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Pourquoi lève-t-on les sanctions sur les Biélorusses ?

(B2) Cela ne fait plus l'ombre d'un doute aujourd'hui. Et le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Harlem Désir, a confirmé à Luxembourg, ce que tout le monde n'osait dire. « Il y a un accord pour suspendre les sanctions » frappant les Biélorusses, pour une durée de 4 mois. Cette levée survient pour plusieurs raisons, bonnes ou mauvaises.

La conjoncture...

Tout d'abord, les élections certes n'ont pas été super démocratiques. Quand un président est élu à 83% des voix et où le second fait de la figuration à 4% des voix, on a comme un soupçon d'échec démocratique. Mais elles n'ont pas été suivies d'une politique de répression, comme fin 2010. Elles surviennent « dans un climat apaisé » justifie Harlem Désir. Ensuite, la raison qui motivait ces sanctions a disparu. Les prisonniers politiques ont été libérés par le gouvernement Loukachenko, les derniers au mois d'août. Ce n'est pas un détail. Car le dispositif des sanctions ne peut en l'état perdurer. Un dispositif de sanctions déjà mis à mal. Depuis plusieurs mois, les tribunaux européens ont, très régulièrement, invalidé les sanctions frappant des Biélorusses, les estimant non prouvées. Et une vingtaine de personnes ont déjà été, discrètement, retirées de la liste noire de l'UE durant l'été, pour des raisons similaires (lire : La liste noire « Belarus » allégée de 24 noms).

... et la politique

A ces raisons, plus ou moins fondées juridiquement, s'ajoutent des considérations beaucoup plus politiques. La Biélorussie a joué un rôle, qu'on considère positif, à Bruxelles comme à Paris et à Berlin, dans la crise ukrainienne. En montrant une certaine équidistance entre Russes et Ukrainiens, avec qui Loukachenko entretient de bons rapports, en offrant sa capitale comme lieu de négociation qui a préludé aux deux accords de Minsk, la Biélorussie a tiré assez habilement son épingle du jeu. Minsk essaie également de ne pas dépendre totalement de Moscou et de se rapprocher de l'Union européenne, tout en gardant son lien privilégié avec la Russie. A cet égard, cela constitue un test de la nouvelle politique de voisinage oriental de l'UE, moins "agressive" à l'égard de Moscou, et plus réaliste. Terminée, la politique "idéaliste" mise en place fin 2013, où par la signature d'accords étroits, l'Europe entendait apporter la démocratie et l'économie de marchés aux pays les plus proches de la Russie. Du coup, le pouvoir largement autocratique de Loukachenko et la réduction à quasi-zéro de son opposition.

La découverte de la Realpolitik, un tournant par rapport à 2013

L'Europe, qu'on a souvent taxée de bisounours de la politique internationale, pratique ainsi une certaine RealPolitik, assez froide, un peu éloignée sans doute de la proclamation des valeurs démocratiques, mais sans doute plus concrète vis-à-vis de ses propres moyens. La Biélorussie représente ainsi à l'Est ce que l'Egypte représente au Sud : un subtil compromis entre la défense nécessaire des valeurs et la tout aussi nécessaire recherche de pôles de stabilité dans le voisinage. Le pari fait à Bruxelles est que, pas à pas, la politique de la main tendue, pourrait produire au final, plus d'effet que la grande politique d'accords d'association avec le voisinage oriental conclue en novembre 2013 qui a débouché davantage sur le chaos que sur la stabilité (cf. Ukraine ou Moldavie), tant au plan politique qu'au plan économique.

(Nicolas Gros-Verheyde)

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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