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L’opération Sophia devient une “vraie” mission de présence en mer

L'opération EUNAVFOR n'aura plus seulement un rôle de secours aux migrants et contrer le trafic
L'opération EUNAVFOR n'aura plus seulement un rôle de secours aux migrants et contrer le trafic

(BRUXELLES2) C'était une demande insistante des Français et des Britanniques notamment. Les navires européens présents en Méditerranée dans le cadre de l'opération Sophia (EUNAVFOR Med) ne doivent pas faire que du sauvetage en mer, mais avoir une attitude plus robuste notamment contre les trafiquants d'êtres humains, mais aussi contre les trafics en tous genres.

Deux tâches nouvelles

Les '28' ministres des Affaires étrangères, réunis à Luxembourg vont adopter, ce lundi (20 juin), une décision qui marque un tournant dans l'opération d'ajouter deux nouvelles tâches aux navires européens naviguant au large de la Libye : le contrôle de l'embargo sur les armes et la formation des garde-côtes libyens. Une demande qui n'enchantait guère les Allemands, obligés de repasser devant leur Bundestag et dont le rôle de « gentil » père sauveteur leur allait comme un gant (1).

Un navire français ?

Paris va désormais devoir joindre le geste à la parole. Jusqu'ici la contribution française a été plus que limitée (2). La France n'a fourni que très occasionnellement ce navire, et de manière tout aussi occasionnelle un avion de patrouille maritime (Falcon). Selon nos informations, la fourniture d'un navire en permanence pour le contrôle des armes est « à l'étude ». Un diplomate d'un Etat membre le faisait remarquer à B2 : « ce sont à ceux qui défendent une augmentation des tâches de fournir ». Les Britanniques ont déjà promis un effort supplémentaire avec un navire supplémentaire. Pour rappel, les Allemands ont fourni en permanence à l'opération Sophia : 2 navires, les Britanniques  1 navire, les Italiens 1 ou 2 navires et des hélicoptères, les Luxembourgeois 1 avion. Les Espagnols, Portugais, Slovènes ont également contribué sur une période plus ou moins longue.

Le passage dans une autre étape

On peut remarquer qu'ainsi l'opération passe d'une "simple" opération de surveillance et de sauvetage à une mission plus "élaborée", avec l'imposition d'un embargo sur les armes, sous le couvert du chapitre VII de la Charte des Nations-Unies. La dernière fois que les Européens ont mené ce type d'opération ... c'était sous couvert de l'UEO (Union de l'Europe occidentale) au large de la Yougoslavie en 1992-1993 et de concert avec l'OTAN. Autant dire ... à un autre siècle... Lors de la dernière intervention en Libye, en 2011, c'est l'Alliance atlantique qui avait pris en charge ce contrôle en mer. Quelques uns avaient plaidé, notamment en France et au niveau européen, pour un partage des tâches entre l'embargo aérien — assuré par l'OTAN — et l'embargo maritime — qui aurait été assuré par l'Union européenne. Cette option avait fait long feu. L'OTAN avait alors repris logiquement ces deux tâches.

Un certain volontarisme britannique ?

On peut aussi noter que le Royaume-Uni a accepté, sans coup férir, cette nouvelle tâche menée sous pavillon de l'Union européenne. D'ordinaire, tout l'art britannique consiste à bloquer ce type d'opération ou en retarder la mise en oeuvre. Ici, apparemment il n'en rien été. Les diplomates de Sa Gracieuse majesté ont notamment oeuvré à l'ONU (avec les Français) pour rédiger et porter la résolution du Conseil de sécurité (n°2292) autorisant cette tâche. Et, très vite, le ministre de la Défense, Michael Fallon, a annoncé une contribution supplémentaire (ou au moins un engagement continu dans l'opération).

L'intérêt d'avoir deux organisations "utiles"

Placer ce type d'opérations (de contrôle) sous direction de l'Union européenne ne tient pas cependant à une « conversion » des Britanniques mais plutôt à un certain pragmatisme, non idéologique. Seule l'UE était à même de recueillir un consentement unanime des Quinze du Conseil de sécurité. Utiliser l'Alliance atlantique aurait été l'assurance d'un certain échec. Les Russes l'ont bien rappelé à New-York lors de la discussion. L'intérêt d'avoir deux organisations, capables d'effectuer le même type de tâche, est ainsi démontré. Il n'y a pas duplication des efforts entre les "deux" organisations européennes mais l'utilisation, de façon pragmatique et utile, des deux types (3).

Une vraie opération de présence en mer

Enfin, on note que l'opération maritime acquiert ainsi une panoplie complète de présence en mer : repérage et surveillance de la zone, chasse et arrestation de trafiquants d'êtres humains, sauvetage en mer et screening des migrants/réfugiés récupérés, visite de navires et perquisitions pour détecter des armes avec arrestation au besoin, formation et entraînement des garde-côtés.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Lire aussi :

Nouveau cap pour l’opération Sophia : deux tâches nouvelles et un peu plus… (V3)

(2) Une présence limitée à deux titres différents : politique et opérationnel. 1° La France a toujours milité pour une présence un peu plus robuste en mer, estimant que mettre en place une opération de type "Mare Nostrum" bis n'était pas vraiment prioritaire. 2° (et surtout), la défense française est largement occupée sur d'autres fronts. Avec environ 30.000 mobilisés en permanence, entre les opérations intérieures (Sentinelle), la présence outre-mer et dans les bases militaires extérieures, et les opérations (dont la force Barkhane qui mobilise plus de 3000 hommes), l'effort français est — il est vrai — hors du commun. Effort d'autant plus notable qu'il n'est pas possible de donner une date limite. Les autres pays ont aussi un niveau de personnel engagé en opérations extérieures relativement important mais certainement pas en volume comme en type d'engagement opérationnel aussi continu que la France. Même le Royaume-Uni n'atteint pas aujourd'hui ce niveau opérationnel (mais les forces britanniques "récupèrent" de dix années d'intenses engagements en Irak et Afghanistan).

(3) De la même façon, inversée, seule l'OTAN était à même de pouvoir faire coopérer Turcs et Grecs en mer Egée... enfin d'essayer de faire coopérer 😉

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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