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AviationReportage

A Malbork, les F-16 belges veillent

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Le badge de la Enhanced Air Policy sur fond de damier blanc et rouge, logo de l'armée de l'air polonaise (© NGV / B2)

(BRUXELLES2) Les quatre F-16 belges, basés à Malbork, en Pologne, ne chôment pas tous les jours. Faisant partie de l'arsenal de "réassurance" mis en place par l'Alliance atlantique au sommet du Pays de Galles face à la nouvelle attitude plus agressive de la Russie, ils visent à rassurer les pays baltes face à l'attitude plus agressive de la Russie ces derniers mois comme à renforcer la protection de l’espace aérien de l’OTAN. Les Russes sont tout proches, l'oblast de Kalilingrad n'est qu'à peine à 80 km à vol d'oiseau.

4 équipes pour la surveillance aérienne des pays baltes

Il y a aujourd'hui 4 détachements aériens qui assurent la surveillance du ciel baltique, ou de la zone internationale au large : outre les 4 F-16 Belges, il y a les Eurofighter Italiens et F-16 Norvégiens, qui opèrent à partir de Šiauliai en Lituanie, et les Eurofighter Britanniques, sur la base d'Amari en Estonie tout au nord. Ce sont les Norvégiens qui assurent l'astreinte BAP (Baltic Air Policy), c'est-à-dire qu'ils sont disponibles 24h/24. Tandis que les autres qui sont en renfort (Enhanced Air Policing ou EAPM) prennent l'astreinte une semaine sur deux. Dans tous les cas, ils restent disponibles si nécessaire pour revenir en mode alerte. « Nous avons six heures pour revenir en mode alerte » explique un officier.

14 alertes

Depuis le début de leur déploiement, en janvier, les avions belges ont décollé pour 14 alertes réelles pour des avions russes en limite de zone. Et cela s'est accéléré dans les deux derniers mois. 2/3 des interventions (10) ont lieu en mai et en juin, contre 4 dans dans les quatre premiers mois de la présence belge. Sur ces 14 alertes, huit ont débouché sur une identification visuelle, à proximité de l'avion (voir encadré).

Une augmentation à des moments particuliers

Les vols russes ont particulièrement augmenté durant les exercices de l'OTAN (Baltops 2015) tout comme lors d'un gros exercice russe, qui s'est déroulé au large de Kaliningrad. La plupart des vols viennent de Saint Petersbourg, passent le long des eaux internationales et entrent en Baltique (qui concentre plus de la moitié des vols russes). Ce qui place la base d'Amari (Estonie) en première ligne.

Augmentation nette en nombre

« Depuis le dernier déploiement belge en Lituanie en 2013, cela s’est accéléré, il y a davantage de vols russes, mais aussi de l’OTAN » remarque un officier. Entre 2013 et 2015, il y a eu une augmentation de près de 50% des vols de transport tactique qui sont passés de 134 à 179 et 213 comme des vols d'avions de combat ou bombardiers qui sont passés de 31 à 54 et 132.

De la musculation

« Chacun fait un peu de musculation. On est revenu à un rythme de la guerre froide ». Il ne s'agit pas d'erreurs ou d'incidents techniques. Ni même d'objectifs militaires. C'est une attitude, décidée « à haut niveau » de l'armée russe, « avec un objectif politique : montrer la puissance russe, montrer également que 'ici' ils sont un comme chez eux » explique à B2 un haut gradé belge.

Pas de violation territoriale

Les « incidents » ne sont pas vraiment « graves ». Il n'y a ainsi pas violation des zones territoriales baltes ou polonaises. Les avions russes volent au-dessus des eaux internationales. Simplement ils « ne rédigent aucun plan de vol, ne répondent pas aux indications et coupent les transpondeurs ».

Une technique d'interception bien rôdée

© NGV / B2
© NGV / B2

La reconnaissance visuelle

Pour notre arrivée sur la base de Malbork, nous avons droit à bord de l'Embraer ministériel à un exercice d'accompagnement. Les deux F-16 se rapprochent de l’appareil, un droite, un à gauche, l’escortent, avec des battements d’ailes pour la reconnaissance, des signaux visuels. Mais rien de plus... « L'objectif est d'aller identifier l’avion, son type, ses armements, et le suivre jusqu’aux limites de l’espace aérien. » C'est une mission « interception, identifiy, shadow ».

10 à 12 minutes pour être en l'air

Les avions enchaînent des semaines d'alerte (hot week) et des semaines de pause (cold week). Durant les Hot week, les avions prennent la QRA avec 2 avions 24/7. Selon le contrat OTAN, les deux avions doivent être prêts à décoller en 20 à 30 minutes, tout compris entre la transmission par le CAOC de Uedem, à l'état-major de Varsovie, puis à la tour de contrôle et enfin le décollage. « Dans la réalité, nous arrivons à décoller en 10 à 12 minutes en réel » pour ce qu'on appelle les Alpha Scramble, les alertes réelles.

Avions armés

Chaque avion est armé avec 2 missiles air-air de moyenne portée CATM 120B et des missiles infrarouge en combat rapproché. Il est aussi équipé avec deux bidons de fuel permettant d'assurer des missions plus longues jusqu'à 2h à 2h30 et d'atteindre le large de la Baltique. NB : les avions belges n'assurent la surveillance de l'espace aérien balte et de l'espace international. Ils n'interviennent pas du tout sur l'espace polonais qui reste de la responsabilité de Varsovie.

