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Une présence remarquable et remarquée. Combien de temps la pile électrique “Mogherini” durera ?

F. Mogherini et R. Vejunis à Riga, à l'entrée de la réunion (Crédit : CE / Présid Lettonne UE)
F. Mogherini et R. Vejunis à Riga, à l'entrée de la réunion (Crédit : CE / Présid Lettonne UE)

(BRUXELLES2) On peut remarquer que Federica Mogherini a tenu à ouvrir personnellement, ce mercredi (18 février) la réunion informelle des ministres de la Défense de l'Union européenne à Riga. La première informelle qu'elle présidait depuis qu'elle a pris ses fonctions de Haute représentante. Elle l'avait promis, elle l'a fait. Même si cette présidence était surtout symbolique. Une bonne demi-heure passée à accueillir, serrer les poignées de main des uns et des autres, et fait la photo d'accueil. Et la présidence de la première réunion de travail (consacré au prochain sommet européen. L'ordre du jour avait d'ailleurs été un peu bousculé pour cela (en interchangeant les sessions de travail). Et, ensuite, la Haute représentante de l'UE a dû la réunion, pour une bonne raison. L'Italienne devait, en effet, assister, à la réunion convoquée à Wahinghton par la Maison Blanche sur la lutte anti-terroriste et évoquer avec plusieurs des personnes présentes sur place la question délicate de la Libye, notamment le ministre égyptien des Affaires étrangères (Sameh Shoukri) et son homologue émirati (Anwar Gargash).

Une marque d'intérêt et de reconnaissance

Cette présence, malgré un agenda chargé, tranche, incontestablement, avec l'attitude de son prédécesseur, Catherine Ashton, qui avait toujours boudé ce type de rencontres. Et l'effort a été salué par l'ensemble des ministres ou ambassadeurs participants à la réunion. C'est non seulement une marque de respect pour les ministres même si tous n'ont pas fait le trajet (*) mais aussi la marque d'un intérêt pour les questions de défense. C'est important aussi à l'intérieur du dispositif européen, pour les équipes du Service diplomatique européen ou de gestion de crises de savoir que le travail effectué tous les jours "remonte" et peut impulser les décisions. C'est une notion de dynamique interne qui avait, trop souvent, oubliée ces dernières années, pour ne pas être remarquée.

Agenda chargé et milliers de km à la clé

La Haute représentante est d'ailleurs partout, aujourd'hui, bondissant d'un avion, de Bruxelles à Washington, en passant par Münich, Tunis (vendredi), Madrid (lundi), Lisbonne (mardi) et Riga (mercredi). Elle reçoit à tour de bras : le Palestinien Abbas, l'Américain Biden, les premiers ministres serbes et kosovars, etc. Pour un aperçu regardez l'agenda des derniers jours, ici, c'est assez impressionnant. « Federica Mogherini a tout de suite occupé le terrain, que ce soit avec la presse ou au Parlement européen. En quelques semaines, elle a ainsi parcouru plusieurs dizaines de milliers de km » témoigne un diplomate qui la suit de près. Catherine Ashton était moins suractive même si elle avait « un vrai talent pour se faire écouter. Tous les interlocuteurs, y compris les plus expérimentés, comme le Russe Lavrov qui pouvait être parfois brutal, l'écoutaient ».

Une super woman ?

Pour ses premiersMogherini100Jours@SE150209 cent jours, l'actuelle Haute représentante est donc plutôt fière du bilan dressé par ses équipes : 93 réunions de haut niveau, 31 réunions institutionnelles européennes (8 à la Commission ainsi que 5 réunions avec les commissaires ; 11 Conseils dont 1 (2) Conseils européens, 4 réunions du Conseil des Affaires étrangères, 6 autres), 5 (7) visites dans les pays de l'UE et 10 (11) hors de l'UE... Inutile de dire qu'avec un tel emploi, il reste peu de temps pour sa famille restée à Rome. Federica Mogherini cherche à ménager au moins une partie de ses weeks-end pour les passer avec ses enfants qui sont encore jeunes (4 ans et 10 ans).

De l'énergie... pour combien de temps encore

Le problème qui se pose est combien elle va durer. « Il y a beaucoup d'énergie chez elle. Elle travaille le jour, les week-ends » indique un diplomate eropéen. Mais n'est-ce pas au détriment du fond peut-on s'interroger ? Effectivement, « çà ne peut pas durer vraiment. » Et cela semble un peu au détriment du fonds. Présider une séance informelle est symbolique. Mais l'essentiel d'une réunion informelle ne se passe pas en séance de travail, mais hors séance, en bilatérale, le soir, le matin au petit déjeuner pris ensemble à l'hôtel ou autour du café dans une salle plus discrète. C'est là où les liens se tissent, où les idées peuvent passer, et des politiques se concerter ou des problèmes se résoudre. On a peu l'impression que la Haute représentante cherche à l'image de ce "flyer", rédigé pour ces 100 jours, à aligner les records. Ce qui a des effets physiques.

La fatigue se fait sentir

Au fil des mois, on a pu ainsi voir Federica Mogherini, certes toujours souriante, mais fatiguée, plus mécanique dans ses expressions. Elle parait toujours aussi passionnée par ses fonctions mais a beaucoup moins de temps pour le partager. La Haute représentante fait ainsi des apparitions de plus en plus courtes devant la presse, pour délivrer un message, certes clair et précis, mais qui mériterait largement plus d'explications. Car il n'y a pas une seule crise dans le monde (l'Ukraine) et qu'un certain nombre de sujets méritent davantage que les quelques lignes - déjà préparées - pour servir de "statement" que tout bon politique sait bien préparer et servir à la presse. Elle « lit beaucoup les papiers » que lui préparent les services. Mais elle semble « écouter » un peu moins. La carapace qui menace tous les responsables politiques se referme.

Le danger de la carapace

C'est ce qui guette tous les hommes et femmes politiques modernes, commente un vieux routier de la diplomatie européenne. « L'homme, la femme politique n'a plus le temps de réfléchir. Il court d'un endroit à l'autre. Le problème majeur d'un responsable politique est son agenda. » Un phénomène encore aggravé par l'instantanéité de l'information (twitter, etc.) qui oblige à une réplique immédiate. « Des personnes comme Kohl, Delors étaient prêts à s'enfermer avec quelques collaborateurs pour réfléchir à l'avenir du grand marché, le coût de la non Europe ». Ce qui leur permettait de donner l'impression « de ne pas subir mais de maîtriser les évènements ». Un propos qui ne vise pas spécialement la Haute représentante mais la politique actuelle européenne du coup par coup.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) 8 pays n'étaient pas représentés au niveau ministériel : Italie, Allemagne, Royaume-Uni, Pologne, Hongrie, Roumanie, Slovaquie, Rép. Tchèque.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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