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God save … l’Angleterre et l’Europe ! Ne dites plus 28 mais 27

le HMS Vanguard (crédit : UK Royal Navy)
le HMS Vanguard (crédit : UK Royal Navy)

(BRUXELLES2) Jusqu'au dernier moment les sondages ont fait traîner un leurre, le "Remain" l'emportant assez largement. Jusqu'à minuit on était encore à des sondages gagnant à 52% (YouGov) voire à 54% (IpsosMori). Avant de battre en retraite piteusement. Le Brexit s'installait durablement durant la nuit au fur et à mesure des dépouillements dans l'Angleterre traditionnelle. Les pro-européens ont dû déchanter. Le 'Leave" avait gagné. Mon analyse tranche sans doute avec la plupart des commentaires apitoyés. Mais je ne suis pas sûr que le Brexit — qui pose toute une série de questions — soit le désastre annoncé... pour plusieurs raisons. C'est un saut certain dans l'inconnu... Mais un saut contrôlé !

Le résultat était-il une totale surprise ?

Le contraire aurait été surprenant. Cela fait des années que les principaux journaux à gros tirage (Daily Mail, Daily Telegraph, Daily express) montrent, exemples à l'appui (souvent les plus farfelus...) que l'Europe n'est pas une bonne chose et qu'il serait bien meilleur d'être tout seul. Ils ont fait une campagne intense en faveur du Brexit. Cela fait des années, aussi, que de nombreux responsables politiques pointent du doigt Bruxelles pour éviter de s'interroger. David Cameron n'ayant pas été le dernier dans ce sport de l' 'Europe Bashing'. Sa volte-face pro-européenne, aurait constitué un véritable tour de force s'il avait réussi.

Est-ce une catastrophe pour l'Europe ?

Ce n'est pas sûr. D'une part il y aura un accord avec le Royaume-Uni pour permettre aux Européens et aux Britanniques de continuer à commercer et à se financer ensemble. La City, l'industrie, l'économie britannique ont besoin des débouchés européens. Et vice-versa. Il y a une convergence très nette d'intérêts qui va pousser dans le sens d'un accord permettant au Royaume-uni de continuer à s'arrimé économiquement au continent. Cette solution convient d'ailleurs aux Britanniques : bénéficier sans participer. Lire : Après le Brexit : fini le marché unique et tout le reste ? Raison gardons ! Scénarios… Ensuite tout dépend de la réaction des pays fondateurs qui, jusqu'à présent, sont restés (depuis une dizaine d'années) très timides (un mot gentil !) sur la construction européenne.

Un accord est-il facilement négociable ? Rapidement ?

L'accord ne sera pas facile à négocier. Car il y a une série de liens à dénouer et ... à renouer. C'est un peu une procédure d'élargissement à l'envers. Dans cette négociation, il reste deux atouts majeurs : 1) le Royaume-Uni reste membre des autres organisations européennes (OCDE, Conseil de l'Europe, OTAN, OSCE) et il peut revenir à l'AELE qu'il avait contribué à créer. 2) Le Royaume-Uni ne participe déjà pas à la moitié des politiques européennes (Euro, Espace Schengen, Coopération policière et judiciaire). Il n'est pas membre ainsi de la Banque centrale européenne, de l'Agence Frontex. En matière de défense européenne, il reste un 'outsider'.

Peut-on arriver rapidement à un accord ?

Ce sera difficile. Mais on peut penser que la négociation pourrait être plus rapide que prévu, au moins sur l'essentiel : l'économie. Il est hors de question pour le Royaume de laisser planer une quelconque incertitude pour les investisseurs étrangers, et pour tous les secteurs économiques (finances, commerce maritime, industrie, immobilier...) essentiels à l'économie britannique et sensibles aux mouvements extérieurs. Les derniers temps, ceux-ci ont retenu leur signature, ou inséré une "clause Brexit" de révision possible du contrat. Ce serait arrêter toute la machine économique britannique. Dès l'annonce du Brexit, les bourses ont chuté. Si l'incertitude se prolongeait, ce mouvement superficiel, de mauvaise humeur pourrait, lui aussi, se prolonger et endommager gravement l'économie britannique. Un accord, au moins transitoire, devrait donc être annoncé rapidement. La City insiste ainsi pour une solution provisoire.

