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Pourquoi invoquer l’article 42.7 ? A quoi sert-il ? Quelles conséquences ?

(B2) La clause de défense mutuelle — alias l'article 42.7 pour les intimes — invoquée par Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la Défense mardi dernier — est peu connue. En tout cas moins que son alter ego de l'OTAN (l'article 5) ou même que la clause de solidarité de l'Union européenne (l'article 222 du Traité). Elle présente plusieurs intérêts cependant. Et son déclenchement est plutôt finement joué.

Premièrement, c'est un acte politique. Une obligation de solidarité comme le mentionne le texte — et ainsi que je l'ai expliqué sur Vieuws.eu (regardez la video). Un engagement également. Ce qui diffère des autres évènements (par exemple Charlie Hebdo) qui avaient amené des momentum symboliques : minute de silence, condoléances, promesse de solidarité, conclusions fermes, restée souvent sans suite immédiate.

Deuxièmement, il oblige à une mobilisation des Européens sur les différents théâtres d'opération en cause. Certes si les Français s'attendent à un déploiement dans les trois jours, avec des bombardements sur la Syrie, ils seront déçus (article à suivre). Cela nécessite une réflexion au sein de chaque pays, qui a déjà été entamé, mais durera plusieurs semaines.

Troisièmement, cette mobilisation est essentiellement militaire. Même si le texte ne le mentionne pas (pour des raisons essentiellement politiques de respect des différents modes d'organisation de chaque pays), le terme d'assistance signifie l'engagement de moyens militaires. Et celui-ci pourra (devra) s'opérer à différents niveaux.

Quatrièmement, c'est chacun "en fonction de ses moyens". Autrement dit, on ne demandera pas à l'Irlande, pays neutre, de venir prêter main forte en bombardant en Syrie. Elle n'a, de toute façon pas d'aviation de chasse. Mais elle pourra venir renforcer les moyens dans le Sahel, ou en Centrafrique, dans des missions de formation par exemple.

Cinquièmement, il permet une concertation souple qui peut monter en puissance au fil des évènements, de manière intergouvernementale au début (rien n'exclut qu'elle une forme plus organisée par la suite, de type mission ou opération PSDC). Le dispositif de l'article 5 de l'Otan était trop lourd à invoquer. Et il aurait eu un (grave) inconvénient : éliminer toute possibilité d'avoir une coalition unique, notamment avec la Russie. Le dispositif de l'article 222 du Traité de l'UE (l'autre clause de solidarité) aujourd'hui en vigueur, a une portée, plus communautaire, et une dimension davantage "protection civile" qu'intervention militaire extérieure qui est davantage l'objectif recherché par Paris. De plus, il a été entouré d'un dispositif, somme toute assez complexe, qui nuirait rapidement à l'objectif avéré.

Sixièmement, et ce n'est pas le moindre des effets, c'est une circonstance « objective », prévue « juridiquement et entérinée politiquement, pour permettre d'accorder à la France une exception au pacte de stabilité. Ce n'était pas le but de cette clause à l'origine. Mais ce pourrait en être un des effets principaux.

Commentaire : avoir choisi d'invoquer cette clause est donc une décision intelligente prise par l'équipe Hollande-Le Drian. Car elle aboutit à un effet multiplicateur, sans nécessairement mettre en place de structures lourdes. Elle n'obère à aucun moment la volonté française d'agir en coalition ad hoc, avec d'autres pays du monde. Elle n'oblige aucun Etat à suivre la France dans sa voie la plus robuste (le bombardement en Syrie). Elle permet en revanche toute une série de nouvelles actions qui permettront de compléter cette action. Des critiques se sont élevées contre le fait de ne pas voir soulever la clause de l'article 222. Cela aurait été intéressant mais plus inadapté en l'espèce si on recherche un engagement opérationnel. L'engagement en opération militaire relève, en effet, aujourd'hui toujours de la souveraineté, de la volonté, et de la seule capacité des Etats membres. Ce qui en revanche, pourrait être utile, c'est de soulever les deux clauses (42.7 et 222). Et rien n'exclut que, à l'avenir, celle-ci soit également soulevée.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : L’effet Le Drian

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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