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Reportage EUNAVFOR Med. Alerte ! canots à la mer

Le HMS Enterprise récupère 2 canots de migrants © NGV / B2
Le HMS Enterprise récupère 2 canots de migrants © NGV / B2

(B2 à bord du Cavour). Ce jeudi, le soleil est déjà bien levé depuis longtemps, la mer brille, quasiment plate, juste quelques petites levées de vagues au large, davantage provoquées par les dauphins, qui bondissent non loin du Cavour, le navire-amiral de l'opération EUNAVFOR Med, que par le vent. « Il fait beau. Ce sera une journée avec beaucoup de migrants. C'est sûr » avertit un officier, rôdé désormais à intégrer la météo dans les opérations de secours et initié des méthodes des trafiquants (Lire : En Libye, les trafiquants s’adaptent. Les tactiques évoluent).

Briefing du matin…

Il est 7h43. Le petit déjeuner vite avalé, survient le briefing, donné par le chef du 3e groupe d’hélicoptères de Catane. Ses hommes (et femmes) se relaient tous les 15 jours environ à bord du navire. A l'origine, ce groupe était destiné à la lutte sous-marine. Il en reste des traces. Les appareils continuent à être équipés d'un sonar. Mais celui-ci ne sert quasiment plus. « Depuis dix ans, on fait surtout du sauvetage et secours en mer » explique-t-il. Le sonar prend plutôt de la place et du poids. Ce qui handicape lors des opérations de surveillance. « Moins de place, moins de fuel pouvant être emporté. Donc moins d'autonomie » remarque un pilote.

Il fait beau, la journée s'annonce chargée...

Aujourd'hui, « on se concentre sur le sud, vers la côte libyenne » explique un responsable du quartier général de la force EUNAVFOR Med. Le navire océanographique britannique HMS Enterprise (H-88) se trouve au large de Zuwarah, le FGS Frankfurt (A-1412), le ravitailleur allemand est un peu plus loin, au large du point Tanli. C'est devenu de la routine. Tôt le matin, un avion de patrouille maritime (le MPA en langage marin) décolle.

... dès la fin de la nuit

En général, l'avion européen décolle vers 5h pour être sur zone vers 6h. Explication : « Les migrants partent la nuit ». Et bien souvent le premier appel « de détresse » arrive quelques heures à peine après. « Entre 3 heures du matin, certains jours, 5 heures du matin, les autres, on reçoit un appel. En fait, ils appellent dès ils ont franchi la ligne des 12 miles ».

Un avion en l'air, le très discret MPA luxembourgeois

Ce matin, c’est l’avion luxembourgeois qui est de permanence aérienne. Tout de gris, ce Merlin III Swearingen ne paie pas de mine. Il est effectivement assez discret. Si ce n'est la grosse boule sous son fuselage, on pourrait croire à un avion d'affaires. « Mais il nous rend de très précieux services. Ils sont là depuis le début de l'opération et volent souvent » assure le commandant de la force EUNAVFOR. Les pilotes de la compagnie privée CAE aviation sont effectivement rodés à ce genre d'opération. Ils étaient aux Seychelles pour l'opération anti-piraterie de l'UE (Lire : Reportage (exclusif) avec les avions « luxembourgeois » d’Atalanta aux Seychelles). Ils sont souvent affrétés par l'opération Frontex en mer... ou au-dessus de la terre. Et ils servent aussi pour des opérations plus discrètes de surveillance, par exemple française au-dessus de la Libye.

Opération de SAR "Save and rescue" en cours…

Trois canots repérés

Les Luxembourgeois ont ainsi déjà repéré plusieurs navires de migrants : « Au moins 3 canots pneumatiques avec des migrants à bord, environ 100-120 personnes par bateau ». L’information du MPA est collectée par le FHQ, le centre d'opérations de l'opération européenne, situé dans une pièce « sécurisée », au coeur du navire-amiral. « Toutes les informations de l'opération sur la zone transitent par ce centre. »

La coordination des secours, assurée depuis Rome

Ces informations sont transmises au MRCC de Rome (le centre de coordination et de sauvetage de Rome) quasi en temps réel. C'est ce centre qui (officiellement) attribue les tâches de sauvetage aux différents navires présents sur la zone en fonction des moyens disponibles et de la zone de secours : navires militaires, italiens ou européens, navires des ONG ou navires marchands au besoin s'il y a urgence ou si personne n'est disponible.

Premier sauvetage en cours

De fait, chacun s’est réparti des deux côtés d’un axe à l’est et à l’ouest de Tripoli. La frégate italienne Grecale (F-571), qui participe à l’opération nationale Mare Sicuro, est au large de Tripoli. Elle s’est portée dès le petit matin au secours des premiers canots repérés.

8h30… L’hélicoptère de vol EH101 du Cavour décolle à son tour pour un vol de routine. Il va relayer le MPA luxembourgeois sur zone. Le premier travail des hélicoptères est « de repérer les navires » explique le chef de l’Etat-major du FHQ, l'Espagnol José-Maria Fuente.

2 autres canots repérés

10h30 Le temps de remonter à la passerelle de commandement (au 4e étage du navire), le premier compte-rendu arrive. L'hélicoptère a repéré un canot pneumatique chargé de migrants, puis un second. « Généralement les canots ne voguent pas tout seuls. Mais à plusieurs ». Il n'est pas encore 11h du matin. Cinq canots au minimum ont été repérés. Le second hélicoptère de bord du Cavour décolle.

