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La Pologne toujours en solidarité minimale ?

(crédit : MOD Pologne)
(crédit : MOD Pologne)

(B2 - exclusif) La réponse polonaise à la demande française de solidarité, faite le 17 novembre dernier après les attentats de Paris, au titre de l'article 42.7 du Traité, se fait attendre... Selon les premières informations qui nous sont parvenues (voir notre Carnet 05.01.2016), Varsovie n'envisageait - au départ - qu'un soutien logistique assez léger, sous forme de fourniture de munitions par exemple, pour venir concrétiser le soutien à la France. Ce qui semble assez peu, finalement et même très peu (à peine plus que la Croatie !) (1). Après discussion, le soutien logistique pourrait s'avérer, un peu, plus ciblé et conséquent avec du transport aérien, renseignement... (Carnet (11.01.2016). Mais cela reste à confirmer.

Solidarités contre solidarité

La position du nouveau gouvernement polonais dirigée par le PiS (Droit et Justice) s'appuie sur un élément politique de négociation. D'abord, ses alliés de l'OTAN s'engagent de façon plus ferme, en déployant troupes et matériels, sur le territoire polonais et ceux des autres pays situés à la frontière de la Russie ou de l'Ukraine. Et, ensuite, les Polonais s'engageront dans les opérations extérieures des Alliés. Un point 'dur' de négociation dont B2 a eu confirmation coté français.

Le gouvernement polonais vient de faire la même démarche avec les Britanniques, promettant un soutien à David Cameron dans sa négociation avec les Européens pour éviter un Brexit, en échange d'un soutien au sommet de Varsovie aux revendications de permanence de l'OTAN vers l'Est.

Un manque de solidarité ? Pas du tout argumente-t-on côté polonais. La Pologne s'est engagée sans rechigner, depuis plus de 10 ans — en Irak, en Afghanistan, au Tchad — sans en avoir de retours notables, indique-t-on en substance à Varsovie du côté gouvernemental.

Une négociation au forceps qui se heurte à un principe de réalité

La 'demande' au forceps de Varsovie aura-t-elle pleinement satisfaction ? Cela suffira-t-il pour que Paris tombe la veste immédiatement et se mette à genoux devant la Vierge de Częstochowa ? Pas sûr...

Tout d'abord, la stratégie militaire actuelle des alliés n'est plus de baser des troupes fixes à un endroit, mais au contraire d'avoir des forces "rapides" — "agiles" dit-on à l'Alliance — dotées de fortes capacités et interopérables. « La ligne Maginot n'a pas vraiment été très efficace si je me souviens » ironise un officier. « On n'est pas non plus dans les années 1950 où on calculait sa force en nombre de chars positionnés de part et d'autre du mur » complète un autre.

Ensuite, ce type de 'demande' au forceps ('je réponds à ta demande si tu réponds à la mienne') ne marche que quand un pays est en position de force, avec une activité généreuse en opération extérieure par exemple (2) ou des capacités précieuses et rares, recherchées par ses partenaires.

La Pologne compte-elle aujourd'hui ?

La Pologne disposait de ce facteur 'levier' en 2003 lors de son engagement en Irak. Un moment clé où elle était en plus le 'chef de file' des nouveaux Etats membres qui adhéraient à l'Union européenne. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La Pologne n'est qu'un pays parmi les autres, de taille plutôt moyenne, avec une population qui décroit (3).

Cela fait assez longtemps que ses Mi24 n'ont pas été à l'attaque et que la flotte polonaise n'a pas affronté la haute mer. Pour différentes raisons, justifiables d'ailleurs (4), la Pologne est devenue aujourd'hui un des pays européens qui est le moins engagé à l'extérieur. Ce désengagement stratégique sera visible, ce mercredi à Paris lors de la réunion des ministres de la Défense — qui comptent — dans la lutte anti-Daesh. Sept ministres seront présents (le Britannique, l'Allemand, l'Italien, le Néerlandais...) aux côtés du secrétaire à la défense US... Mais pas de Polonais. Un signe !

