contre les États-Unis et à une demande américaine. Plusieurs centaines d'entre eux ont payé de leur vie cet engagement. »

Dans une période d'instabilité aux bordures de l'Europe, l'OTAN a son intérêt

« Plus que jamais. Particulièrement dans des moments de tensions, d'augmentation de l'instabilité d'imprévisibilité, comme aujourd'hui, il y a besoin d'avoir d'institutions fortes comme l’Alliance. L’OTAN offre de la stabilité. L'OTAN est une plate-forme de coopération. L'OTAN permet d’avoir un lien solide de part et d'autre de l'Atlantique. Cela a toujours été le cœur des tâches de [notre] organisation. »

Si on mine cette solidarité, on enlève un élément clé de la dissuasion euro-atlantique

« Tant que nous serons unis, nous serons capables de transmettre le message très clair qu'une attaque contre l'un est une attaque contre tous. C’est la meilleure dissuasion possible et cela préviendra un conflit. Dans un monde plus dangereux, où il faut répondre à la fois à une Russie plus affirmée, à l'Est, et au terrorisme et à l'instabilité au Sud, l'OTAN est là pour dissuader et fournir une défense solide. »

La nécessité de partage du fardeau entre l'Europe et les USA est une réalité... Et ce n'est pas nouveau

« C'est un problème réel. C'est sûr. A chaque fois que j'ai été à Washington, c'est le même message que j'ai entendu, venant du Congrès, de la Maison Blanche, d'Obama comme du président élu Donald Trump. C'est le message des Etats-Unis... »

... et les Européens ont entendu ce message et commencé à prendre des mesures

« En 2014, au sommet du Pays de Galles, nous avons décidé collectivement d'arrêter les coupes dans la défense et de, progressivement, augmenter les budgets de défense pour les amener à 2% du produit intérieur brut (PIB). Dès la première année après la décision, en 2015, après des années de coupes, nous avons pu obtenir que la baisse des dépenses soit stoppée. Et en 2016, les premières estimations montrent qu'on a réussi à augmenter d'un peu plus de 3% les dépenses. Il reste encore un long chemin à parcourir, la situation est toujours ambivalente. Certes. Mais c'est au moins beaucoup mieux qu'il y a quelques années. Oui, le message [américain] a été entendu par les Européens. »

Le projet de l'Union européenne de se doter d'un QG autonome pour ses opérations militaires, c'est ... non

« Il est est trop tôt pour moi d'être précis pour dire comment résoudre les différents défis. (...) L'important maintenant est de s'asseoir et de travailler ensemble. Et surtout, il est primordial que le processus au sein de l'UE reste transparent (*) afin que les Alliés non membres de l'UE puissent être certains que la façon dont l'Europe renforce sa défense apporte quelque chose en plus (added value), soit complémentaire et n'entre pas en concurrence avec l'OTAN. »

Ce n'est pas le moment d'affaiblir le lien transatlantique

« Je salue les discussions en Europe pour renforcer la défense européenne. C'est une discussion en cours en Europe et dans l'Union européenne. Je suis convaincu, en effet, qu'une défense européenne plus forte renforcera l'OTAN, le lien transatlantique et permettra, au final, un partage plus équilibré du fardeau. Ce sera encore plus facile de transmettre le message aux États-Unis que nous travaillons ensemble. »

L'OTAN reste la clé de la défense européenne

« Je me félicite, notamment, des déclarations de nombreux dirigeants européens disant que l'objectif n'est pas de construire une armée européenne, de faire de la défense collective ou de présenter une alternative à l'OTAN mais davantage de faire quelque chose de complémentaire à l'Otan. »

Le Brexit renforce encore la nécessité de l'OTAN comme 'cornerstone' de la défense

« Il faut bien prendre conscience qu'après le Brexit, 80% des dépenses à l'OTAN sera assuré par des pays qui ne sont pas membres de l'UE. Et trois des quatre bataillons déployés à l'Est de l'Europe l'année prochaine seront dirigés alors par des pays non membres de l'UE (États-Unis, Canada, Royaume-Uni). Il n'y a pas d'autre moyen que de travailler ensemble. »

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

Entretien complet (publié le 11.11 : Une défense européenne : Oui mais... en complément à l’OTAN

(*) Ce terme peut signifier tout autant la nécessité d'une information continue tout au long du processus de négociation entre Européens, mais aussi après, lors du fonctionnement d'un éventuel QG ou centre de contrôle des opérations. Ce qui supposerait alors, d'une façon ou d'une autre, d'associer les Alliés non UE (Turquie et Royaume-Uni dans le futur), de façon étroite à ce fonctionnement. On sent bien que l'option de renforcer l'unité de liaison européenne au sein du Shape pourrait avoir la faveur de l'Alliance plutôt qu'un centre de commandement autonome au sein de l'état-major militaire de l'UE.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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