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Une certaine remise en ordre des missions et opérations de la PSDC … comme de l’OTAN ?

(BRUXELLES2) Les missions et opérations de maintien de la paix soutenues par l'Union européenne sont le coeur et la raison d'être de la politique de sécurité et de défense commune. Les ministres de la Défense des "28" devraient le rappeler lundi (18 mai) lors de leur réunion semestrielle à Bruxelles. Mais l'heure n'est-il pas venu de faire des choix, de trancher des noeuds gordiens jamais tranchés ? D'aboutir aussi à une certaine répartition des tâches avec l'OTAN, plus nettes qu'aujourd'hui ?

Retrouver la raison d'être

On peut, en effet, se poser la question : l'objectif réel des missions de la PSDC est-il atteint aujourd'hui ? Pour Arnaud Danjean, c'est clair : « beaucoup trop de missions sont devenues aujourd'hui des missions alibis. Cela permet de planter un drapeau européen sur un point de la carte. Et on dit c’est couvert ». Le propos est dur et pourrait être discuté. Mais il est un fait, peu de missions/opérations remplissent aujourd'hui l'objectif fixé à la PSDC : être une garantie d'interposition, de maintien de la paix, manifester la présence européenne de "force", être présent au début de la crise (et non après)... L'assistance ou l'expertise fournie à des Etats pour retrouver la maitrise de certaines de leurs politiques ressort d'une autre logique.

Des missions aux ambitions faibles

Les deux dernières missions qui viennent d'être lancées illustrent ce propos, avec un mandat assez limité et un nombre de personnels faible. La mission civile de conseil dépêchée en Ukraine (EUAM Ukraine) pour conseiller le gouvernement ukrainien sur la réforme de ses forces de sécurité intérieure (police, gardes-frontières, renseignement...) compte une centaine de personnes et n'a qu'un mandat de conseil (non de formation). Idem pour la mission militaire lancée en République centrafricaine pour conseiller la restructuration de l'armée (EUMAM Rca) qui ne compte qu'une soixantaine de personnes. Mission limitée car plusieurs Etats membres ne souhaitaient pas mettre en place (immédiatement) une mission de formation de l'armée (type EUTM). Il est sans doute trop tôt pour évaluer leurs résultats. Mais on ne peut que constater que ces missions ont, à la fois, une ambition et des moyens réduits par rapport au champ des menaces et des ambitions exprimées par les uns et les autres. On est très loin ainsi de l'objectif exprimé notamment au sommet de Petersberg, en 1992, lors de la création de la PSDC, d'intervention de faire cesser des combats ou de maintien de la paix.

Ne pas hésiter à fermer ou remodeler

Certaines missions ne doivent-elles pas être fermées ? Il faut avoir le courage de poser ces questions. C'est le cas pour EUFOR Althea Bosnie-Herzégovine dont l'utilité militaire est très limitée et n'a plus vraiment de raison d'être avec la nouvelle stratégie introduire pour la Bosnie-Herzégovine. Ce peux être le cas également pour EUBAM Libya qui devrait être fermée sans tarder, quitte à rouvrir ensuite dans un autre format, voire conservée juste fictivement (juridiquement). La mission d'assistance aux frontières EUBAM Moldova/Ukraine (*) pourrait aussi décroitre de voilure ou changer de focus. Cependant, à l'inverse de certains observateurs, je ne pense pas qu'une telle attitude peut se justifier pour EUBAM Rafah - qui constitue la pièce d'un puzzle très difficile à reconstituer car inclus dans le processus, très délicat, de paix au Moyen-Orient. Les missions de formation ou de conseil qu'elles soient civiles (EUPOL Copps en Palestine) ou militaires (EUTM Mali, EUTM Somalie) ont prouvé leur efficacité. Elles doivent évoluer dans le temps. Mais, sur ce modèle, peuvent être bâties aussi d'autres vecteurs de performance pour l'Union européenne.

Introduire une troisième voie pour les opérations/missions de la PSDC !

La mise en place du Traité de Lisbonne devrait amener des initiatives nouvelles. En mettant sous la même autorité hiérarchique, celle de la Haute représentante / Vice présidente de la Commission, les instruments financiers et les délégations de l'UE comme les missions / opérations PSDC , elle autorise à réfléchir à d'autres voies d'intervention. La simple contractualisation à des partenaires (publics ou privés), méthode privilégiée de la Commission européenne, et la mise en place d'une mission / opération PSDC, ne permettent pas de faire face à toutes les situations. La première méthode (la contractualisation) est souple d'emploi mais a un gros défaut : l'éparpillement des contrats, l'absence de marque, de présence européenne, le manque de suivi d'un contrat à l'autre et des résultats parfois hasardeux. L'opération PSDC est souvent lourde à mettre en place. Entre le début de la crise, son paroxysme, la volonté vacillante des Etats membres, il peut s'écouler un long laps de temps qui fait que cette mission/opération n'est plus adaptée au moment. C'est dans ces sables mouvants que s'est fait prendre EUBAM Libya mais aussi d'autres missions qui ont mis un certain temps avant de s'adapter à une nouvelle donne. Cette méthode devrait être réservée soit aux opérations à mandat exécutif (EULEX Kosovo, EUNAVFOR Atalanta, EUFOR Rca), soit aux missions d'observation ou d'interposition (EUMM Georgia), voire de formation structurelle qui s'étalent sur une durée assez longue (EUTM Somalia et EUTM Mali).

