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Est-il possible de réanimer l’Europe de la Défense ?

AteliersCitadelleLille2015 3@Ateliers(B2) Réunis à Lille autour des ateliers de la Citadelle, ce jeudi d'octobre, on pouvait avoir l’impression d’être au chevet d’un grand malade, se demandant que faire du gisant. L’optimisme qui prévalait il y a quelques années a cédé la place, même chez les plus fervents défenseurs européens, sinon à du scepticisme, au moins à une interrogation : comment relancer l’Europe de la défense ? Que peut-on faire ensemble ? Alors que de nombreux Etats sont aujourd’hui préoccupés tout d’abord d’assurer leur défense territoriale.

Un enfant abandonné ?

Nick Witney, l’ancien directeur de l’Agence européenne de défense a dans une parabole bien résumé la situation « La PSDC (politique de sécurité et de défense commune) est née de 2 parents. Mais très rapidement un des deux parents l’a abandonné. Pendant des années, la Marianne a alors élevé cet enfant en tant que mère célibataire. Puis Marianne en a un peu assez de cet enfant » a-t-il expliqué dans un humour tout en finesse et très british. « Le Mali, la Centrafrique étaient une occasion parfaite pour mobiliser un battlegroup européen. Vous (Français) avez décidé d’y aller tout seul. De fait, la PSDC est aujourd’hui orpheline. »

Avoir une Europe puissance

Michel Barnier a dressé un « bilan en demi teinte » des différents outils utilisés au plan européen. « Il n'y a pas assez de partage de fardeau, pas assez de solidarité (le budget dans les opérations est limité à 10%), les battlegroups ne fonctionnent pas ». En mutualisant les moyens européens, « cela permet d’avoir une puissance collective » selon l'ancien commissaire européen. « Ce mot n’est pas archaïque. La Chine, la Russie n’ont pas de complexe pour avoir cette capacité. Il faut avoir une capacité de puissance et d’influence plutôt que d’être marginalisé. » Pour lui, « les éléments de puissance sont : une économie, une monnaie, une politique étrangère et une défense ». Pour autant il ne s'agit pas de créer une structure unique. «  Mutualiser n’est pas fusionner. L’Union européenne n’est pas un Etat fédéral, comme l’Allemagne et les USA, il n’y a pas la même langue, c’est une Union de 28 nations qui ont, chacune, leur histoire, leur tradition, leur langue, leur différence. On veut une Europe unie pas une Europe uniforme. »

Revoir le code génétique de nos Etats membres

Joachim Bitterlich, ancien conseiller de Helmut Kohl, a joué le rôle du bulldozer. « Il faut réformer le code génétique de tous les Etats membres. Ce code génétique a changé avec la crise financière, économique ». Il estime que « le service diplomatique européen est nul part. Il faut revoir notre politique de développement, avoir une vraie politique de développement. » Bien sûr, reconnait-il le moment est difficile. Mais, « en politique, il n’y a jamais de bon moment ».

La politique de voisinage, un échec

Mais surtout, il insiste sur un point fondamental. « On doit revoir totalement notre politique de voisinage qui est un échec flagrant ». « Il y a un seul Etat qui fonctionne dans notre voisinage, le Maroc, mal considéré, il y a un défaut d’appréciation de la situation dans plusieurs Etats. Algérie, Tunisie… » « En Ukraine, nous sommes tous coresponsables – USA, Russie, UE, Otan – car nous avons fait une mauvaise évaluation de ce qui se passait en Ukraine. » Mais la Suède comme la Pologne ont, selon lui, « une part de responsabilité (particulière), dans la politique d’échec sur l’Ukraine. Heureusement que la France et l’Allemagne ont repris le dossier en main. »

Une menace pour un pays doit concerner toute l'Europe

« L’annexion de la Crimée et l’intervention en Ukraine est la plus grande menace pour la Suède » a noté l'ambassadrice de Suède en France, Veronika Wand-Danielson, bien connue dans les cercles bruxellois pour avoir été à la représentante auprès de l'UE avant de devenir la représentante suédois auprès de l'OTAN. « En refusant aux Ukrainiens le droit de choisir, cela remet en question les bases de la construction européenne, des principes. L’agression russe nous concerne tous. Et nous avons une responsabilité commune d’y faire face. Cela nécessite une solidarité continue, une continuité dans nos actions et une clarté dans nos paroles. » Elle estime que si même chacun n'a pas la même conscience de tous les menaces, il doit y avoir une solidarité. « S'il y a une menace, un sentiment d’urgence pour un pays, ce doit être une menace pour l’Europe. »

Attention à ne pas rompre la solidarité

De façon plus générale, l'ambassadrice a insisté sur les aspects « essentiels » de la construction européenne « l’unité et la solidarité, et que tous les pays participent à la décision. De plus en plus quand on sent que les décisions se prennent à 2 ou 3, plutôt à 2 d'ailleurs (1). Il n’y a plus le sentiment de participer à une décision. » Ceci « on peut le faire en cas de crise soudaine, mais quand la crise se prolonge, il faut au moins que les pays les plus concernés soient associés. Sinon il y a le risque qu’on se détourne de l’Union européenne. Pour nous il aurait été souhaitable d’inclure la Haute représentante dans le format de Normandie. » Elle s'inscrit en faux contre son voisin de débat, J. Bitterlich.

Une équation imparable : l'Europe va devoir se préoccuper de l'origine des crises

« Cela pourrait sembler à certains surréaliste, d'un angélisme sympathique. On peut se dire que l’Europe de la sécurité n’est pas pour demain. Je pense le contraire » a affirmé Nicole Gnesotto, présidente du Conseil d'administration de l'IHEDN et qui animait les débats de la Citadelle. « L’Europe est l’échelon pertinent en matière de défense et sécurité. Il y a de plus en plus de crises, moins d’Amérique, moins d’argent. Cela devrait entraîner plus de coordination en Europe. » Pour l'ancienne présidente de l'Institut d'études pour la sécurité en Europe, « l'équation est imparable. Les Chefs d'Etat et de gouvernement devront le faire de gré ou de force. Ce n'est pas seulement une préoccupation idéologique — d'avoir une Europe puissance — ou une approche technique et pragmatique de gestion des opérations — la gestion de crises —, c'est une question très politique, plus profonde qui préoccupe les citoyens. La question de l'origine des crises (Moyen-Orient, Afrique...) — et des moyens de la résoudre — doit revenir au premier plan.

Une armée européenne, il suffit de le décider

Pour le général Margall, commandant de l'Etat-Major du Corps de réaction rapide - France (CRR-FR), basé justement à Lille. « Nous savons travailler avec les Alliés, nous sommes habitués. Cette expérience a encore été accrue dans les opérations réelles, particulièrement en Afghanistan. Les militaires sont très ouverts aux questions internationales et habitués à travailler entre alliés, à assurer ce qu’on appelle l’interopérabilité. Nous ne sommes un obstacle mais un outil. » Autrement dit sir les politiques décident un jour de faire l’armée européenne « si on nous le demande on la fait demain ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) L'ambassadrice fait référence au format Normandie décidé entre la France et l'Allemagne

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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