B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Libre opinionRussie Caucase Ukraine

Ukrainiens, la balle est dans votre camp (Ayrault/Steinmeier)

Ayrault, Steinmeier à Kiev, aux cotés du Premier ministre ukrainien Iatseniouk qui a réussi à rester en poste (crédit : MAE allemand / U. Grawobsky)
Ayrault, Steinmeier à Kiev, aux cotés du Premier ministre ukrainien Iatseniouk qui a réussi à rester en poste (crédit : MAE allemand / U. Grawobsky)

(B2) Le nouveau ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, n'aura pas tardé à imprimer sa marque et son intention : remettre en selle le couple franco-allemand. Dans une tribune conjointe signée avec son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier, parue dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, lundi (22 février), la veille de sa visite en Ukraine, il apostrophe les dirigeants de Kiev sur leur avenir. Le titre de la tribune — « Jours fatidiques sur le Dniepr » — ne laisse aucun doute sur l'intention des deux hommes qui entendent s'assurer que l'Ukraine respectera les accords de Minsk. L'heure n'est plus vraiment à l'optimisme et l'enthousiasme. Les autorités gouvernementales doivent maintenant s'engager un peu plus...

« L’Ukraine est le deuxième pays d’Europe par la superficie. Un pays doté d’un potentiel colossal, de grands centres industriels comme Dnipropetrovsk ou Zaporijjia, peuplé de 45 millions d’habitants, tous emplis d’attentes et nourrissant de grands espoirs d’un avenir meilleur.

Les dirigeants de Kiev portent une lourde responsabilité, non seulement politique, mais historique : œuvrer à la réalisation des espoirs pour lesquels ils ont été élus et permettre à l’Ukraine d’être un membre responsable et fiable de la famille européenne.

L’action menée pour trouver le bon cap politique en Ukraine n’est pas seulement suivie avec attention par la population ukrainienne elle-même, mais aussi par le monde entier. Quiconque prend la parole à la Rada ou s’adresse à l’opinion publique ukrainienne doit savoir qu’il s’exprime aussi devant l’opinion publique européenne.

L’Ukraine est confrontée à des défis sans précédent. Sa souveraineté a été remise en cause par un Etat voisin d’une manière que beaucoup auraient jugée inconcevable dans l’Europe du XXIe siècle. Le conflit qui a suivi en Ukraine orientale mobilise une trop grande part des ressources politiques et financières, qui font défaut au processus de réforme. Nous sommes malheureusement encore bien éloignés d’une solution pacifique, et politique. La mise en œuvre des accords de Minsk demeure difficile, même au bout de 12 mois. Or celle-ci est cruciale pour l’avenir et la stabilité de l’Ukraine. Ces accords sont en effet la seule voie praticable pour que le pays recouvre la pleine souveraineté sur l’ensemble de son territoire et connaisse enfin la paix.

L’économie ukrainienne a connu un déclin d’une ampleur inédite. Le secteur public doit impérativement être réformé. Certains individus ont accumulé une gigantesque puissance économique sans être freinés par une réglementation anti-monopole efficace, et l’utilisent sans vergogne pour exercer une influence politique. La cohésion sociale est menacée par de graves accusations de corruption généralisée. S’attaquer à ces problèmes, c’est rester fidèle à l’esprit du Maïdan, qui s’est manifesté avec tant de force il y a deux ans.

Il est vrai que depuis la « Révolution de la dignité », des progrès considérables ont été accomplis. La réforme du secteur énergétique a limité les abus scandaleux commis jusqu’alors. La restructuration de la police est en cours, le système bancaire est en cours d’assainissement : ce sont là des progrès perceptibles pour la population. Un cadre juridique de lutte contre la corruption est en place, un système d’adjudication électronique pour les marchés publics a été introduit. Le statut juridique et financier des régions a été amélioré.

Quiconque y regarde de plus près constate, en dépit de tous ces défis, également les signes d’une progression. Le secteur agricole, qui représente sans doute, avec l’industrie, un secteur clé de l’Ukraine, s’est bien développé au cours des deux dernières années. La conférence euro-ukrainienne des investisseurs qui a eu lieu en octobre à Berlin a suscité un vif intérêt, qui a même surpris agréablement les organisateurs. Une conférence similaire doit avoir lieu à Paris en avril. Cela insuffle de l’espoir.

Mais la voie d’une modernisation de grande ampleur de l’Etat et de la société, désirée et choisie par la population, est longue. Il est d’autant plus important de ne pas s’arrêter à mi-chemin. Les réformes pour l’avenir doivent être poursuivies. C’est la clé d’une prospérité accrue et d’une stabilité durable en Ukraine. Un pays fort et uni à l’intérieur est à même de mieux résister aux menaces extérieures.

La capacité de mettre en œuvre les réformes nécessaires relève in fine de la responsabilité des dirigeants politiques à Kiev : le Président et le Premier ministre, le gouvernement et la Rada, la coalition gouvernementale et l’opposition, tous les groupes parlementaires et les organes constitutionnels. Le programme de modernisation ukrainien, juste et nécessaire, mais également difficile et parfois douloureux, revêt une importance politique si cruciale pour l’ensemble du pays que toutes les forces politiques et sociales conscientes de leurs responsabilités doivent maintenant coopérer.

Il s’agit désormais de créer les conditions d’une poursuite du programme de soutien du FMI afin d’atteindre la stabilité macroéconomique. L’accord d’association et de libre-échange avec l’Union européenne, qui est provisoirement mis en œuvre depuis le début 2016, peut constituer un moteur de réforme et de modernisation décisif s’il est appliqué avec courage et rigueur. La décentralisation de l’Etat et de l’administration peut contribuer à rendre l’action gouvernementale plus proche du citoyen, plus efficace et plus transparente.

La France, l’Allemagne et l’UE, ainsi que de nombreux autres partenaires internationaux, sont là pour aider l’Ukraine sur la voie d’une modernisation de l’Etat, de la société et de l’économie. En contrepartie de notre solidarité et de notre soutien, nous comptons sur un engagement clair des principales forces politique ukrainiennes à poursuivre le processus de réforme.

En ce sens, l’Ukraine a conclu un pacte pour l’avenir avec la communauté internationale, mais la communauté internationale ne peut que conseiller et soutenir : elle ne peut pas elle-même prendre les décisions nécessaires pour permettre au pays de retrouver sa stabilité gouvernementale et mettre en œuvre les réformes qui permettront à la population de mieux vivre.

Il faut maintenant donner vie à ces engagements. Car ce sont des engagements vis-à-vis des gens qui se sont battus pour la prospérité et la liberté sur le Maïdan et dans de nombreuses régions du pays. Alors que l’Ukraine vient de commémorer le deuxième anniversaire des événements tragiques de février 2014, les responsables politiques qui ont été portés au pouvoir par le Maïdan ont une responsabilité particulière pour que les vies perdues pour que l’Ukraine progresse ne l’aient pas été en vain.

L’histoire de l’Ukraine a connu maintes tragédies. Nous formons le vœu que cette fois-ci, les choses se terminent bien. La balle est dans le camp des dirigeants à Kiev ! »

Jean-Marc Ayrault & Frank-Walter Steinmeier

Rédaction de B2

© B2 - Bruxelles2 est un média en ligne français qui porte son centre d'intérêt sur l'Europe politique (pouvoirs, défense, politique étrangère, sécurité intérieure). Il suit et analyse les évolutions de la politique européenne, sans fard et sans concessions. Agréé par la CPPAP. Membre du SPIIL. Merci de citer "B2" ou "Bruxelles2" en cas de reprise

s2Member®