Quand démarre la négociation ?

Officiellement il faut attendre la notification par le gouvernement britannique de sa décision de sortir de l'Union européenne et de faire jouer la procédure prévue à l'article 50 du traité européen (Lire : Brexit ! Quelle procédure pour le retrait ? Quand est-ce applicable ?). Dans les faits, point besoin d'attendre. Dès maintenant, juristes et sherpas sont au travail pour bâtir une solution convenable pour tout le monde. Si aucun délai n'est fixé pour la notification dans les traités, on peut se demander si une notification qui est juste la transcription des résultats d'un vote populaire peut vraiment tarder plusieurs mois. C'est douteux juridiquement et, surtout, très dangereux politiquement et... économiquement.

Quelles conséquences sur le gouvernement britannique ?

Il va être secoué. Ce référendum est une décision propre, personnelle, de David Cameron. Une promesse de campagne. Rien ne justifiait ni au niveau politique ni au niveau juridique la mise en place d'un référendum sur l'Union européenne. Le Premier ministre britannique s'est engagé pleinement dans la campagne, énergiquement. Mais il va désormais devoir assumer ce qui est, avant tout, sa défaite, personnelle. Il a d'ailleurs annoncé sa démission... d'ici le mois d'octobre, le temps de trouver un remplaçant. Les Tories vont sortir affaiblis de la bataille qui les a divisés.

Quelles conséquences pour le Royaume-Uni ?

C'est une vraie question. L'Ecosse, proprement européenne, pourrait être tentée par l'aventure solitaire et rejoindre de façon indépendante l'Union européenne. Ce qui est juridiquement tout à fait possible à condition que ce soit politiquement possible (avec un second référendum sur l'indépendance en Ecosse). Il suffit de négocier un accord dans l'accord pour permettre la continuation des Ecossais aux accords liant le Royaume-Uni à l'Union européenne. En soi, la question écossaise n'est pas très préoccupante pour la stabilité européenne... Le problème plus inquiétant, et souvent minoré, est l'Irlande du Nord. L'accord de paix signé en Ulster n'est pas encore parfaitement consolidé. L'idée d'une Irlande réunifiée est évoquée aujourd'hui clairement par certains partis comme le Sinn Fein (gauche, ancienne branche politique de l'IRA).

Quelles conséquences pour l'Europe ?

Elles sont difficiles à estimer. Mais ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que l'Union européenne va sérieusement devoir réfléchir à son fonctionnement. La méthode du "vélo" semble morte. Les institutions européennes sont déconnectées de la population. Et la faute n'en revient pas au Royaume-Uni mais ... aux pays fondateurs.

Quelles conséquences pour la défense européenne ?

Aucune ! (Lire : Brexit. Le Britannique est-il nécessaire à l’Europe de la défense ? (et article à suivre)

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : God save the Queen ! L’Europe à la veille d’une révolution politique ?

et notre dossier N°38. Brexit ou Remain. Quand le Britannique se tâte sur l’Europe

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “God save … l’Angleterre et l’Europe ! Ne dites plus 28 mais 27

  • Merci pour ce bon article, on n’en voit pas assez comme ça en ce moment…

  • Renée COMBAL-WEISS

    Merci, Nicolas, de nous offrir, comme souvent, la possibilité du recul, même et surtout à chaud. Vous êtes la preuve vivante que l’UE peut exister à condition d’exiger le respect de ses peuples, à condition de les aider à réfléchir sur leurs intérêts communs ( pas seulement économiques, mais aussi économiques) à moyen et long terme, et à condition de refonder le projet avec la ferveur humaniste qui l’a toujours habité. Renée Combal-Weiss – co-fondatrice de l’association Citoyennes pour l’Europe (qui vient de recevoir le Prix du citoyen européen, hier, pendant que les britanniques votaient … sic). Mais je vous écris ici à titre personnel.

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