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Soupçons d’abus sexuels en Centrafrique : des Géorgiens de la mission EUFOR RCA mis en cause ? (maj2)

(BRUXELLES2) Le scandale de possibles abus sexuels sur des mineurs par les soldats français pourrait dépasser le seul cadre de l'opération Sangaris (menée par la France en national) et rejaillir également sur l'opération européenne EUFOR RCA, si l'on en croit les dernières informations.

Des militaires géorgiens

Selon un témoin des violences sexuelles qui s'est confié au correspondant de France-Info aujourd'hui à Bangui, Antony Fouchard, sur le camp de M'Poko (1), des militaires géorgiens en poste à l'aéroport seraient également en cause. "Les Français, les Géorgiens, quand les enfants viennent comme ça demander un peu à manger, 'avant il faut que tu me suces d'abord..." raconte un dénommé Jean, qui habite une tente proche de la route. "C'était la nuit les militaires français donnent des paquets de ration aux enfants et ils les violent. Et les militaires géorgiens, ils étaient trois sur une fille de seize ans à l'entrée de l'aéroport".

NB : Les militaires géorgiens étaient alors sous mandat européen, assurant pour le compte d'EUFOR RCA, la sécurisation et la garde de l'aéroport. Ils ne sont cependant arrivés qu'à la mi-juin, selon nos informations (lire : Ils sont partis !), soit à la fin de la période mentionnée dans le rapport de l'ONU.

Un rapport interne de l'ONU

Toute l'affaire a été révélée par The Guardian mercredi (29 avril). Le quotidien britannique révèle qu'un rapport interne a été rédigé par l'ONU en 2014 faisant état d'abus sexuels (sodomie, viols...) par des soldats chargés du maintien de la paix. Le quotidien britannique ne met en cause que des soldats français. Mais il semble que la problématique soit plus large. Intitulé "Sexual Abuse on Children by International Armed Forces", documente des cas d'exploitation sexuelle sur des enfants - certains étant âgés de 9 ans - commis dans le camp de réfugiés de l'aéroport de M'Poko entre décembre 2013 et juin 2014, au moment de la mise en place de la MINUSCA et fait suite à des entretiens avec les enfants maltraités menés, entre mai et juin 2014, par un membre du personnel du BINUCA (Bureau Intégré de l'Organisation des Nations Unies en Centrafrique) et un spécialiste de l'UNICEF.

Marqué "confidentiel", ce rapport aurait dû rester interne. Mais il a été transmis aux autorités françaises par le directeur des opérations du Haut commissariat pour les droits de l'Homme,  le Suédois Anders Kompass, en raison de « l'incapacité de l'ONU à prendre des mesures pour arrêter les abus » mentionne le quotidien. Kompass avait été averti que les abus continuaient. Il a aujourd'hui été sanctionné par l'ONU pour avoir violé les règles de confidentialité (2). Le rapport a été révélé au Guardian par l'ONG américaine, Aids Free World

Une enquête du Parquet de Paris toujours en cours

Les ministères français de la Défense et des Affaires étrangères ont confirmé, de leur côté, avoir été « saisis à la fin du mois de juillet 2014 de témoignages d'enfants centrafricains accusant d'agressions sexuelles des militaires français de l'opération Sangaris ». Le ministère reconnait le « caractère circonstancié des témoignages et l'extrême gravité des faits allégués », et affirme avoir voulu « toutes les mesures nécessaires pour que les faits et les éventuelles responsabilités pénales et disciplinaires puissent être établis au plus vite ». Ainsi, « le jour même de la réception du rapport », le mardi 29 juillet 2014, « le ministre de la Défense a saisi le Parquet de Paris sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale ».

Deux enquêtes menées

Le Parquet de Paris a pu ouvrir « immédiatement une enquête préliminaire » qui est « toujours en cours » poursuit le communiqué français. Cette enquête préliminaire a été « confiée au commandement de la gendarmerie prévôtale » (militaire). Des gendarmes « se sont rendus en Centrafrique, dès le 1er août (2014), pour commencer les investigations ». Par ailleurs, une 
« enquête de commandement a été immédiatement conduite ». Elle « sera transmise au Parquet dès lors qu'il en fera la demande », précise le ministère.

Investigations coté européen également

Coté européen, on "découvre" ces faits comme l'a confié à B2 une source européenne au fait de ces sujets. Des « investigations poussées » vont « évidemment » être menées. Car ce sont des questions « auxquels on attache une extrême importance. La recherche de la vérité » est essentielle. Les Géorgiens se sont « particulièrement impliqués dans la mission européenne » ajoute-t-elle. Un point incontestable. Si l'opération européenne n'a pu être mise en place, ce n'est que grâce à la compagnie géorgienne qui s'est déployée essentiellement autour de l'aéroport de M'Poko.

Selon des sources interrogées par B2 qui ont pu consulter attentivement le rapport, la série d'entretiens conduite par les agents de l'ONU avec les enfants concernés « n'impliquent pas de soldats géorgiens » ("I can confirm that this series of interviews with children taken by the UN does not implicate Georgian soldiers"). En revanche, selon ce rapport, outre les soldats français, des soldats de Guinée équatoriale et du Tchad seraient impliqués.

NB : Cette absence dans le rapport ne signifie pas que des abus n'ont pas été commis après la période du rapport. Cf. le témoignage recueilli par France-Info. Elle ne signifie pas non plus que les faits soient avérés. Car les témoignages n'émanent pas de victimes eux-mêmes (comme dans le rapport).

(NGV)

(1) Le camp de M'Poko - situé tout à proximité de l'aéroport - était, en partie, sous le contrôle des milices anti-balakas. Par ailleurs, la manipulation des enfants (ou des femmes) par les différentes forces en présence dans la capitale, notamment pour provoquer des troubles, est monnaie courante.

(2) Les arguments de l'ONU pour justifier cette sanction paraissent contradictoires. La nature des abus en cause impose à toute personne de saisir la justice (elle s'impose même aux personnes protégées par la loi de façon quasi absolue : le personnel médical). Ce qu'a fait simplement l'intéressé.

Lire aussi : Des Géorgiens à Bangui : « une manière de contribuer à l’Europe » (Levan Buadze)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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