12h... les opérations de sauvetage sont déjà bien engagées sur 4 canots. Un de ceux-ci a déjà été récupéré par le Grecale. L’autre par le patrouilleur italien Vega (P-404) qui va reprendre également les migrants du Grecale pour les amener au nord en Sicile. Le Frankfurt et le Enterprise sont en opération de sauvetage chacun sur un canot. Et il en reste encore un à prendre.

Trois nouveaux canots repérés

Entretemps, trois nouveaux canots semblent avoir été repérés par les équipages des navires. Ce qui ferait huit en tout pour la matinée. « Il y a une trace au loin sur les flots. Mais on n'est pas encore sûrs. » L'hélicoptère AB212 de bord se prépare à décoller. Cette fois-ci, on embarque. Après 15 minutes de vol, nous sommes en vue des navires européens. Au passage, nous survolons un navire des garde-côtes italiens qui surveille la zone et arrive en renfort.

La phase de sauvetage, délicate

Une fois localisés, repérés avec un point précis, « il s’agit d’évaluer la sécurité à bord, de savoir s'il n'y a pas de risque immédiat, si leur navigation est sûre ». L'hélicoptère peut faire ainsi plusieurs passes au-dessus du canot des migrants. Ensuite on passe à la phase de sauvetage proprement dite. « On les approche doucement, afin qu’ils ne paniquent pas, ne fassent pas chavirer le canot, et pouvoir les prendre à bord ».

Pas d'autre canot à l'horizon

Un canot supplémentaire est en cours de transbordement vers le HMS Enterprise (cf. photo). Un autre est en cours de prise en charge (les marins équipent chacun des migrants avec un gilet de sauvetage). Le dernier canot se trouve un peu plus loin. Le temps que les autres canots soient pris en charge, ce sera leur tour. Vérification faite, apparemment, il n'y a pas d'autre canot. Du moins pour aujourd'hui...

Des migrants interviewés

Arrive la dernière phase : les migrants sont récupérés à bord, séchés, nourris, soignés le cas échéant (Aujourd'hui, l'un d'entre eux était blessé très légèrement et a été pris en charge par l'infirmerie de bord). Ils sont interviewés au besoin. « C'est la phase la plus sensible » reconnait un officier. On essaie « d’avoir une connaissance de la situation, d'où ils ont partis, comment ils ont été embarqués, etc. »

Des migrants suivis à la trace

Il est parfois difficile de parler avec les migrants. « Ils sont un peu attendus à Lampedusa, où il sont pris en charge. Leur famille est restée au pays. Et ils risquent un peu leur vie, ou celle de leurs proches, s’ils parlent trop. Alors... ils se taisent. » Depuis peu, les navires italiens ont été équipés afin de pouvoir prendre les empreintes des passagers clandestins. « Certains refusent. On ne peut pas les forcer ». Ces interviews comme le comportement des passagers, ou d'autres indices permettent aux marins « d'identifier les suspects potentiels. Nous ne pouvons pas les arrêter. On informe simplement la justice et Frontex de possibles suspects qui les cueilleront ensuite à leur arrivée au port. »

Les canots détruits

Pendant ce temps, une équipe se charge de détruire le canot. « Bien souvent ce n'est pas très difficile. Les canots sont souvent prêts de couler. » Effectivement celui que nous survolons abandonnés par ses passagers d’un jour semble en piteux état, tout dégonflé et prend l’eau. Officiellement la raison de la destruction des navires est une « gêne à la navigation ». Dans les faits, chacun escompte que cette action participe à la diminution des moyens disponibles pour les trafiquants. En tout, 90 canots ont ainsi été détruits par les équipes européennes. Dans 3 cas sur 4 environ, ces canots pneumatiques (plus de 60), le reste étant des bateaux en bois.

Pas de pollution en mer

Tous les matériels pouvant servir de preuves ainsi que ceux pouvant polluer les eaux (moteurs, fuels...) sont récupérés, placés à bord. C'est une société spécialisée dans le traitement de déchets, avec qui EUNAVFOR a passé contrat, qui sera chargé ensuite de les neutraliser d'un point de vue environnemental ou récupérer les pièces au besoin.

Bilan de la journée : 953 personnes sauvées

En tout, 953 personnes ont été prises en charge, ce mardi (15 mars), venant de 8 canots. Une des journées les plus chargées depuis des mois. Le dernier "gros" sauvetage remonte aux 22 et 23 décembre quand près de 5000 personnes avaient été récupérées. 5 canots avec 615 ont été récupérées par les navires européens (Frankfurt et Enterprise), 2 canots par la marine italienne (Grecale et Vega), un dernier pris en charge par l'Aquarius, le navire affrété par les ONG françaises (dont Médecins du monde).

Le débarquement des réfugiés

En général, un seul navire remonte ensuite déposer les réfugiés. Coté italien, c'est le Vega qui est charge de cette tâche, sur le port de Trappani. Coté européen, c’est le Frankfurt qui a été désigné pour remonter sur le nord ; il ne peut entrer dans le port de Trapani trop petit et doit débarquer ses passagers dans un autre port de Sicile, à Pozzallo.

(Nicolas Gros-Verheyde)

MAJ Selon nos collègues de l'agence Ansa, lors du débarquement à Pozzallo, deux trafiquants présumés ont été arrêtés sur ordre du Procureur de Raguse.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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