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Les bateaux de Frontex sous le feu des Kalachnikovs. Une menace pour les opérations de sauvetage en Méditerranée

Le patrouilleur islandais Tyr au moment du sauvetage au large des côtes libyennes (crédit : Gardes-Côtes islandais)
Le patrouilleur islandais Tyr au moment du sauvetage au large des côtes libyennes (crédit : Gardes-Côtes islandais)

(BRUXELLES2) L'évènement est passé assez inaperçu. Un navire engagé dans le cadre de l'opération Triton de l'agence européenne Frontex, le patrouilleur islandais Tyr, a été le témoin très proche d'une attaque à la Kalachnikov menée par les trafiquants libyens. C'était lundi dernier (13 avril). Le Tyr était en mission de secours d’un bateau de migrants, à environ 60 milles des côtes libyennes. Le patrouilleur islandais avait déjà 342 migrants à son bord d'une précédente opération de sauvetage, effectué à 50 milles des côtes libyenne au nord-ouest de Tripoli, quand il a été appelé à l'aide pour aider un remorqueur italien dans un autre sauvetage (*).

Une attaque avec une vedette des gardes-côtes libyens ?

Alors que la plupart des 250 personnes à bord du second navire de migrants avaient déjà été transférés au remorqueur, « une vedette s'est approchée portant l'inscription des gardes-côtes libyens », a raconté à B2 un responsable de l'agence Frontex. « Ils étaient lourdement armés. Mais on ne savait pas vraiment qui ils étaient. » Les assaillants ont « tiré plusieurs coups de feux en l'air, voulant reprendre le contrôle du bateau ». Les assaillants ont fini par « repartir avec le bateau vide de migrants ».

Une seconde fois... de trop

Ce n'est pas la première fois qu'un navire de Frontex fait ainsi face à une attaque armée. La première fois c'était « en février cette année ». Les contrebandiers armés ont récupéré « un navire utilisé pour transporter les migrants suite à une opération de sauvetage en Méditerranée ». 

Le signe d'un manque de bateaux pour les trafiquants

Pour le directeur exécutif de Frontex, Fabrice Leggeri, cette action est le « signe que les passeurs en Libye sont à court de bateaux (mais aussi) qu'ils sont disposés à utiliser des armes pour récupérer ceux qui sont utilisés pour transporter les migrants ». Mais la "duplicité" des moyens employés (un navire de gardes-côtes) est aussi le signe non seulement d'une très claire détermination des contrebandiers, mais aussi de leurs possibles complicités au sein du dispositif sécuritaire libyen. Ce qui change, fondamentalement, la donne et les conditions de l'opération Triton.

Des navires pas équipés pour répliquer aux armes de guerre

Avant même ainsi la série de naufrages de dimanche, ce nouvel incident a donc semé le trouble à Frontex, mais aussi parmi les Etats membres qui participent à l'opération — Italie, Malte, Islande, Espagne... — . Une inquiétude doublée d'une crainte. Cette fois, il n'y a « pas eu de blessés. Mais il aurait pu y en avoir » explique-t-on à Frontex. « Les navires des gardes-côtes ne sont pas, en effet, équipés pour répliquer face à des armes de guerre, comme peuvent l'être les navires militaires qui sont utilisés dans des opérations de type Atalanta » précise à B2 un responsable de l'Agence Frontex. De plus, « dans les bateaux des gardes-côtes, qui ont récupéré des migrants, faire usage d’armes à feux n’est pas possible avec des civils à bord ». Dans le patrouilleur Tyr, il y avait sur les 342 rescapés, 135 femmes, dont plusieurs enceintes, et 27 enfants. On comprend bien que, dans ces conditions une quelconque action pour s'opposer aux contrebandiers était très risquée.

La fin des opérations de Search and Rescue

Elles pourraient ainsi compromettre à terme l'opération SAR - Search and Rescue — engagée par les navires de Frontex, à moins que les vedettes des gardes-côtes ne soient désormais protégés par des navires militaires. C'est tout l'enjeu également de la possible opération maritime qui pourrait être lancée par l'Union européenne.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) Depuis vendredi (10 avril), 7500 réfugiés et migrants ont été récupérés par le Tyr et les autres navires participant à l'opération Frontex, à proximité des côtes libyennes. Ils étaient à bord de 11 bateaux - dont 9 étaient à bord de navires qui avaient chaviré —, entre 12 et 60 milles nautiques des côtés. Soit très loin de la zone de Triton.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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