De plus, la Pologne n'est pas en situation de faiblesse stratégique — comme les pays baltes (qui n'ont pas d'aviation de chasse). Ce qui justifierait une "aide supplémentaire". Elle ne bénéficie plus aussi de la sympathie particulière dont elle bénéficiait au lendemain de 1989-1991. L'auréole de Solidarnosc et de la 'résistance' aux Soviétiques s'est singulièrement écornée. Les actuels dirigeants du PiS doivent en avoir bien conscience. Les réformes entamées par le gouvernement PiS (tribunal constitutionnel, screening des hauts responsables gouvernementaux, médias, etc.) en sont un signe. Mais, ce n'est pas le plus fondamental, pour les autres capitales, malgré les apparences.

Le nouveau gouvernement irrite ses alliés européens sur quelques dossiers européens. Le plus important est la question de la crise des migrants et des réfugiés. Varsovie rechigne à la solidarité européenne tant dans l'accueil des migrants/réfugiés que dans la lutte contre les trafiquants (aucun moyen polonais en Méditerranée par exemple !).

La demande polonaise de solidarité devra donc être sérieusement revue à la baisse. Sinon le sommet de l'OTAN à Varsovie, en juillet prochain, au lieu d'être une réunion d'unité sera une occasion de déchirement. Ce qui aurait, au final, l'effet le plus désastreux et l'inverse de l'effet recherché par les pays de l'Est. La Russie n'aurait alors qu'à se réjouir du manque de sérieux de l'Alliance. Varsovie devra donc se contenter d'une demi-mesure, habilement déguisée sous quelques mots nouveaux, pour lui permettre de sauver la face au plan national (il est rare que les alliés cherchent à mettre en difficulté un des leurs). Le président Duda en visite à l'OTAN a d'ailleurs déjà amorcé ce léger pas de deux en arrière...

Quelques atouts encore

La Pologne garde cependant quelques atouts dans sa manche. Son armée a quelques vertus : avoir quelques capacités de transport stratégique (via les C-17 de la base de Papa en Hongrie ou les avions russo-ukrainiens du contrat Salis de l'OTAN) ou tactique, des hélicoptères de transport, quelques forces bien aguerries essentiellement au plan terrestre, etc.

Le gouvernement polonais pourrait donc jouer un jeu plus fin, au plan européen, en fournissant une assistance décisive, visible, massive, sur certains terrains extérieurs. Par exemple, 400-500 hommes, forces spéciales comprises et hélicoptères, pour le Mali ou la Centrafrique. Ce que l'armée polonaise sait faire, et qu'elle pourrait faire !

Au passage, Varsovie aurait marqué un 'vrai' point, indiquant qu'il est un allié « qui compte ». Elle aurait ainsi obligé, en retour, la France et d'autres alliés à jouer la solidarité avec elle. Malgré une évidente sympathie et histoire commune avec l'Angleterre, son avenir est sur le continent et non pas à sa marge...

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) On peut remarquer que quand on l'avait interrogé sur la solidarité européenne, François Hollande s'était bien gardé de citer la Pologne parmi les pays solidaires ou potentiellement solidaires. Lire : Quels pays ont répondu à l’appel de la France ? François confirme les infos B2 !

(2) Le Burundi très présent dans l'AMISOM en Somalie dispose, par exemple, de ce levier.

(3) Trois raisons peuvent être évoquées dans ce sens : 1° l'engagement en Irak en 2003, hasardeux, couteux, qui n'a rien produit de tangible pour les Polonais ; 2° la menace de la Russie qui nécessite une présence renforcée sur le territoire ; 3° la réforme en cours des armées. Mais d'un autre côté, le pays a une certaine bonne santé économique et un budget de défense bien établi (autour de 2%). Ce que n'ont pas nombre de pays européens.

(4) L'écart entre la Pologne et l'Espagne, deux pays de taille comparable au moment de la négociation des traités européens s'est singulièrement creusé. Selon Eurostat, il est de 7,5 millions habitants environ, là où il n'était que de 1,5 millions d'habitants en 2001. Un détail qui n'est pas mineur à terme sur le nombre de députés européens notamment.

Lire aussi : La clause d’assistance mutuelle déclenchée par la France : bilan un mois après (enquête)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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