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Commission Juncker, 100 jours après, c’est pas encore vraiment çà…

Le temps des sourires est-il terminé ? JC Juncker lors de son élection en juillet 2014 (crédit : Commission européenne)
Le temps des sourires est-il terminé ? JC Juncker lors de son élection en juillet 2014 (crédit : Commission européenne)

(BRUXELLES2) Au bout de 100 jours, le bilan de la Commission Juncker n'apparait pas aussi enthousiasmant qu'on pouvait l'escompter. Une seule action positive est à mettre à son actif : le lancement d'un Fonds d'investissement - espéré à 300 milliards. Un acte qui a une portée tout autant politique, qu'économique ; chacun le reconnait. Nombre de questions restent encore posées : quels projets vont être financés, comment atteindront 300 milliards, etc.

Peu de propositions réelles ...

Le programme 2015 de la Commission - adopté il y a peu est loin de l'aggiornamento promis par Juncker lors de son discours d'intronisation au Parlement européen. Le retrait de quelques mesures (essentiellement environnementales) ne fait pas un programme. Voilà l'actif de la Commission Juncker au bout de cent jours. C'est peu ! Et, encore, quand on parle de cent jours, c'est le compteur officiel. L'équipe Juncker est, en fait, à l'oeuvre depuis presque neuf mois déjà. Et il y a des éléments solides en son sein à commencer par son vice-président, Frans Timmermans, et Martin Selmayr, son chef de cabinet. Deux vrais numéros 2. En matière d'initiative et d'audace, on reste sur sa faim. On pouvait s'attendre donc à un programme autrement plus ambitieux et déroulé plus rapidement pour une Commission qui se dit de la "dernière chance". Comme le rappelle Marielle de Sarnez (Modem), sur la question fiscale (mais cela peut s'appliquer à tous les domaines), la Commission n'a pas seulement le « droit d'initiative », elle a un « devoir d'initiative ».

... Et trois faux pas notables

Dans ce tableau un peu vide, les quelques faux pas qui ont émaillé les premiers mois résonnent donc d'autant plus forts que ce ne sont pas de faux-pas "techniques" mais bel et bien des erreurs politiques. Jean-Claude Juncker ne pouvant être qualifié de débutant...

Un Luxleaks négligé

Tout d'abord, en pleine révélation "Luxleaks" - qui met en lumière le tropisme luxembourgeois un peu trop "big business friendly", frôlant avec le dumping fiscal - le président Juncker est resté étrangement absent durant plusieurs jours. Ses conseillers comptaient sur un contre-discours, soigneusement instillé, pour contourner le problème. On a ainsi entendu successivement : ce « n'est pas vraiment nouveau », ce que « fait le Luxembourg est parfaitement légal », et « d'ailleurs il n'est pas le seul, beaucoup d'autres pays ont des pratiques semblables », « ce n'est pas vraiment le problème principal en Europe », « plusieurs enquêtes sont déjà en cours sous l'égide de la commissaire à la Concurrence », c'est "un coup monté des anglo-saxons pour nuire au président de la Commission" etc. L'équipe de la Commission pensait que la nouvelle allait s'étioler d'elle-même, à la faveur d'autres éléments avant de commencer à revoir sa position. De la même façon, au Parlement européen, la demande de commission d'enquête, portée notamment par les Verts, s'est aussi heurtée à une fin de non-recevoir des "gros" groupes du Parlement (PPE et PSE) avant de finalement être accepté, non sans mal. Le vote doit avoir lieu à la plénière de février.

Un engagement dans la campagne présidentielle grecque

Deuxième faux-pas : le soutien à la présidence grecque d'un ancien commissaire européen PPE. Le soutien est à peine masqué puisque Jean-Claude Junckers déclare préférer voir arriver à la présidence grecque un "visage connu"... autrement dit Dimas, ancien commissaire européen (Environnement), et proche de Samaras, plutôt qu'un autre président. C'est un clair message anti-Syriza qui est passé ainsi. Une intervention dans une campagne politique nationale qui tranche singulièrement avec le refus traditionnel de la Commission européenne d'intervenir en faveur d'un ou l'autre candidat d'un parti démocratique. L'exécutif européen reviendra d'ailleurs à cette (sage) tradition lors de la campagne législative, refusant toute polémique. A juste raison... Mais un peu tard. Une fois encore, le message le plus clair, le plus limpide, sur l'économie européenne est venu d'Amérique, comme un rappel aux réalités économiques (lire :  « Ne pressurez pas la Grèce ». Washington rappelle l’Europe à la réalité). Et il faudra plus d'une accolade entre Juncker et Syriza pour effacer ce qui reste comme un a-priori idéologique à peine masqué.

Une extrême timidité dans l'action sur le terrorisme

Après les attentats à Paris, il y a encore une vague de flottement à la Commission européenne. Si la compassion et le geste politique de solidarité ont été rapides, le reste de la mécanique a flotté. L'exécutif européen ne voulait pas intervenir dans un dossier - le terrorisme - où les Etats membres ont largement la main. La crainte de prendre des coups allié à un faible tropisme de cette commission pour les questions de Justice et d'Affaires intérieures expliquent en partie cette attitude. Mais, surtout, Juncker ne veut pas se laisser distraire de son objectif principal : l'économie. Si le rôle de la Commission est limité, elle n'en a pas moins une marge d'action - réviser la décision terrorisme, resserrer le dispositif Schengen, débloquer le dossier du PNR européen qui suscite des crispations au Parlement européen - qui aurait mérité un peu de dynamisme. Si l'unité nationale a été assez partagée en France ou en Belgique sur les différentes mesures à prendre, au niveau européen, cette unité n'a jamais existé entre les "partis de gouvernement" (PPE, Libéraux & démocrates, Sociaux & Démocrates et Verts). Et les mots "durs" se sont échangés. Ce qui n'a pas peu contribué à crisper et retarder le débat.

"Devrait mieux faire"

Trois faux-pas sur trois questions très politiques, avec en toile de fond, une faible propension à révolutionner la politique et avancer des idées un peu fraiches et nouvelles, pour revigorer le débat, et des propositions précises et charpentées, pour alimenter la dynamique européenne font qu'aujourd'hui, l'enthousiasme réel ressenti à Bruxelles à l'arrivée de la nouvelle équipe, s'est vite étiolé. L'équipe Juncker ne devrait pas recevoir mieux qu'un bulletin "à peine passable" pour ses premiers cent jours. Avec la mention "bon début, mais s'est relâché". Et ce n'est pas seulement "peut mieux faire" mais "doit mieux faire" qui devrait être indiqué...

(Nicolas Gros-Verheyde)


L'équipe relations extérieures = bien sous tout rapport

Ce bilan très "mitigé" doit cependant être revu, à la hausse, pour l'équipe "relations extérieures" de la Commission. La Vice présidente de la Commission et la Haute représentante de l'UE, Federica Mogherini a, pour l'instant, été à la hauteur des enjeux, sur la plupart des fronts ouverts (et ils sont nombreux), au point qu'on peut même se dire : combien de temps va-t-elle pouvoir tenir à ce rythme-là ! 😉 Il restera maintenant à concrétiser quelques dossiers (notamment en matière de défense). Mais la bonne volonté est là. Le commissaire chargé de l'Aide humanitaire, Chrystos Stylianides, a aussi tenu son rôle, avec peut-être sans doute plus de discrétion mais qui montre un sérieux intérêt pour ces dossiers. Je serai cependant plus réservé sur le commissaire Mimica (développement).

(NGV

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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