Des équipes d'experts PSDC dans les délégations

Il y a sans doute place pour une troisième voie d'intervention. Des synergies pourraient être exploitées davantage avec les réseaux des délégations pour mettre en place des "pools d'experts", sur une durée variable, plus ou moins longue, pour conseiller et suivre un certain nombre de projets en matière de coopération sécuritaire. Cela pourrait très bien remplacer certaines missions "en fin de vie" (ou en survie palliative : Libye, Congo) ou, à l'inverse, permettre le démarrage rapide de projets dans des pays où la nécessité d'une mission / opération "en plein régime" n'est pas automatiquement nécessaire  (Nigeria, Côte d'Ivoire, Mauritanie, Tunisie) ou la situation susceptible d'évoluer rapidement. Ce dispositif aurait l'avantage de la souplesse de mise en place - en se greffant sur une délégation existante - pour évoluer rapidement (crescendo ou descresndo) en s'adaptant à de nouveaux besoins ou menaces.

... pour servir de précurseur aux missions PeSDC

Ils permettraient de doter les délégations les plus exposées non pas d'un simple attaché mais d'un "pool" d'experts, provenant du personnel diplomatique ou communautaire (SEAE ou CE) comme des Etats membres. La mise en place d'une mission / opération PSDC pourrait venir dans un second temps, le "pool" d'experts assurant ainsi les premiers pas, comme un groupe d'avant-garde. Cette méthode aurait l'avantage d'éviter le long délai qui marque souvent le temps entre la décision politique et la réelle efficacité d'une mission (civile) sur place, pour un coût moindre, en permettant d'aiguiller plus sûrement les objectifs d'une telle mission. A l'inverse, rien n'empêcherait ce "pool" d'experts d'être renforcé par des contrats externes, qu'il pourrait gérer directement.

Un peu de remise en ordre entre UE et OTAN

Une certaine remise en ordre entre l'OTAN et l'UE pourrait aussi se justifier. Les menaces ne manquent pas aujourd'hui, les champs d'action non plus. Et certains doublo,nages paraissent aujourd'hui un peu superflus. Au niveau des opérations, les deux opérations anti-pirates menées dans l'Océan indien — l'une par l'OTAN (Ocean Shield), l'autre par l'Union européenne (EUNAVFOR Atalanta) — n'ont aucune justification sinon des contingences politiques : la Turquie et le Danemark ne participent pas à la PSDC de l'Union européenne. Ce d'autant que Ocean Shield est, pour l'instant, réduite au minimum (Américains et Britanniques notamment ayant d'autres priorités) et n'assure plus de permanence dans la zone. A l'inverse, en Afghanistan, l'Union européenne, qui a un rôle très limité et parcellaire, ne devrait-elle pas mettre fin à sa mission EUPOL, au champ d'action assez limité, pour laisser la place comme au Congo à une équipe plus réduite par exemple, et se recentrer sur son voisinage ?

Une opération "promenade du dimanche"

Cette remise en question doit concerner aussi certaines opérations de l'OTAN. Est-il justifié de maintenir des milliers de militaires de l'OTAN sur le sol kosovar. L'heure de la décrue de la KFOR devrait être engagée très rapidement. Cette force monopolise aujourd'hui plusieurs milliers de normes et sert bien souvent d'excuse à certains pays pour ne pas s'engager ailleurs. Cette opération "tout confort", "3 ou 4 étoiles", à quelques centaines de km de son domicile, est effectivement tentante pour de nombreuses armées d'Etats membres. Mais elle a très peu à voir avec la stabilisation. On se situe davantage dans l'exercice de santé ou la promenade du dimanche à côté d'autres opérations beaucoup plus risquées et engageantes (comme au Mali ou en Centrafrique).

Certains "experts" pourraient observer que les évènements récents en Macédoine (avec l'introduction de "groupes armés venant du Kosovo") justifient plus que jamais de conserver ces forces. C'est renverser le problème : la présence de ces forces en nombre au Kosovo a-t-elle réussi à empêcher ces incidents et dérapages graves ? Une présence, plus limitée mais plus pointue, n'est-elle pas plus adaptée ? Répondre à ces questions, c'est répondre de fait à la nécessité de revoir rapidement le format KFOR.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) Cette mission n'est officiellement pas une mission PSDC mais un "contrat" Commission européenne délégué à des prestataires extérieurs bien qu'elle en présente toutes les caractéristiques : présence de policiers / douaniers en uniforme, fonction de mentoring, contribution des Etats membres, système hiérarchisé, rapport au COPS, etc. Ce qui représente aujourd'hui une anomalie qui devrait être résorbée.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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