Un terrain idéal pour l'entraînement

Durant les cold week, il ne s'agit pas vraiment de repos. Les avions continuent de voler pour l'entraînement. Comme l'explique un officier, l'avantage de cette zone, est de « disposer de certaines facilités pour voler que nous n'avons pas chez nous ». Il y a « plus de flexibilité, davantage de latitude pour les vols militaires par rapport aux vols civils, des possibilités de vol à basse altitude, et des zones plus vastes également ». La Pologne est (un peu) plus grand que la Belgique. De plus, les Polonais disposent « d'un espace extrêmement permissif qui permet de faire de l’entrainement de tirs au sol ».

  • NB : Malbork dispose de deux zones aériennes, La '01' à l’ouest de Malbork avec 3-4 avions et '02' qui peut contenir jusqu’à 20 avions. La base de Malbork dispose d'un service Search and Rescue (SAR) et d'un SAR maritime. Elle dispose de « plusieurs systèmes d'aide à la navigation comme le précise le commandant de la base : « ILS (Instrument landing system), TACAN (Tactical air navigation system), NDB (Non-directional radio beacon), PAR (Precision approach radar), Calvert et Papi (Precision approach path indicator), de systèmes de sécurité comme un câble d’arrêt Bak12, et d'un service d’incendie de catégorie 6 ».

Les Tango Scramble pour se former

Il y a des Tango Scramble = les entrainements comme en réel (le T = Training). Des vols très utiles pour former les pilotes aux alertes, mais aussi pour travailler en coopération avec les alliés, que ce soit en l'air ou au sol. Dans l’espace lituanien, il s'agit également de former les contrôleurs de combat lituanien du GCI de Karmelava en coordination avec les Norvégiens et les Italiens.

Un rappel en QRA durant les entraînements

Durant ces périodes, les avions volent désarmés, avec possibilité de rappel en configuration QRA, dans les 6 heures. « C'est arrivé le 9 juin, quelques minutes avant le décollage d’entrainement, le CAOC d'Uedem a demandé une intervention à quelques centaines de miles d’ici. On avait deux possibilités alors : soit préparer l’avion pour un vol d'interception, avec les armements, ou décoller plus rapidement sans armement. C'est cette possibilité qu'on a choisi. On a réussi à décoller en 10 minutes. »

Détachement belge

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Réduit à l'essentiel

Le détachement belge est réduit à l'essentiel. « Nous avons 49 personnes là où les Néerlandais avaient 65 personnes et les Américains 120 personnes pour effectuer la même mission. L'effectif est réduit mais opérationnel. » Un point sur lequel a insisté le ministre, Steven Vandeput.

Une mini base aérienne

La structure du détachement est une mini-base aérienne en soi : une section opérationnelle (pilotes et mécanos), une section maintenance (CIS, Log…) et une section soutien, composée de 25 personnes (Admin, Médic, Welfare, Kitchen). Une équipe de pompiers est également présente en cas d'incident ou de feu sur un avion. La cuisine reste bien belge (j'ai pu le tester, frites et mayonnaise sont bien là :-)).

Un traducteur aussi est présent. C'est « extrêmement important » insiste le chef du détachement. Si certains militaires parlent anglais, d'autres même à certains niveaux de commandement ne parlent que polonais. Le détachement mixte, francophone et néerlandophone. 30 personnels viennent de Florennes / 10 de Kleine Brogel, 4 de la composante terre.

L'assistance polonaise

La Pologne en tant que Host nation support fournit aux Belges tout le nécessaire. Un grand hangar permettant d'accueillir 4 avions simultanément et toutes les pièces de rechange et éléments techniques. « Toutes les sections sont ensemble. Et cela permet une symbiose entre chacun » précise le chef du détachement. Les avions d'alerte disposent chacun d'un hangar au plus près de la piste. Tandis que les 4 pilotes et mécanos d'astreinte se trouvent dans un bâtiment non loin des pistes. Un officier est détaché à la tour de contrôle à la base pour assurer la liaison entre le contingent belge et les Polonais.

(Nicolas Gros-Verheyde, à Malbork)

NB : les noms des pilotes et du personnel restent anonymes. Depuis l'intervention en Irak, ces militaires sont des cibles potentielles. Des mesures de précaution sont de rigueur.


8 alertes en mai - juin

Le 21 mai, 2 bombardiers supersoniques Tupolev 22 Backfire, de la force aérienne stratégique, Les Belges ont décollé avec les Italiens. Les avions ont été interceptés par les Italiens qui ont fait demi tour.

Le 26 mai, les avions interceptent, sans plan de vol, un avion de transport An-26 qui ne répondait pas. Il est suivi jusqu’à la zone de Kaliningrad.

Le 27 mai, lors d'un exercice de T-Scramble au-dessus de la Lituanie, les F-16 sont envoyés sur un Sukhoï 24 (Fencer) en survol de Kaliningrad. Il reste sur cette zone.

Le 28 mai, même topo, l’avion Sukhoï 24 sort de Kaliningrad.

Le 9 juin, 2 avions décollent pour un Ilyushin IL-20 Coot A, un avion de guerre électronique et surveillance, qui n’est pas sorti. Deux heures plus tard, le même avion est sorti de la zone et photographié.

Le 11 juin, un Ilyushin IL-20 Coot A est intercepté par la QRA Danoise, puis pris en relais et « raccompagné » par les Belges.

Le 13 juin, c'est l'inverse, un Ilyushin IL-20 Coot A est intercepté par les F-16 belges, les F-16 de la QRA danoise prennent le relais.

Le 15 juin, interception d’un Sukhoï 24 qui sort régulièrement de la zone russe, à l'occasion d'un gros exercice combiné entre la marine russe et les avions. Les avions belges sont alors « illuminés par les navires russes ». Un Coot-A est intercepté dès sa sortir de Kaliningrad.


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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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