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L’Egypte a vendu ses BPC à la Russie dit Macierewicz. Info ou Intox?

Cérémonie de livraison du premier BPC à l'Egypte, juin 2016 (crédit : DCNS)
Cérémonie de livraison du premier BPC à l'Egypte, juin 2016 (crédit : DCNS)

(B2) C'est la dernière trouvaille du ministre polonais de la Défense, Antoni Macierewicz, jamais avare d'un coup bas, l'Egypte aurait revendu ses BPC Mistral à la Russie pour 1 $. Cette « information » boiteuse courait depuis plusieurs jours. Le ministre l'a reprise à son compte et confirmée officiellement à la Diète polonaise jeudi dernier (20 octobre), répondant à un des députés de la représentation nationale.

« Il est vrai que les Mistral ont été vendus à l'Égypte. Et il est vrai que ces derniers jours, ils ont été de facto transférés à la Fédération de Russie pour un dollar. Cette opération a effectivement eu lieu. Et sa relation avec [la vente des hélicoptères] Caracal justifie la [saisine] du Bureau Central Anti-corruption [qui aura lieu] bientôt. Je vous assure qu'il y aura une belle explication pour savoir qui était responsable au sein de l'État ». Voir la déclaration (polonais *)

Une information qui mérite des détails

Le ministre n'a pas voulu détailler de ces informations mais il a confirmé à nos collègues de la télévision polonaise avoir « une très bonne source »... Si cette information est vraiment attestée, le ministre de la Défense polonais devrait en dire davantage, ne serait-ce que par solidarité avec ses alliés de l'OTAN. Cette transaction n'est pas anodine et peut effectivement changer la donne sur la sécurité européenne. Si cette information est fausse, il doit la démentir rapidement. Laisser courir de telles allégations sur la foi d'une simple rumeur n'est vraiment pas très sérieux et pas digne d'un ministre de la Défense d'un des pays qui n'est pas le moindre en Europe de l'Est, et dont la fiabilité avait, jusqu'ici, été sans tâche.

Un danger pour la réputation polonaise si l'information est fausse

Si le ministre s'entête à ne rien dire et que l'information s'avérerait totalement ou grossièrement fausse (ce qui semble être le cas), elle représenterait un très grave discrédit pour le gouvernement de Varsovie. Et un danger à terme pour la sécurité polonaise. A force de hurler au loup, quand celui-ci n'y est pas... quand le loup sera vraiment là, plus personne ne prendra au sérieux les déclarations de Macierewicz, qui n'a déjà pas vraiment beaucoup de crédit auprès des différents alliés européens de l'Alliance.

Du grand n'importe quoi

Selon plusieurs sources consultées par B2, l'information du ministre de la Défense polonais est en effet « originale », « ridicule », « du grand n'importe quoi ».... Vous pouvez ajouter tous les adjectifs que vous voulez. Je n'ai trouvé personne pour me donner même le plus petit début de confirmation. En gros, l'information serait totalement "bidon" au point qu'on peut se demander si le ministre ne s'est pas laissé intoxiqué par ses propres services dans un seul but : le discréditer. Même du côté des diplomates polonais, on se refile la patate chaude : « voyez avec le ministère » m'a dit l'un d'eux. Celui-ci consulté par mes soins (par mail) n'a pas encore jugé bon de me répondre...

Chercher la logique ?

Effectivement, quand on connait les Égyptiens, on peut se demander quel intérêt ils auraient à revendre pour 1 $ des navires acquis contre monnaie sonnante et trébuchante ... alors qu'ils sont en train de terminer la formation de leurs équipages (1) et de compléter l'équipement de ces portes-aéronefs et que cet équipement constitue pour eux un saut qualitatif par rapport à leurs voisins (Israéliens, Golfe, Turquie, etc.). Ce type de décisions ne se prend pas à la légère.

Quelques points pour éclairer

Le choix de l'Égypte agréé par Moscou

Certes la Russie veille sur le feu des BPC Mistral - renommés Gamal Abdel Nasser et Anouar El Sadate en honneur des deux présidents égyptiens — . La vente au Caire a été effectivement autorisée par les Russes. Ils ne souhaitaient pas que cet équipement, commandé par la Russie et en partie financé par eux (même s'il y a eu un remboursement des sommes + une indemnisation) puisse profiter à un pays qu'ils n'auraient pas agréé  ou qui se révélerait contraire à leurs intérêts stratégiques. L'Égypte qui a une politique équilibrée d'achats militaires (aux Américains, aux Européens, aux Russes) templir ainsi leurs critères.

La fourniture en hélicoptères

Les Russes devraient aussi équiper les deux navires en hélicoptères. Le Caire appelé la Russie pour qu'ils équipent leurs navires... en hélicoptères Ka-52 (Hokum B dans la nomenclature OTAN) a indiqué Anatoly Punchuk, directeur adjoint de la coopération militaire et technique russe (FSMTC), jeudi (18 octobre), selon l'agence Spoutnik. La vente des navires par la France ne comprenait pas, en effet, la fourniture des hélicoptères. Il y a là une certaine logique également puisque les Russes avaient déjà étudié la mise en place de ces navires qui avaient été adapté pour ces appareils.

Un contrat rompu après de mûres hésitations

De là à dire que ces navires appartiennent aux Russes. C'est un pas qui ne peut être franchi. Pour Paris, cela constituerait assurément une brèche au contrat. Le contrat des BPC Mistral destiné aux Russes — ils s'appelaient alors le Sébastopol et le Vladivostok — avait été rompu par les Français, après plusieurs mois d'hésitations. Une décision mûrement réfléchie, et sur des considérations d'ordre stratégique. « Il était difficile de donner aux Russes un tel équipement dont ils auraient pu se servir dans leurs diverses activités [notamment d'intimidation] ou opérations » explique une source bien au fait du dossier.

Des pressions importantes

Paris avait subi alors de nombreuses pressions notamment des Américains (lire : Entre Obama et Hollande, un air de Mistral …) mais aussi de plusieurs alliés (nordiques, de l'Est), inquiets de voir un tel équipement vendu aux Russes en pleine annexion de la Crimée et conflit à l'Est de l'Ukraine. Et la décision annoncée juste avant le sommet de l'OTAN au Pays de Galles (lire : La vente du Mistral à la Russie est suspendue (Fr. Hollande)). Voir comme seule cause la vente des hélicoptères à la Pologne est plutôt surestimer ce facteur (même s'il a joué incontestablement) dans une décision qui est avant tout politique et en nature avec la solidarité entre Alliés.

(Nicolas Gros-Verheyde)

* traduit par nos soins

(1) La cérémonie de passation du second navire a eu lieu à la mi-septembre. Et le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, grand artisan de cette vente à l'Égypte, était au Caire fin septembre pour célébrer cet évènement. Et les deux premiers équipages des deux BPC Gamal Abdel Nasser et Anouar-El-Sadat viennent de terminer leur formation à Saint Nazaire.

Lire aussi :

Et sur le blog :

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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